Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Trois ouvrages à propos d’évaluation

L’évaluation démystifiée
Charles Hadji. Paris, ESF éditeur, 1997, 124 p.
Commander cet ouvrage


Les modèles de l’évaluation
Jean-Jacques Bonniol, Michel Vial, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 368 p.
Commander cet ouvrage


L’évaluation des élèves
Philippe Perrenoud. Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 219 p.
Commander cet ouvrage


En 1991, le numéro hors série des Cahiers pédagogiques consacré à L’évaluation, débutait par un article de Jean-Pierre Astolfi qui écrivait : L’évaluation semble bien se porter. Les publications récentes se succèdent à son propos et, au fond, elle constitue un assez bon révélateur des pratiques pédagogiques et des modèles d’apprentissages auxquels nous nous référons, au moins implicitement. Mais le sujet n’est-il pas encore épuisé ? Et que peut-il encore y avoir à en dire ?

Sept ans après, en écho, on peut répondre que l’évaluation continue à se bien porter. En témoignent trois ouvrages récents : L’évaluation démystifiée de Charles Hadji chez ESF, Les modèles de l’évaluation de J-J. Bonniol et M. Vial chez De Boeck, et L’évaluation des élèves de P. Perrenoud chez le même précédent éditeur. À la suite de l’interrogation de 1991, questionnons à notre tour ces trois ouvrages. Ont-ils encore quelque chose à dire et ce qu’ils auraient à dire est-il convergent ?

Charles Hadji souhaite relire les écrits de ces trente dernières années autour d’une problématique de l’évaluation : celle de l’évaluation formative, avec l’intention de mettre l’évaluation scolaire au service des apprentissages. Il rappelle que l’ouvrage archétypal en matière d’évaluation formative est celui de Scriven de 1967 à propos des curricula, Bloom en 1971 étendant cette réflexion aux élèves et aux étudiants. Pour parvenir à ses fins, tamiser les écrits relatifs à l’évaluation formative dans le but d’évaluer les élèves pour les faire évoluer vers la réussite, Charles Hadji propose d’abord de comprendre et ensuite d’agir.

Comprendre quoi ? Que l’évaluation formative n’est qu’une utopie porteuse car c’est seulement la volonté d’aider qui installe l’activité évaluative dans un registre formatif. Que l’évaluation formative ne consiste pas en un mesurage, mais en une confrontation dans un processus de régulation entre une situation réelle et des attentes. Qu’elle est avant tout pratique pédagogique tout autant que pratique d’évaluation.

Agir comment ? En déclenchant la possibilité d’évaluer, par des tâches appropriées, les objectifs que l’on s’était fixés. En observant et en interprétant de façon judicieuse dans l’optique de faciliter l’auto-évaluation. En communiquant de façon utile. En remédiant de façon efficace.

L’ouvrage constitue un plaidoyer mais aussi un recueil de suggestions en vue  » une culture de l’évaluation  » – terme emprunté à Claude Thélot – au service de la réussite scolaire. Charles Hadji illustre cette idée en décrivant son propos comme permettant de penser des apprentissages assistés par l’évaluation (plagiant les apprentissages assistés par ordinateur). Son pari est réussi qui associe fondements philosophiques, emprunts pédagogiques et didactiques au service de l’évaluation. L’évaluation est envisagée prioritairement au service d’une régulation de l’enseignement en vue des apprentissages : elle en constitue l’instance de contrôle favorisant l’ajustement des pratiques.

Un souci ultime anime le regard philosophique de l’auteur : la nécessité d’inscrire toute entreprise d’évaluation formative dans l’exigence éthique d’un agir évaluationnel. La boucle est bouclée. L’évaluation est formative si elle permet de comprendre et d’agir. À une condition : qu’existe la volonté pour l’enseignant de s’installer dans une posture progressivement capable de rendre l’élève souverain (il est fait référence à Alain qui voyait dans le jugement, l’antidote du subir, le mouvement du souverain). Reste à préciser maintenant ce qui pourrait constituer cette éthique de l’agir évaluationnel. Le clin d’œil à Habermas (qui en 1981 publie Théorie de l’agir communicationnel) pourrait en définir les contours.

Philippe Perrenoud dans L’évaluation des élèves avec comme sous-titre De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques, s’intéresse à son tour à la question de l’évaluation formative, dans le cadre d’une pédagogie différenciée.

La quatrième de couverture de l’ouvrage développe des intentions qui voisinent avec celles de l’ouvrage précédent. À preuve l’accent qui est mis sur le comment « passer d’une évaluation orientée vers la mesure à une orientation orientée vers la régulation et la communication, liant intimement didactique, différenciation de l’enseignement et observation formative. Ce qui ne va pas sans mettre en question le contrat pédagogique, la gestion de la classe, les modes de communication entre enseignants et apprenants, la nature du curriculum et de l’excellence scolaire ».

Cette logique d’une évaluation régulation et communication s’oppose pour Philippe Perrenoud à une évaluation au service de la sélection (la fabrication des hiérarchies d’excellence) et débouche naturellement sur une évaluation au service des apprentissages.

Concernant la fabrication des hiérarchies d’excellence, l’expérience d’Amigues et de Zerbato Poudou est rappelée. Il s’était agi de donner un lot de copies hétérogènes à corriger à des professeurs. Chacun d’entre eux en établit une distribution en cloche. Les distributions de toutes les copies médianes sont alors gommées et seules les copies extrêmes sont redistribuées à d’autres correcteurs. « On pourrait logiquement s’attendre avec cette nouvelle correction à une distribution bimodale. Il n’en est rien, chaque évaluateur recrée une distribution normale (en cloche). Les notateurs créent des écarts qui tiennent davantage à l’échelle et au principe du classement qu’aux écarts significatifs entre les connaissances ou les compétences des uns et des autres ». Ainsi les résultats de l’évaluation visant à hiérarchiser apparaissent-ils largement déterminés, au-delà des outils utilisés, par une représentation normale d’un groupe que chaque enseignant aurait naturellement en tête.

Concernant l’évaluation au service des apprentissages, Philippe Perrenoud, en sociologue attentif à ce qui est, rappelle qu’elle apparaît de par ses visées au service d’une stratégie pédagogique de lutte contre l’échec et les inégalités scolaires, mais qu’elle constitue, au plan pédagogique, pour la plupart des enseignants une tâche supplémentaire, qui les oblige à gérer un double système d’évaluation. Aussi, si les discours officiels en sa faveur sont légion, les pratiques réelles qui en attestent sont peu nombreuses.

L’ouvrage, en neuf chapitres, aborde quatre logiques successives. D’abord la question des relations de l’évaluation et de l’excellence scolaire, puis les rapports de l’évaluation et de l’orientation, et encore la dimension de l’évaluation formative et les didactiques à son service, enfin une approche systémique de l’évaluation. De l’ensemble nous retiendrons quelques idées soit nouvelles, soit illustratives d’une approche sociologique de la question de l’évaluation. L’évaluation comme fabriquant l’excellence scolaire s’inscrit dans la problématique de l’échec scolaire dont il est rappelé qu’elle est en réalité socialement construite, qu’elle relève à travers l’enseignant ou l’établissement d’un arbitraire des procédures et des échelles instituées, auxquelles l’école donne force de loi par l’orientation, la sélection, la certification qui en découlent. Jacques Weiss, il y a déjà quelque temps, avait intitulé un article ; « l’évaluation : la subjectivité blanchie ».

Au plan de ce que les enseignants évaluent, l’auteur rappelle que, d’une part, ce qui est évalué n’a parfois pas été enseigné, et que, d’autre part, réussir est fréquemment synonyme de refaire ce qui a été déjà vu, des situations de transfert étant rarement objets d’évaluation.

De l’évaluation dépend l’orientation. Aussi arrive-t-il fréquemment qu’entre parents et enseignants existent des marchandages à propos de l’évaluation des élèves. À ces marchandages plus ou moins publics s’ajoutent des marchandages plus ou moins secrets entre l’enseignant et l’élève et même au niveau du seul enseignant qui va surnoter ou sous-noter un élève en fonction de la représentation qu’il en a.

Le constat qu’il faille changer l’évaluation pour changer la pédagogie est rappelé, de même que le faible intérêt des didacticiens pour les questions d’évaluation.

Quant au modèle systémique de l’évaluation il est inscrit au centre d’un octogone de forces dont les sommets sont :  » les relations entre famille et école ; l’organisation des classes et les possibilités d’individualisation ; la didactique et ses méthodes d’enseignement ; le contrat didactique, la relation pédagogique et le métier d’élève ; la concertation, le contrôle et la politique de l’établissement ; les programmes, les objectifs et les exigences ; le système de sélection et d’orientation ; les satisfactions personnelles et professionnelles des enseignants « .

Un livre de sociologue de l’évaluation, que l’on pourrait aussi qualifier d’ethnologue de l’évaluation, tant l’analyse est fine, appuyée à une description minutieuse des pratiques et des discours. Un ouvrage de pédagogue aussi, de pédagogue discret et engagé, tant les propos jamais normatifs, toujours colorés de pastels, optent pour des pratiques fondées centralement sur la lutte contre l’échec scolaire.

Charles Hadji et Philippe Perrenoud, le premier à partir d’un point de vue philosophique, le second à partir d’un point de vue sociologique parviennent aux mêmes propositions en vue de fonder une évaluation formative. Développer des régulations et clarifier la communication, à condition d’associer souci évaluatif, outils didactiques et pédagogiques, attentif que l’on sera à une éthique de l’évaluation reliée en dernière analyse à une déontologie ; cette dernière restant en la matière à définir.

Le livre de Jean-Jacques Bonniol et Michel Vial se propose de dresser  » un panorama critique des comportements d’évaluation, en aidant à se repérer entre les différents courants – depuis l’évaluation mesure, jusqu’à l’évaluation complexe – dans le but d’une utilisation dépassionnée des champs, des savoirs, des outils et des savoirs produits « . Les auteurs souhaitent ainsi s’engager dans une approche plus descriptive que militante des modèles de l’évaluation, la référence pour éviter l’excès de militantisme et s’engager dans la voie de la scientificité étant à rechercher dans la multiréférentialité.

Il est possible d’interroger ce parti pris. L’intérêt à emprunter à plusieurs références pour comprendre la complexité constitue un principe et une pratique dont l’intérêt semble indiscutable au plan spéculatif et au plan pragmatique. Du reste, lorsque Philippe Perrenoud rappelle que  » les deux logiques de l’évaluation mesure et de l’évaluation formative ont à être réconciliées, afin que la main droite n’ignore pas ce que fait la main gauche « , lorsque Charles Hadji, pour faire exister des apprentissages assistés par l’évaluation, emprunte à la didactique et à la pédagogie, l’un et l’autre sont dans le registre de la multiréférentialité. Seulement l’un et l’autre se réclament d’une posture militante pour lutter contre l’échec scolaire, car leur choix en matière d’évaluation est du côté de l’évaluation formative. La multiréférentialité ne peut donc constituer en soi la condition suffisante pour se mettre à distance d’une approche engagée ; peut-être même en constitue-t-elle une condition nécessaire. De surcroît, la distance critique réclamée par Jean-Jacques Bonniol et Michel Vial pour éviter le militantisme ne peut se passer d’une interrogation à propos de l’épistémologie de référence de la multiréférentialité. Quel est le critère ultime de vérité de la multiréférentialité ? Si aucune réponse n’est apportée, alors la multiréférentialité risque d’appartenir elle aussi à la sphère des discours idéologiques, tant l’addition des points de vue ne constitue en rien une logique.

On le pressent, l’ouvrage de Jean- Jacques Bonniol et Michel Vial est vivifiant car il repose à travers la problématique de l’évaluation des questions déjà anciennes, mais elles aussi toujours d’actualité. Nous avons apprécié, en plus des textes fondateurs sur l’évaluation, la manière dont un choix d’écriture a conduit chaque fois à interroger ces textes par ceux qui sont désignés comme des détracteurs. En sus de la remarque précédente à propos de la multiréférentialité, nous restons sur un questionnement et sur un regret. Le questionnement : qu’est-ce qui différencie, non pas dans la posture, mais dans les modèles sous jacents et les pratiques, les termes d’évaluation formative (désignée ainsi par Charles Hadji et Philippe Perrenoud) et d’évaluation complexe revendiquée par Jean-Jacques Bonniol et Michel Vial ? Le regret : la préface intitulée  » Essai sur les processus de référenciation  » qui travaille dans le compliqué, davantage que dans le complexe.

Nous rappelions que le texte introductif des Cahiers pédagogiques de 1991 se demandait à propos de l’évaluation : « que peut-il encore y avoir de neuf à en dire » ? Les trois ouvrages lui répondent en écho : « faire de la régulation, la grande fonction de l’évaluation ».

Michel Develay


L’évaluation démystifiée
Charles Hadji. Paris, ESF éditeur, 1997, 124 p.
Commander cet ouvrage


Les modèles de l’évaluation
Jean-Jacques Bonniol, Michel Vial, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 368 p.
Commander cet ouvrage


L’évaluation des élèves
Philippe Perrenoud. Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 219 p.
Commander cet ouvrage