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Théâtre et sciences

Comment le théâtre peut-il être un moyen de s’approprier des connaissances scientifiques ? Un exemple ici, dans le cadre des dispositifs « La main à la pâte ».
Comment tout a-t-il commencé à Nogent-sur-Oise ?

Virginie Vitse : J’occupe la fonction d’accompagnement pédagogique. C’était il y a dix ans et je faisais alors des projets dans toutes les disciplines, en particulier des projets théâtre avec des enseignants, et Nicolas, de même, autour des sciences. Or, je m’apercevais que ceux qui étaient intéressés par la littérature et le théâtre ne l’étaient guère par les sciences, et réciproquement. J’avais envie de briser ça et de mêler approches littéraires et scientifiques.

Nicolas Demarthe : Quand Virginie m’a parlé de ce projet, j’ai tout de suite été emballé, car on était déjà dans une dynamique « arts et sciences », avec des expositions notamment. La démarche de création est assez proche de la démarche scientifique par le tâtonnement, qui est une forme d’apprentissage par essais et erreurs. C’est ce qui rend ces projets « Arts et sciences » particulièrement intéressants.

V. V. : La première année, on a eu un peu de mal à trouver des enseignants volontaires, on a fait un premier spectacle « Sciences en scène » sur l’astronomie, et l’année suivante, on avait une liste d’attente de personnes intéressées.

Et vous avez fait des émules à Paris…

Anne-Josèphe Laperdrix : On a commencé en 2015. La rencontre s’est faite dans le cadre de La main à la pâte pendant des ateliers où on vivait en tant qu’adultes des petites scènes « scientifiques ». Puis s’est installé près de nos écoles le Théâtre de la Reine Blanche qui montait des scènes de sciences. Cela résonnait avec le projet de Nogent et on est venus assister à un des spectacles et on l’a adapté à notre contexte. Notre choix a été plutôt de monter des petites scènes.

Mathieu Salomon : J’ai participé au projet depuis plusieurs années. Là, on prépare des scènes autour des animaux (vision scientifique-contes et récits) qu’on va jouer au Théâtre de la Reine Blanche, malheureusement encore sans public ! Dans notre école REP +, cela nous permet de développer l’oral, le langage, et pour les enfants de gérer leurs émotions. On pratiquait d’ailleurs le théâtre depuis assez longtemps dans l’école.

Comment se construit le spectacle ?

Emmanuelle Laporte : J’ai travaillé sur le projet il y a deux ans. Virginie met en place au début des rituels pour que les enfants prennent des habitudes et de la confiance en eux. En lien avec le projet sciences, le scénario se construit, avec un mélange d’apports de Virginie et des élèves eux-mêmes.

V. V. : La construction se fait progressivement en relation avec ce qui se fait en sciences. On a plusieurs tableaux, avec des textes littéraires, des extraits de cinéma, etc.

E. L. : … qu’on étudie en classe à cette occasion.

V. V. : Mais on utilise aussi la chorégraphie, le cirque (sur lequel on a la chance d’avoir un intervenant), la musique, la vidéo, des scènes de la vie quotidienne. Pour certains élèves, il est important d’utiliser toutes leurs potentialités corporelles.

N. D. : Virginie est en co-intervention avec l’enseignante, avec un accompagnement sur le plan de la formation scientifique. La réussite du projet repose aussi sur le fait de disposer d’un grand espace culturel, que la municipalité nous accorde gratuitement. Cela nous permet d’accueillir de nombreuses classes pendant la semaine des spectacles (jusqu’à cinquante classes), ce qui permet aux élèves comédiens de s’entrainer et de perfectionner leur jeu en vue de la soirée finale, qui se déroule en fin de semaine devant un large public (parents, élèves, enseignants et partenaires). Une conférence animée par un spécialiste (comme Elena Pasquinelli ou le climatologue Éric Guilyardi) en première partie, sous une forme très accessible, souvent ludique, apporte un éclairage scientifique. Il y a souvent des interactions entre la conférence et ce que les spectateurs voient ensuite sur scène.

A.-S. L. : Chez nous, il y a un cahier des charges assez précis, d’autant que nous avons plusieurs intervenants selon les classes. Nous essayons d’avoir des financements (dans le cadre des projets artistiques et culturels, ou par la région ou la ville). Notre demande est de partir de mots de vocabulaire sur une thématique scientifique. Des liens vont se créer et des textes d’imagination et documentaires vont venir s’intégrer au corpus initial. Cela donne des spectacles très différents, certains metteurs en scène écrivent à partir des mots des enfants, d’autres partent de textes d’élèves.

M. S. : Cette année, on s’appuie aussi sur des écrits de Narramus (outil pédagogique conçu par Sylvie Cèbe et Roland Goigoux), ce qui permet de travailler davantage l’oral.

Michelina Nascimbeni : On a tous les niveaux, mais avec les petits, l’expression gestuelle est très importante. On a de belles réussites. Au milieu du travail, on a aussi une exposition qui invite les élèves à travailler la production d’écrits pour les panneaux.

Les familles assistent-elles aussi au spectacle ?

A.-S. L. : Au début, les parents restaient à la porte du théâtre, pensaient que « ça n’était pas pour » eux, mais maintenant, on fait salle comble, et ils comprennent bien la démarche. L’exposition permet, à travers des quiz et des jeux, de comprendre ce que font les élèves au théâtre en lien avec les apprentissages scientifiques.

V. V. : Chez nous, ils sont d’ailleurs étonnés par ce que leurs enfants sont capables de faire. J’ai souvenir d’un élève mutique en classe qui s’est révélé, et que sa mère a ensuite voulu inscrire dans un club de théâtre.

Revenons sur les effets sur les apprentissages…

E. L. : Le projet fait sens pour les élèves. Pour la cohésion de groupe, c’est vraiment remarquable. On arrive à faire travailler des élèves qui ont parfois peu d’affinités entre eux : sur scène, on a besoin de l’autre. Il y a aussi un jour où ils répètent toute une journée et cela crée des liens particuliers. Ils sont ensuite demandeurs de poursuivre le théâtre ou de faire de la danse.

M. S. : Le théâtre aide à se concentrer et à intégrer ce qu’on apprend en classe. On travaille aussi la mémorisation, mais cela ne pose pas vraiment de problème.

N. D. : Ce que je trouve intéressant, c’est la rencontre entre la rigueur scientifique et la rigueur théâtrale, imposée par le cadre. Les élèves se rendent compte de la nécessaire exigence, des vertus de la persévérance.

Peut-on transposer cette expérience dans des conditions plus banales, sans un accompagnement aussi fort ?

A.-S. L. : Dans les classes, on utilise souvent la théâtralisation (par exemple pour comprendre le mouvement du Soleil). Cela permet au moins de faire bouger les élèves.

E. L. : Un projet comme le nôtre sans accompagnement serait très compliqué, cependant. On avait l’avantage de pouvoir décloisonner par moments, Virginie prenait parfois un petit groupe à part pour travailler une scène.

N. D. : On s’est posé la question de créer avec Canopé (Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques) un module « science et théâtre », mais on en est seulement au stade de la réflexion.

A.-S. L. : Beaucoup de classes travaillent sur des projets artistiques et culturels, le tout est d’organiser la rencontre avec les sciences.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
Étaient présents lors de cet échange :
Pour Nogent-sur-Oise, Nicolas Demarthe et Virginie Vitse, du centre pilote La main à la pâte, et Emmanuelle Laporte, professeure des écoles.
Pour Paris, l’ancienne coordonnatrice du centre pilote La main à la pâte, Anne-Josèphe Laperdrix, et l’actuelle, Michelina Nascimbeni, ainsi que Mathieu Salomon, enseignant de l’école Cavé.

À lire sur notre site : Sciences en scène, entretien avec Virginie Vitse. https://www.cahiers-pedagogiques.com/sciences-en-scene/.