Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Sur l’école à la française : propos d’un mocking bird

Alain Bouvier, L’Harmattan, 2021

Alain Bouvier vient de publier une chronique de l’école en butte aux épisodes de la crise sanitaire des années 2020. Se voyant plus comme un oiseau moqueur que comme un polémiste, il a choisi le persiflage pour dénoncer la complicité entre « statuquologues » et « technostructure » mais il ne peut dissimuler sa tendresse pour cette fille de la République en route vers l’hybritude et l’innovation.

« Je ne suis pas un polémiste […] mais je reconnais volontiers que mes propos peuvent soulever des polémiques » (p. 15) prévient Alain Bouvier qui a occupé de nombreux postes de responsable dans le système éducatif français qu’il connaît par l’action et par l’étude, puisqu’il est encore professeur associé à l’université de Sherbrooke. Rien d’étonnant alors dans son engagement d’observateur qui prend plaisir à exprimer son opinion. Mais son parti pris de mocking bird (oiseau moqueur, référence littéraire développée dans la postface) correspond à sa personnalité et s’est traduit d’abord par la publication de chroniques d’une crise réalisée entre le 16 mars 2020 et le 20 septembre 2021. Légèrement revues et articulées entre elles, elles forment les vingt chapitres d’un ouvrage qui ne manquera pas de susciter des réactions, voire, comme l’auteur le reconnait, des polémiques au sein d’une société qui met l’école en dixième position de ses préoccupations, moins de deux mois avant les élections présidentielles.

Un des partis pris constants du livre est de considérer la crise comme un révélateur de l’état de l’école et de discerner ses possibles évolutions vers une « démammouthisation », expression reprise à Claude Allègre mais souvent mal comprise. Puisqu’il existe des fanatiques de « l’école d’avant », qui sont-ils ? Personne ne s’étonnera de voir figurer au premier rang la technostructure. C’est vrai que la rue de Grenelle, avec ses quatre mille employés, sans le moindre enseignant en poste, ni élève ni parent, fait une belle cible tant elle peine à bouger, et sa production de circulaires, arrêtés et décrets a eu bien du mal à suivre le fil d’une actualité dominée par des vagues submersives et successives d’une crise sanitaire interminable. À sa tête, un ministre, recordman de la durée sous la Ve République, Jean-Michel Blanquer qui est souvent pris en flagrant délit d’improvisation à contretemps et d’impréparation chronique, même s’il semble bénéficier d’une plus grande mansuétude dans les derniers chapitres. Serait-il, à l’instar de ses « vacances apprenantes », devenu un ministre apprenant ?

Une espèce en voie de maintien

Mais les moqueries les plus cruelles sont réservées aux « statuquologues ». Comment qualifier cette espèce en voie de maintien ? L’élément clé, c’est le statut, celui de la fonction publique et, plus encore, celui auquel se réfère la Cour des comptes qui ne reconnait comme temps de service que celui de la présence aux élèves. Mais il ne faut pas oublier le suffixe « -logue » qui transforme de nombreux acteurs en spécialistes du recours à une démarche les préservant de toute instruction visant à « changer le métier ». Au premier rang des cibles de ce persiflage, les syndicats enseignants qui ne sont pas « réformateurs » (le SGEN bénéficie, lui, de cette appellation). Ils ne sont pas toujours désignés pas leurs sigles mais on devine qu’il s’agit de ceux de la FSU. Même le SNPDEN, largement majoritaire parmi les personnels de direction, est rangé au moins une fois dans cette catégorie alors que la FCPE, qui compte « de nombreux enseignants » dans ses effectifs, en fait partie. Ce groupe rêve de rétablir une « école d’avant », dont l’existence n’est guère attestée, mais surtout exerce des pressions inadmissibles sur les « innovateurs engagés » qui sont plébiscités par l’auteur et toutes les personnes qui veulent faire face à des situations devenues de plus en plus difficiles à gérer en raison de la crise sanitaire. J’exagère ? Cités plusieurs dizaines, voire centaines de fois, les « statuquologues » sont évoqués à cinq reprises dans la seule page 174.

Alain Bouvier discerne dans le chaos des confinements et des protocoles sanitaires une capacité des personnes à bricoler dans le bon sens du terme, c’est-à-dire à naviguer au sein des possibilités offertes tant par des dispositifs jusque-là peu sollicités comme les ENT (espaces numériques de travail) ou les ressources du CNED (Centre national d’enseignement à distance) mais aussi par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) tant critiqués jusque-là. Les enseignants ont été l’objet d’une étude évoquée à plusieurs reprises qui a le mérite de la clarté : 25 % étaient déjà familiarisés avec le numérique et l’internet (ce n’est pas forcément la même chose), 50 % connaissaient quelques usages mais étaient incapables de mettre en place du distanciel sans l’aide des premiers et enfin 25 % étaient opposés à toute intrusion de ces applications dans leur exercice professionnel.

Amateur de lueurs d’espoirs, Alain Bouvier note, dès le deuxième chapitre (8 avril 2020, p. 43), des « premiers pas vers une nouvelle école » qu’il appelle de toute son ironie. Quels sont ces espoirs qu’il nous invite à partager ? Tout d’abord, une réflexion à partir de ce qui a été improvisé dans l’urgence, la création d’un enseignement hybride qui combinerait le meilleur des deux mondes, celui que d’aucuns appellent virtuel et d’autres le travail scolaire à la maison. Il y a aussi une nouvelle alliance entre parents et enseignants, qui reprendra ce qui s’est passé dans le meilleur des cas avec une diminution de la prévention des seconds par rapport aux premiers suspectés de s’occuper de pédagogie ou au contraire de ne pas s’intéresser à la scolarité de leurs enfants. Enfin (mais je résume sans doute trop et je conseille de se reporter au livre), le recours au travail collectif facilité par l’intervention des « innovateurs engagés » permet une plus grande prise en compte des élèves dans leur diversité, une « individualisation » qui changera la face de l’école. C’est un excellent moyen pour tenter d’effacer un des échecs les plus flagrants de cette période, le décrochage de plus de 100 000 élèves, surtout dans les filières professionnelles.

Indispensable pour penser « l’école future » qu’on désire pour la France (p. 281), même s’il peut être discutable sur certains points, cet ouvrage constitue un apport pour « sortir l’école de l’école » (p. 283, les italiques sont de l’auteur qui privilégie l’instituant sur l’institué) car « les enseignants ont en permanence à faire face à l’imprévu » (ibid.) comme l’avait déjà signalé Philippe Perrenoud avec son « imprévu prévu ». Il ne faut donc pas tirer sur l’oiseau moqueur mais retenir des modulations de son chant que la nouvelle école est à inventer, même si la crise a permis d’en dégager quelques prémices.

Richard Etienne