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Se reconvertir pour devenir enseignant

Comment un métier exigeant, relativement peu rémunéré et peu valorisé socialement peut-il être attractif ? C’est le paradoxe que des sociologues, ainsi que d’autres chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation, tentent de résoudre, en s’intéressant à celles et ceux qui embrassent « sur le tard » une carrière d’enseignant1.

D’un point de vue statistique, ce phénomène discret s’est installé dans le paysage institutionnel. Les nouveaux enseignants en reconversion professionnelle sont issus de la fonction publique (hors Éducation nationale), du secteur privé ou sans emploi au moment où ils préparent les concours. En 2020, ils représentaient un tiers des reçus au concours externe de professeur des écoles (CRPE) et un lauréat sur six dans le second degré public (de 2 à 27,8 % selon le concours). Ils sont en moyenne trentenaires au moment de franchir le seuil de leur première classe, soit au moins dix ans plus âgés que les étudiants des Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) lauréats des mêmes concours2.

Se projeter

Analyser cette évolution du corps enseignant nécessite de mettre au jour les facteurs qui déterminent ces reconversions, leurs logiques, ainsi que les ressources qui les favorisent. Depuis plusieurs décennies, les épreuves liées aux transformations économiques et technologiques – autant que les discours managériaux valorisant la mobilité professionnelle –, ont pu avoir pour conséquences de désinvestir plus ou moins progressivement son emploi d’origine, puis de prendre la décision de le quitter, suite à des situations d’inconfort ou de souffrance professionnelle.

Les attentes et les projections de ces adultes, tous anciens élèves et parfois parents, sont en lien avec les représentations sociales portant sur l’univers professionnel enseignant : s’orienter vers un secteur perçu comme plus adapté à des valeurs personnelles liées au service public, comme plus prometteur sur le plan professionnel, voire plus bénéfique économiquement, ou encore anticiper une moindre pression hiérarchique, pouvoir s’accorder plus de souplesse dans son organisation du temps, s’imaginer une carrière en équilibre entre sphère professionnelle et vie privée, en particulier pour les femmes. Autant de motivations plus tardives que les interprétations vocationnelles d’un engagement professionnel précoce dans les métiers de l’enseignement, traditionnellement associés au plaisir de travailler avec des enfants à l’école primaire, et à la volonté de transmettre une passion pour une discipline dans le secondaire. Et autant de désillusions potentielles lors des premiers pas dans le métier.

S’éprouver

Dans cette phase critique, ces nouveaux enseignants atypiques, anciennement professionnels compétents, redeviennent novices. Il serait illusoire de vouloir faire table rase de l’expérience professionnelle acquise dans d’autres contextes. Mais sa mobilisation et sa conversion en ressources pour affronter un nouveau système d’épreuves, celui d’un métier complexe, individuel et collectif, fait de choix pédagogiques et de responsabilités éducatives, ne va pas de soi. D’où des étonnements, des incompréhensions et, finalement, des ajustements d’ordre épistémologique (liés aux savoirs), relationnel (entre collègues, avec des élèves ou leurs parents) et organisationnel (liés au fonctionnement administratif et institutionnel des écoles, des collèges et des lycées ou des dispositifs de formation) – les modalités de soutien et d’intégration proposées ne prenant sens, selon la théorie de l’autodétermination des psychologues Edward Deci et Richard Ryan, reprise par les auteurs d’une enquête menée en Suisse3, que si la satisfaction du besoin psychologique fondamental d’affiliation s’avère compatible avec la reconnaissance de ceux, concomitants, de compétence et d’autonomie.

À plus long terme, ces « faux débutants4 » changeront-ils l’école ? En tout cas, leurs parcours de (re)qualification professionnelle, toujours singuliers et aux forts enjeux identitaires, interrogent, en miroir, le rapport au métier enseignant et à ses conditions actuelles d’exercice, vus cette fois par celles et ceux qui aspirent de plus en plus à se reconvertir – dont, à nouveau, certains de ces nouveaux enseignants – mais ailleurs.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin

Claire Ravez, « Enseigner, c’est quoi le métier ? », Édubref, ENS de Lyon, mai 2022. https://bit.ly/3wq9o6H.


Article paru dans le n° 578 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.


Notes
  1. Voir Recherche & Formation 2019/1 (n° 90), « Nouveaux enseignants, enseignants nouveaux : la reconversion professionnelle dans le système éducatif » (en ligne : https://bit.ly/3yKsoOM).
  2. Catherine Valette, « Profil des admis aux concours enseignants 2020 du premier et du second degrés », Note d’information n° 21.40, novembre 2021, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports : https://bit.ly/3Mpe8ig.
  3. Catherine Bauer, Larisssa Maria Trösch, Dilan Aksoy, « “So I had to give it up” : The role of social support for career persistence or attrition in a qualitative sample of second career teachers », Revue suisse des sciences de l’éducation, 43 (3), 2021, p. 464–475 : https://doi.org/10.24452/sjer.43.3.9.
  4. Evald Maillet, Claire Moal et Marc Daguzon, « L’entrée dans le métier des professeurs stagiaires en situation de reconversion professionnelle (FSE-R) », Recherche et formation n° 95, 2020, p. 9-23 : https://bit.ly/3MkAHER.