Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Quand l’élection des délégués de classe ne mobilise plus…

Pourquoi se présenter comme candidat à l’élection des délégués si on ne croit pas qu’il existe des possibilités d’action ? Pourquoi même voter pour les candidats qui émergent malgré tout ?

Dans un lycée de Seine-Saint-Denis, en septembre.

La sonnerie retentit et s’ouvre une séance un peu particulière. Aujourd’hui, nous allons élire les délégués d’une classe de seconde. La veille, les élèves ont été informés de cette élection pour préparer des « professions de foi » distribuées par la vie scolaire. Ce matin, seuls deux élèves sont volontaires pour être délégués. Ils ont pris leurs amis comme suppléants.

Les binômes passent successivement devant le reste de la classe pour présenter leurs engagements : l’un explique qu’il a déjà été pendant quatre ans délégué au collège et qu’il fait attention à tout le monde, l’autre précise qu’il a une expérience de deux ans comme délégué et qu’il était un bon délégué. Les bulletins de vote sont distribués. Les élèves votent, on dépouille les résultats et on remplit le procès-verbal. Les élèves délégués élus sont bien sûr les seuls à s’être présenté.

Dans un lycée du Val-d’Oise, la même semaine.

Le jour de l’élection des délégués est arrivé, toutes les ressources utiles ont été envoyées par le CPE (conseiller principal d’éducation) sur Pronote pour que tout se passe au mieux. Au moment de recueillir les candidatures il faut se rendre à l’évidence, le rôle de délégué ne séduit pas, il n’y a aucun candidat ! Au bout de quelques longues minutes, deux binômes d’élèves (titulaire et suppléant) lèvent la main. Nous procédons au vote. Une poignée d’élèves s’exclame alors : « Mais on peut voter blanc aussi, le vote blanc ça compte ! ».

Après dépouillement, nous relevons dix-huit votes blancs sur trente-cinq élèves mais comme nous n’avions pas d’autres candidats, ceux qui se sont présentés sont quand même élus. Deux heures plus tard, c’est l’heure du conseil d’élèves, les mêmes élèves qui avaient appelé à voter blanc, s’engagent pleinement dans ce dispositif qu’ils découvrent pourtant pour la première fois, leurs interventions sont constructives, un des élèves demande à la fin : « On pourra refaire un conseil d’élèves la semaine prochaine ? On a encore des choses à dire ! »

Que faire de ces constats ?

Nous voyons donc que l’élection des délégués ne mobilise plus vraiment les élèves. Cette observation se prolonge au regard de la société : si de plus en plus de personnes sont préoccupées par les enjeux démocratiques (comme le montre la revendication sur le référendum d’initiative citoyenne) elles sont de moins en moins nombreuses à s’impliquer dans ses processus et ses instances (on pense au taux d’abstention aux élections). Le désintérêt démocratique grandit et s’accompagne parfois même d’une défiance à son égard.

Historiquement, le rôle de délégué à été créé après Mai-68, avec la volonté de donner la parole aux élèves et de les faire participer activement à la vie de leurs établissements. C’était la première fois que les élèves pouvaient faire entendre leur voix pendant les conseils de classe et se faire les ambassadeurs de leurs camarades. Les délégués étaient aussi à cette époque responsables des foyers socioéducatifs, ancêtres de nos maisons des lycéens.

Cinquante ans après, que reste-t-il de cette petite révolution ? Force est de constater que ce sont pratiquement toujours les mêmes élèves qui se présentent année après année. Penser que former des délégués est un gage d’apprentissage de la citoyenneté serait donc un leurre, puisque ce sont toujours les mêmes qui en bénéficient. Nous observons la même chose avec le CVL (conseil de vie lycéenne) qui concerne un petit groupe d’élèves et dont les actions ont du mal à rayonner et à engager l’ensemble de l’établissement. La belle ambition participative des années 70 se serait-elle envolée ?

Des lycéens résignés

Les lycéens semblent assez résignés quant à leur marge d’action au sein des établissements. Un questionnaire a été distribué en 2019 au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine en début et en fin d’année avec la question suivante : « Si quelque chose te dérange dans l’organisation de la classe, que peux-tu faire ? ». En voici les résultats :

Résultats d’une étude comparative menée au lycée Feyder sur quatre classes témoins et quatre classes, dites coopératives, avec des conseils d’élèves.

33 % des élèves dans les classes témoins pensent donc qu’aucune action n’est possible si quelque chose les dérange dans l’organisation de la classe. Ce tiers de résignation reste constant tout au long de l’année.

Dans les classes témoins, la moitié des élèves a une référence individuelle extérieure en cas de problème dans l’organisation de la classe (délégué, professeur principal ou interlocuteur non défini), et cette proportion reste relativement stable toute l’année (de 53 % en début d’année à 47 % à la fin). En revanche, la référence aux délégués élus diminue de moitié tout au long de l’année (de 13 % à 7 %). La référence à un interlocuteur non défini est par contre en augmentation (de 13 % à 27 % en fin d’année) au détriment des enseignants.

Le manque d’intérêt des élèves pour la fonction et le rôle de délégués de classe pourrait ainsi s’expliquer par le manque de responsabilités et de pouvoir de décision associés à la fonction. Le rôle principal des délégués, la participation aux conseils de classe, est souvent considéré par tous les participants comme une défense des élèves plus qu’une participation en tant qu’acteur décisionnaire. Ils n’ont, par exemple, pas vraiment voix au chapitre quant à la rédaction de l’appréciation finale du bulletin.

De plus, les décisions essentielles du lycée sont prises par la direction ou par le Conseil d’administration. Si des représentants des élèves sont présents au CA et au conseil de discipline, cette charge ne concerne que certains des délégués de classe, ils sont très minoritaires et leur avis est rarement déterminant. Ainsi, la fonction des délégués est largement dépourvue de réel pouvoir décisionnaire, ce qui contribue peut-être à la dévaloriser aux yeux des élèves.

Quel modèle démocratique?

Si le rôle des délégués semble ne plus susciter l’engouement des débuts1, c’est peut-être parce que le modèle démocratique induit par ce fonctionnement n’est pas le plus pertinent dans un cadre scolaire. En effet les délégués sont des représentants élus sur le modèle d’une démocratie représentative. Le système de démocratie représentative était défendu pendant la révolution française par l’abbé Sieyès en opposition au système de démocratie directe prôné par Jean-Jacques Rousseau2. Sieyès y voyait deux intérêts majeurs : gérer un territoire avec une population très nombreuse où tout le monde ne pouvait pas siéger dans une seule assemblée et prendre en compte le manque d’instruction et de loisir de la plupart des citoyens pour se consacrer à la vie politique en imposant une représentation par une élite politique. Ce modèle représentatif ne se justifie pas à l’échelle d’une classe puisque le nombre d’élèves n’est pas un obstacle à la participation de tous, d’une part, et parce que l’intérêt pour les élèves est d’apprendre la vie politique et non de déléguer cet apprentissage à des représentants mieux formés.

Vivre l’expérience démocratique

Comment peut-on agir au sein de nos établissements pour insuffler davantage de démocratie ? Il ne s’agit pas de tout réinventer mais simplement de faire évoluer ce qui existe déjà. On demande à l’école de former des citoyens mais pour apprendre la démocratie, il ne suffit pas d’en clamer les principes, il faut les incarner. Nous faisons l’hypothèse que c’est en vivant l’expérience démocratique et en prenant en charge des responsabilités que chacune et chacun se forme, progressivement, à la démocratie et à sa complexité.

Dans les classes avec des conseils d’élèves réguliers, on observe (voir plus haut) une baisse de la référence individuelle en cas de problème ou de proposition à faire, elle passe de 62 % à 18 %. On observe aussi une diminution drastique de la référence à un interlocuteur non défini dans les classes coopératives (de 31% à 6% en fin d’année) alors que pour les classes témoins, cette référence est en augmentation (de 13 % à 27 % en fin d’année).

Par ailleurs, alors que les classes témoins font peu référence à un engagement du collectif pour modifier l’organisation de la classe (13 % sans évolution dans l’année), les classes coopératives montrent une augmentation nette des élèves s’engageant dans une organisation collective (de 14 % à 48 % en fin d’année)

La classe coopérative semble donc offrir un dispositif qui permet aux élèves de s’engager dans des réflexions collectives pour proposer des changements : le conseil d’élèves3. L’augmentation importante des élèves signalant cette possibilité et la répétition du terme « conseil coopératif » dans les réponses (15/60) démontrent une prise de conscience de cette instance collective en diminuant les références individuelles. Par ailleurs, la référence à cette instance s’accompagne souvent d’une recherche de propositions dépassant ainsi le simple constat résigné. Cela est renforcé par la baisse de références individuelles sans interlocuteur défini, qui démontre dans les classes témoins une absence de référence claire et peu de force de proposition face aux problèmes.

Des décisions collectives

Les conseils d’élèves4 sont des temps réguliers qui rassemblent les élèves autour d’un rituel très précis permettant de faire des propositions, de les soumettre à la délibération et à la décision collective. Le débat démocratique s’engage autour de problématiques locales en lien avec le quotidien des élèves : le travail en groupe, l’entretien de la salle, la gestion des prises de notes pour les absents, l’organisation d’une sortie, etc.

Cette organisation collective associée à la prise de décisions concrètes permet d’engager davantage les élèves dans des prises de responsabilité puisque les propositions votées sont prises en charge par les élèves eux-mêmes qui doivent en rendre compte régulièrement lors des conseils successifs. C’est donc bien la participation de tous les élèves aux conseils de classe mais aussi aux décisions de la classe par le biais de conseils d’élèves qui constitue un outil d’apprentissage de l’émancipation politique.

Le statut des délégués : des évolutions possibles ?

Quelles autres pistes s’offrent à nous ? Nous pouvons aussi mettre en place des conseils de classe plus participatifs fondés sur des entretiens individuels avec chaque élève. Cette nouvelle modalité de conseil de classe interroge la place des délégués car ceux-ci ne sont plus là en tant que porte-parole des élèves si tous les élèves sont présents à leur conseil. Comment réinventer alors le rôle des délégués ?

En terminale coopérative, au lycée Jacques-Feyder, nous essayons depuis deux ans d’expérimenter des représentants temporaires des élèves, qui changent pour chaque mission. Nous avons procédé à l’élection des délégués, puisque la loi l’impose, mais nous choisissons en conseil d’élèves des représentants à chaque nouvelle réunion des délégués de classe à l’échelle du lycée. Durant les conseils de classe, chaque élève est présent pour son propre cas. Ils peuvent être accompagnés s’ils le souhaitent, mais ils décident alors auparavant, lors du conseil d’élèves, si oui et par qui. Tout en demeurant dans le cadre légal, nous avons donc essayé de promouvoir une participation élargie des élèves de la classe aux fonctions de délégué de classe.

Si chaque classe avait son conseil d’élèves nous pourrions aussi imaginer un conseil élargi des élèves à l’échelle de l’établissement avec un représentant de chaque classe, cela pourrait se faire également sous forme de conseil coopératif, si tous les élèves ont été formés à cette pratique. Ce modèle d’assemblée élargie est d’ailleurs déjà utilisé dans certains établissements expérimentaux. Cela permettrait de recueillir les besoins des élèves et de mettre en place des projets qui leur ressemblent.

Pour réaliser ces rêves de démocratie lycéenne, emparons-nous des possibles qui s’offrent à nous afin de faire de nos élèves des citoyens éclairés, acteurs de leurs apprentissages et de leur avenir.

Alexis Beaulieu, Raphaël Delarge, Cécile Morzadec et Laurent Reynaud
Enseignants des lycées Jacques-Feyder d’Epinay-sur-Seine et Louis-Armand d’Eaubonne

À lire également sur notre site :

Référents, journées et semaines dédiées : et si on dépassait la pédagogie du bling-bling ?, par Guillaume Caron, Cyril Lascassies et Laurent Reynaud


 

Sur notre librairie

La parole des élèves

Un dossier sur la parole de l’élève à l’école : pour se construire une identité personnelle et collective ; pour penser, argumenter, apprendre, dans les disciplines, la vie de classe et d’établissement ; et pour l’intervention dans l’espace public et la représentation démocratique (délégués, conseil d’élèves, coopératif, CVC, CVL).

 


Notes
  1. C’est en effet l’impression que nous donne ce reportage : https://www.youtube.com/watch?v=0oAKqhKlIyk.
  2. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie_repr%C3%A9sentative.
  3. Article présentant l’immersion dans un conseil d’élèves : https://feydercoop.wordpress.com/2020/05/28/conseil-coop-ce-quon-vote-on-va-vraiment-le-faire/
  4. Présentation détaillée des conseils d’élèves au lycée Feyder: https://feydercoop.wordpress.com/2020/12/09/les-conseils-cooperatifs-deleves/.