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Pour un enseignement de l’écrit : faire écrire des textes à l’école

Luc Baptiste, ESF sciences humaines, 2021

Les premières pages introductives, véritables prolégomènes, posent de façon très claire la problématique : pourquoi une activité telle que l’écriture peut être à la fois une réjouissance quand elle rencontre notamment son public et une grande difficulté en termes de mise en œuvre en contexte scolaire ?

En parcourant dans les premiers chapitres l’histoire de l’enseignement de l’écriture, l’auteur, ancien professeur des écoles, philosophe et docteur en sciences de l’éducation, nous éclaire grandement sur la nature du problème. Il donne en effet les clés essentielles de sa compréhension, à savoir une sorte de didactisation excessive au détriment d’une pédagogie de l’humain. Au moyen de la traditionnelle rédaction, « invention étrange », plus qu’un simple exercice sans avoir pour autant l’ambition d’une œuvre littéraire, l’institution scolaire s’était donné pour mission de forger une culture républicaine et des références communes avec « l’exigence de scripturalisation de la langue parlée à l’école ».

L’auteur met en perspective les évolutions des instructions officielles successives, même avant Jules Ferry, en matière d’enseignement de l’écriture. C’est une investigation critique et engagée qui met en lumière les manques pédagogiques récurrents sans doute au profit d’une technicisation de cet apprentissage, et les allers-retours, pour ne pas dire les contradictions entre les prescriptions et les approches. Au fil des réformes, et alternativement, on a demandé aux petits Français de s’inscrire dans des formats très normés ou au contraire de produire des écrits très personnels et singuliers. « Les [différents] modèles identifiés comme des discours hétérogènes (…) se succèdent, coexistent parfois, [mais] ne s’effacent pas mutuellement », et, fatalement, n’apportent toujours pas de « définition stable de ce qu’est enseigner l’écriture ».

Promouvoir une écriture littéraire

L’auteur ouvre heureusement des pistes, notamment autour de l’écriture narrative, cette « écriture de soi ». Il insiste sur la nécessité de l’enseigner en priorité, d’abord parce que « ce type d’écriture apparait comme le volet le plus remarquable des programmes récents pour l’école primaire, [et] c’est celui qui pose le plus de difficultés autant aux élèves qu’aux enseignants ». Il faudrait bien évidemment l’enseigner autrement qu’en appliquant mécaniquement de trop simplistes procédures standardisées. L’élève doit être mis « en capacité de s’autoriser à interpréter le monde, de se faire entendre et, au mieux, d’être créatif ». La démarche présentée tourne le dos à une écriture scolastique « neutre » et pauvre qui rentre dans des cases préétablies, et promeut plutôt une écriture littéraire qui échapperait un peu, ou un temps, à la sacrosainte  évaluation sommative. Chercher ou construire d’abord de la littérarité dans ce qui ne semblerait qu’ordinaire dans le champ des expériences de sa vie personnelle, on peut alors partir à la rencontre de ses lecteurs pour les interpeler, créer du dissensus fertile et donc de l’échange.

Tout cela s’inscrit dans la compétence de l’enseignant d’enrôler ses apprentis-écrivains dans cette aventure introspective. C’est la part du maitre, sa faculté d’être au bon endroit au bon moment, d’improviser, de « faire avec la liberté de l’élève, voire avec sa résistance ». Il s’agit là concrètement d’inventivité professionnelle, en un mot, de pédagogie.

Une seule double condition, essentielle, pour que ça marche enfin : faire écrire beaucoup et souvent. Ça pourrait sembler évident, mais l’auteur, parmi d’autres observateurs experts, fait le constat sur le terrain de cette extrême faiblesse en quantité, en qualité et en densité des pratiques scripturales dans les classes primaires françaises.

Dédramatiser et accompagner

Pour enclencher la dynamique vers du plus et du mieux, l’auteur encourage l’adoption et le développement d’une batterie précise de gestes et de postures professionnelles : faire verbaliser, à tous les moments de l’écriture, faire raconter, faire se raconter, pour trouver de nouveaux mots plus précis, de nouveaux éclairages pour la suite ; enseigner la description, faire chercher dans le détail de ses images mentales pour les transcrire ; accorder de la valeur et de la singularité aux propos puis aux écrits des élèves, non seulement en les partageant au sein du groupe mais également en les éditant ; faire des apports culturels, des liens, du réseau et du nourrissage littéraire  pour enrichir les textes dans un cercle vertueux, conjoindre et mêler « un enseignement de la littérature, de la parole, de l’écriture ».

L’approche proposée, longuement et précisément décrite, assurément heuristique, ne fait pas baisser l’exigence, bien au contraire : parce que l’engagement des élèves dans cet apprentissage aura été dédramatisé et fortement accompagné, une véritable discipline de chantier chère à Freinet finit par s’imposer dans la classe pour permettre l’accès à cette littérarité et à cette « posture d’auteur ».

Ben Aïda