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Pour que la démocratie entre à l’école

Eveline Charmeux (dir.), Éditions du Croquant, 2021

Cet ouvrage se présente d’une manière originale sous la forme d’un dialogue pédagogique et très engagé politiquement, écrit à plusieurs mains à propos des turpitudes, turbulences voire désastres scolaires. Autrement dit, comment les nouvelles politiques éducatives depuis 2017, ont fait des dégâts à l’école dans le système éducatif français. Les six signataires sont : Simon sous anonymat, qui est un inspecteur à la retraite, deux enseignants, Jean-Louis Briand et Alain Miossec, un psychologue scolaire, Laurent Carle, un enseignant en activité, David Sire, et Eveline Charmeux, chercheuse et professeure d’école normale qu’il n’est plus nécessaire de présenter.

Les auteurs déclarent avec engagement que les politiques éducatives ne devraient pas renoncer aux visées démocratiques de l’école. Le lecteur se trouve ainsi embarqué dans une discussion d’analyse critique de certaines directives et nouvelles prescriptions du ministère de l’Éducation nationale, dont les nombreuses brochures et l’amoncellement des réformes scolaires sont témoins. Une discussion vive est déclenchée sur les prescriptions scolaires, ce que ces dernières sont censées changer dans le métier d’enseignant, dans les pratiques, sur ce qu’elles privilégient ou mettent en sourdine. Les six débatteurs jouent volontairement de styles différents, avec le crayon du côté de la métaphore, avec une mise en scène dramaturgique pour mieux faire vivre les controverses.

En tant que lecteur, on y trouve une mine d’or d’extraits de plusieurs conversations à la fois très politiques et pédagogiques, concernant les enjeux les plus importants de l’enseignement. De multiples extraits du blog connu d’Eveline Charmeux (Le blog de l’amie scolaire : questions de profs) ou parfois de celui du Café pédagogique sont portés à notre attention.

Inventaire des « erreurs et confusions »

Les thèmes traités au cœur des explications croisées par les six auteurs, nous nous en doutons fort, montrent que nous n’avons parfois pas beaucoup avancé en pédagogie – la pédagogie bégaie ! – ou que nous n’arrivons clairement pas à penser d’une manière complexe la construction des savoirs scolaires dans le cadre des politiques éducatives actuelles. C’est pour cela que la troisième partie tente inlassablement d’établir l’inventaire de nombreuses « erreurs et confusions » en rapport avec l’enseignement de la lecture, l’approche de l’écrit, « la lecture à haute voix », « déchiffrer oralement », « lire à voix haute », « la fluence », « la vitesse de lecture », « l’accélération du déchiffrage oralisé », « évaluer », « mesurer », « juger », « l’esprit de confiance », « l’esprit critique », « enseigner », « dresser », en mettant en exergue les querelles de méthodes. Le lecteur peut ainsi saisir les malentendus ou les raccourcis voire les simplifications persistantes ou les interprétations du sens commun, qui brouillent le sens plutôt que s’ancrer dans les travaux didactiques autrement plus exigeants sur ce que signifie apprendre à lire, apprendre à écrire, apprendre à l’école.

Pour les auteurs, « tout n’est pas foutu » toutefois : il y a à reconstruire la démocratie par et dans l’école avec l’urgence de refaire ses lectures en commençant par Ferdinand Buisson, et tous les auteurs amplement portés par Philippe Meirieu et ses « six propositions pour une école démocratique », dont l’une d’entre elles est de se poser, d’apprendre à réfléchir, ce qui implique forcément de décélérer. D’arrêter de perdre du temps à l’école et de faire le tri dans les activités scolaires, qui ne sont pas formatrices, qui n’apprennent rien aux élèves. De mettre au centre l’attention des élèves. De s’intéresser au rôle du corps des élèves au sein des apprentissages. De bien prendre en compte les retombées négatives du rôle de l’évaluation à outrance qui tue l’envie d’apprendre. De se cultiver pédagogiquement et de voir en toute éthique les effets négatifs de tout cette évaluation par des notes chiffrées ! Que l’évaluation formative mesurant les progrès de l’élève et « le chef d’œuvre » soient des pratiques plus communément portées dans les classes avec une seule urgence : que les élèves apprennent à penser.

Pour s’en sortir, pour espérer encore un changement possible pour plus de démocratie à l’école, les auteurs rédigent même une première mouture d’une « Déclaration des droits des acteurs de l’école », selon laquelle, un projet de l’école démocratique doit impliquer tout le monde.

Les auteurs voient encore une séparation entre différents mondes qu’il faudrait relier : entre les politiques et les réalités scolaires, entre la population et l’école. Ils se risquent avec courage à donner des pistes à « l’ébranlement » qui ouvrira les portes de l’école pour tous : penser autrement l’évaluation, modifier le travail de lecture, donner plus d’importance aux arts, installer des séances de régulation en classe, modifier les pratiques de correction, de lecture, des devoirs, du travail scolaire, de la dictée, bref, les manières de vivre et apprendre en classe. Mais là, je m’arrête afin d’inviter le lecteur à découvrir le texte tricoté par les auteurs qui nous donne des élans pédagogiques pour mieux faire classe, pour mieux faire école. Pour les lecteurs qui souhaiteraient découvrir davantage les divers ancrages scientifiques ou politiques des arguments avancés dans l’arène de cet ouvrage, une exposition des références plus précise et rigoureuse aurait été bien utile.

 Andreea Capitanescu Benetti