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Parcoursup : un changement en profondeur

La loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) de 2018 a instauré un nouveau dispositif de régulation d’accès à l’enseignement supérieur. Au cœur de ce dispositif se trouve Parcoursup, plateforme numérique qui met en relation des candidatures et des établissements d’enseignement supérieur, et classe les demandes des futurs étudiants et étudiantes selon les critères établis par les formations du supérieur. Bien que récent, ce système d’affectation est l’objet de plusieurs analyses scientifiques, en particulier de sociologues, qui visent à démontrer qu’au-delà de la dimension technique et procédurale de Parcoursup la plateforme modifie en profondeur les conditions d’accès à l’enseignement supérieur.

Malgré le traitement à grande échelle des vœux que suppose Parcoursup, l’une des dimensions la plus mise en avant par la loi repose paradoxalement sur la promesse d’une individualisation du traitement réservé aux étudiants1. L’enjeu est d’« accompagner chacun vers la réussite » grâce à un suivi renforcé des bacheliers. Les promoteurs de la loi s’engagent à endiguer le taux d’échec (du moins ce qu’ils analysent comme tel) en licence en mettant en acte les principes du continuum de bac – 3 à bac + 32.

Algorithmes et fiches avenir

Comme l’analysent les sociologues Leïla Frouillou, Clément Pin et Agnès van Zanten, plusieurs aspects de la réforme consistent à formaliser et à multiplier les interactions entre les enseignements secondaire et supérieur3. En dépit d’un manque de formation et d’accompagnement, l’implication des enseignants et des enseignantes est rendue nécessaire pour la production de « fiches avenir » individuelles pour chaque lycéenne et chaque lycéen, qui contiennent les notes et une appréciation sur le profil de l’élève de la part du professeur principal, ainsi que l’avis du chef d’établissement sur le choix de formation. Elles sont ensuite évaluées à l’aide des algorithmes paramétrés localement par les commissions d’évaluation des vœux, composées pour chaque formation du supérieur d’enseignants-chercheurs.

Le sociologue Vincent Tiberj souligne que ces reconfigurations de l’accès à l’enseignement supérieur impliquent des changements de stratégies de la part des lycéens, de leurs parents et des établissements du secondaire comme du supérieur : Où scolariser son enfant ? Faire ou non pression sur la notation ? Adopter une politique de double bulletin (un premier pour l’élève et sa famille et un second pour le dossier Parcoursup), etc. ?4

L’usage des algorithmes dans le processus d’affectation des bacheliers et des étudiants à l’enseignement supérieur constitue la dimension la plus discutée de la loi ORE. Vincent Tiberj s’est intéressé en particulier au rôle des algorithmes et à leurs effets concrets dans le processus de sélection des étudiants à Sciences po Bordeaux5. Cet outil d’aide à la décision est selon lui d’un usage précieux pour la plupart des établissements d’enseignement supérieur qui n’ont pas les ressources pour traiter l’afflux des candidatures. Le sociologue pointe aussi positivement l’ouverture sociale des filières sélectives qu’induit la loi ORE : elle instaure localement des quotas de boursiers, pris en compte par le paramétrage algorithmique, dans le classement final d’admission. Il nuance néanmoins son propos : « Le calcul du taux de boursiers à atteindre est fonction du nombre de boursiers candidats, pas de leur proportion dans la population lycéenne. Si peu de boursiers se présentent, les objectifs seront très bas. On ne résoudra pas les effets d’autosélection ou d’autocensure. »

Tous classés

Enfin, la non-sélection caractéristique du monde universitaire a disparu. Toutes les filières doivent désormais élaborer un classement des candidats, et « le baccalauréat est en passe de devenir un simple critère d’éligibilité pour candidater, loin de l’accès de droit garanti auparavant dans une large partie des filières6 ». L’égalité de traitement des candidats a été ainsi remise en cause par la loi ORE. Leïla Frouillou, Clément Pin et Agnès van Zanten font l’hypothèse d’une mise en concurrence des usagers de Parcoursup entre eux, inégalement capables d’utiliser de façon stratégique les principes et les mécanismes implicites de la plateforme numérique. Il s’agirait, selon eux, d’ouvrir un champ de recherche sur les inégalités produites par la loi ORE quant aux choix d’orientation et aux affectations des lycéennes et lycéens dans les formations d’enseignement supérieur.

Marie Lauricella
Chargée de médiation scientifique, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon).

Notes
  1. Élise Tenret, « L’orientation à l’heure des algorithmes. Sélection automatisée, vécu de l’orientation et sentiment de justice parmi les étudiants », in Valérie Cohen-Scali (dir.), Psychologie de l’orientation tout au long de la vie. Défis contemporains et nouvelles perspectives, Dunod, 2021, p. 171-192.
  2. Pour une lecture critique du discours politique sur le taux d’échec à l’université, voir Pierre Clément, Marie-Paule Couto, Marianne Blanchard, « Parcoursup : infox et premières conséquences de la réforme », La Pensée no 399, 2019, p. 144-156.
  3. Voir « Le rôle des instruments dans la sélection des bacheliers dans l’enseignement supérieur. La nouvelle gouvernance des affectations par les algorithmes », Sociologie, vol. 10, no 2, 2019, p. 209-215.
  4. Voir « Parcoursup ou la sélection par les algorithmes », paru le 12 janvier 2021 sur le site La Vie des idées.
  5. Ibid.
  6. Nicolas Charles et Romain Delès, Les Parcours d’études, entre sélection et individualisation. Une comparaison internationale, rapport de recherche, Cnesco, 2018, p. 28.