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Parce que chaque élève compte. Enseigner en quartiers populaires

Mohand-Kamel Chabane et Benoit Falaize (dir.), L’École des Lettres, 2022

Ce livre est une suite de Territoires vivants de la République, travail collectif relatant des expériences riches et des pratiques pédagogiques d’excellence dans des établissements en REP, un ouvrage qui n’avait pas connu le succès qu’il aurait mérité. Il est vrai qu’on préfère brocarder les ZEP et donner la parole à ceux qui les quittent, après parfois un séjour bref, dans l’amertume ou l’incompréhension. Dans un avant-propos d’ailleurs, les coordonnateurs se demandent : « avons-nous échoué ? » (à se faire entendre par un large public, alors même que les grands médias s’intéressent peu au fond à la réussite des élèves à l’école)

Ici, des acteurs engagés parlent de ce qu’il est possible de faire, sans méconnaitre les difficultés, sans que soient présentés des cas extraordinaires. Leur but : prendre en compte les élèves tels qu’ils sont, avec cependant leurs aspirations à « être quelque chose », à « compter ».

Kenzo, auteur d’une étonnante « lettre à Pierre Bourdieu », résume une grande part du livre quand il affirme, rapporté par Elsa Bouteville, professeure des écoles, « est-ce que je suis obligé de rester comme je suis ? est-ce que je peux changer ? ». Il affirme son désir d’être « capitaine de soi-même », tout en sachant qu’il est difficile d’échapper à l’emprise du « quartier ».

Et dans les diverses contributions de ce livre collectif, on sent le même volontarisme, loin de l’imagerie réactionnaire des profs qui se soumettraient au « communautarisme », et renonceraient aux ambitions culturelles. Fabrice Krot montre ce qu’a changé la mise en place ambitieuse d’une Maison des sciences,  Isabelle Niveau évoque sa belle expérience de théâtre en collège et lycée à Kourou. Dans divers lieux, on travaille sur les « mémoires » (guerre d’Algérie, esclavage et bien sûr la Shoah) et Aurélien Sandoz, professeur d’Histoire exprime sa colère « contre tous ceux qui fantasment une jeunesse qui serait enflammée par les concurrences mémorielles » alors que pour lui elle est curieuse d’histoire et bien plus ouverte au dialogue qu’on ne le dit. A Paris, au collège Flaubert, on reçoit Lassana, le « héros » de l’Hypercasher de 2015, autre manière de « faire vivre les valeurs de la République », lesquelles sont travaillées chaque année dans un projet global au collège Vauban de Belfort. L’apprentissage du « parler juste » s’effectue maintenant dans nombre d’établissements, comme au collège Alain Fournier du Mans, tandis qu’à Nantes, une opération « tire ta langue » permet le partage de cultures.

Dans un entretien final, Philippe Meirieu note « le plaisir malsain d’annoncer les mauvaises nouvelles et la jouissance perverse de désigner des bouc émissaires ». Nul doute que ceux qui s’en font un fonds de commerce qualifieront d’angéliques ces témoignages de pratiques (le fameux « bisounours »). Ce sont pourtant des pratiques réelles, qui montrent la richesse du travail d’un grand nombre d’enseignants, occulté par ce vieux fonds mortifère de pessimisme et de cynisme.

Faisons connaitre ce livre qui réconforte et stimule.