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« Oui, il y a de réelles inquiétudes sur le terrain »
Cet article vient compléter l’enquête actualités sur les rythmes scolaires présentée ici.
Vous avez été critique sur la réforme des rythmes scolaires. Que lui reprochez-vous et y voyez-vous des points positifs ?
L’accord qui a toujours été le mien avec M. Peillon est de devoir revenir sur la semaine de 4 jours, généralisée sans prise en compte des besoins des enfants, qui plus est des plus fragiles, par le décret Darcos de 2008.
Mais ce que je lui reproche justement c’est d’être reparti de ce décret au lieu d’en réécrire un correspondant à l’ambition qui était la sienne, à savoir refonder l’école. Pour répondre à cette ambition dès la mise en œuvre de cette réforme, il aurait été judicieux de ne plus ne s’intéresser qu’aux rythmes scolaires mais bien de s’attaquer à l’aménagement des temps des enfants, tout au long d’une journée et d’une semaine voire de l’année et ne pas oublier qu’un tel aménagement dépend de celui des espaces. Il aurait même été intéressant d’inscrire cette réforme dans un projet de société, ce qui aurait pu se faire si le décret en question n’avait pas été porté uniquement par l’Éducation nationale, mais bien en interministériel, associant à la réflexion de l’Éducation nationale, Jeunesse et sports, l’éducation populaire, les ministères de la culture, de la santé, de la famille et du travail.
On n’en serait alors pas resté à ne réfléchir qu’à un changement marginal d’emploi du temps scolaire (qui ne représente que moins de 10% du temps de vie total de l’enfant) en demandant aux collectivités de se charger des autres temps de l’enfant, ce qui actuellement laisse libre cours au renforcement des inégalités territoriales alors même qu’on voit fort bien que toute la société est concernée par ce changement.
Cela aurait surtout permis d’emblée de faire entendre aux enseignants que la réussite des enfants ne pouvait être au rendez-vous qu’à la condition qu’ait lieu un changement important dans leur usage des temps, impliquant un changement dans leurs pratiques pédagogiques et d’évaluations, mais aussi nécessitant de travailler sur les contenus et la répartition de ces temps et pas uniquement sur des horaires.
Cela aurait encore permis d’insister sur la nécessité de faire prendre conscience aux différents acteurs de leur responsabilité particulière dans la réussite éducative des enfants. Ce qui nécessite, je le reconnais pour le vivre en permanence par rapport au travail de terrain que je fais depuis des mois, un apport d’informations et de connaissances concernant à la fois l’enfant et le fonctionnement de ses rythmes biologiques (que personne ne connait vraiment) et les effets différents mais parfois complémentaires de l’ensemble des partenaires de la communauté éducative, parents, animateurs, Atsem, professionnels de l’enfance, élus mais aussi enseignants.
Le ministère avait aussi laissé entendre qu’en renforçant l’importance de l’apport éducatif des collectivités il permettrait plus d’ouverture de l’école sur la cité : mais cela nécessite une confiance réciproque des différents acteurs ayant en charge l’éducation globale de l’enfant. Les milliers de rencontres réalisées au cours de cette année me laissent très sceptique quant à cette réalité !
Le point le plus positif est que ce ministère s’était engagé à « bousculer » l’école primaire pour lui donner un élan nouveau et permettre le changement de fond nécessaire au retour d’une école « ascenseur social » pour tous les enfants de ce pays.
Que faudrait-il faire aujourd’hui, concrètement, pour améliorer l’existant et « sortir par le haut » des désaccords ?
Oui il y a de réelles inquiétudes sur le terrain : inquiétudes des familles, soucieuses de la qualité de vie de leur enfant quand elles n’attendent pas uniquement que ceux-ci soient bien gardés de 7h30 à 18h30, inquiétudes des enseignants qui ne voient pas forcément leur qualité de vie professionnelle améliorée par ce changement, inquiétudes des collectivités par rapport aux moyens qu’elles auront pour assurer les formations nécessaires, mais aussi pour faire perdurer les choses quand l’Etat se sera désengagé et que les subventions seront diminuées, ce qui est déjà programmé, ou devant le non-sens de faire venir de loin des professionnels pour un quart d’heure d’intervention.
De nombreuses communes, et même communautés de communes, ont fait le choix de construire des projets éducatifs avec toute la communauté éducative. Cela devrait servir de base expérimentale et permettre de prouver que d’autres formes d’organisation sont plus à même de répondre aux attentes de changements positifs. Ce serait pour le moins un premier pas vers un assouplissement du décret qui deviendra urgent quand toutes les communes devront partir et risquent de le faire dans la cacophonie.
Enfin, chaque adulte doit s’interroger sur ce qu’il doit – et peut – modifier dans ses habitudes quotidiennes pour dépasser ses seules contraintes ou parfois son seul confort personnel.
Tout cela aurait dû être fait avant de lancer la « réforme », mais il n’est jamais trop tard pour bien faire !
Qu’est-ce que les spécialistes des rythmes ont à dire des enfants fatigués, de la nécessaire coupure du mercredi, etc. ?
Les rythmes biologiques sont le propre du vivant, Alain Reinberg disait que pour bien les respecter il faut bien les connaître, ce que je partage avec lui. Mais quand il s’agit de l’enfant, on doit aussi s’intéresser à son développement psychologique et aux effets des contextes de vie dans lesquels il est situé. C’est pour quoi je ne cesse de rappeler par exemple que les capacités attentionnelles de l’enfant sont totalement dépendantes à la fois de sa vigilance physiologique (d’où la nécessité de respecter une régularité dans son rythme veille-sommeil) mais aussi de l’intérêt qu’il a pour la tâche qu’il est en train de réaliser et du sens qu’elle a pour lui. D’où l’importance de former les enseignants sur les pratiques et les contextes d’apprentissage utiles pour développer sa motivation intrinsèque, pour lui permettre de s’autoévaluer, de s’autodéterminer, de comprendre comment il apprend, ce qui lui pose problème dans ses apprentissages. D’où l’importance de considérer les temps à travers leurs contenus et non d’un point de vue quantitatif. Et pour cela d’avoir des enseignants ayant une vraie qualité de vie professionnelle.
Cette problématique doit donc prendre en considération les connaissances scientifiques que l’on possède, mais pas uniquement celles relatives aux rythmicités biologiques.
Évidemment, ces interrogations sont aussi de l’ordre du politique, mais cela devait s’inscrire dans un choix de société, interroger tout le monde sur ce que chacun attend de l’éducation de nos enfants, pas uniquement sur l’éducation reçue à l’école. Quelle éducation pour que chacun de nos enfants devienne un citoyen responsable des choix de vie qu’il aura pu faire parce qu’on l’aura aidé à les faire avec pertinence ?
Claire Leconte, spécialiste des rythmes de l’enfant et de l’adolescent