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Nous mettrons nos enfants à l’école publique…

Philippe Meirieu nous envoie, avec ce petit livre de 100 pages, un cri, un appel à réagir, en forme parfois de provocation. Ce qui est plus particulièrement visé est la coexistence de deux systèmes, le public et le privé (de trois même si l’on ajoute les « cours » privés et particuliers), et surtout la manière dont les Français les font jouer au bénéfice de leurs stratégies individuelles dans une concurrence de plus en plus âpre. La tonalité dénote une vue plutôt pessimiste des évolutions de notre système éducatif : « L’évolution générale va bien dans le sens de la guerre scolaire généralisée », écrit-il par exemple (p. 25).

L’auteur rappelle pour commencer quelques réalités du « zapping scolaire » des classes moyennes (30 % des élèves et 50 % des familles font aujourd’hui appel au privé) ; ceci non sans une certaine amertume vis-à-vis du camp laïque : « Les 10 millions de signataires de la pétition de 1959 se gardent bien de remettre en question un enseignement où se trouve une partie de leurs petits-enfants ! » (p. 31) La critique n’épargne pas l’État qui, avec la sectorisation de 1963, « a superposé la ségrégation scolaire à la ségrégation urbaine » (p. 33), du moins pour ceux qui choisissent son école ; ni l’enseignement privé « pris entre sa vocation – le souci évangélique du plus pauvre – et sa clientèle » (p. 47) ; encore moins les entreprises de soutien scolaire qui, grâce aux dispositions de réduction de l’impôt sur le revenu, parviennent à faire payer aux plus pauvres le double de ce que déboursent les plus riches ! Le problème est que ces dérives prospèrent sur de véritables faiblesses de l’enseignement public en matière d’accueil, d’individualisation et d’accompagnement pédagogique, de recours interne en cas de difficultés, de projets innovants et de formation à la citoyenneté. Elles conduisent directement, pour l’auteur, au triomphe des conceptions libérales, au développement du « home schooling » et à l’arrivée du « chèque-éducation ».

Dans une seconde partie, plus optimiste et davantage tournée vers un projet et des propositions, Philippe Meirieu développe les conceptions qui, selon lui, seraient susceptibles d’arrêter la spirale libérale et de « revenir au lien organique qui lie l’école et l’État », d’en refaire « une institution consubstantielle de la République » (p. 63). L’auteur nous propose alors un ambitieux « cahier des charges national de toutes les écoles et des établissements scolaires » (p. 82 à 91) valant tant pour le public que pour le privé, système qu’il souhaite associer ou unifier dans une organisation locale assez proche de celle du projet Savary de 1983. Dans ce nouveau système, les écoles et établissements, aux modalités de fonctionnement desquelles les citoyens seraient associés, développeraient des dispositifs de recours pédagogique dans un esprit de complémentarité plus que de concurrence, le véritable défi étant de « conjuguer une exigence forte de l’État et une véritable responsabilisation des acteurs » (p. 77), de façon à parvenir à « une grande fermeté sur les objectifs politiques et plus de souplesse dans les moyens de les mettre en œuvre » (p. 81). Précisément le contraire de la logique actuelle.

Tout cela, l’auteur en est bien conscient, repose sur un credo : « Les Français ne veulent pas du libéralisme de l’école du marché, ils veulent une école de qualité. C’est en tout cas l’hypothèse à laquelle je veux croire », nous confie-t-il (p. 72). Les deux dernières pages, en forme de lettre au lecteur, prennent un certain recul avec l’utopie et introduisent une certaine lucidité sur les limites de la réflexion. Reste en effet à ouvrir un débat politique sur les conditions de cette qualité. La concurrence non régulée actuelle, comme d’ailleurs l’uniformité bureaucratique d’hier et le corporatisme enseignant de toujours ne sont certes pas des gages de qualité éducative. Mais peut-on parier à ce point sur le succès de l’alliage improbable de l’autoritarisme national et du civisme local ?

Jean-Pierre Obin