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Natation : apprenons-leur d’abord à redevenir terriens !

Quelles compétences aquatiques à faire construire par des personnes ayant des difficultés dans ce milieu ?

« Le savoir nager correspond à une maitrise du milieu aquatique et ne doit pas être confondu avec les activités de la natation sportive. » (Programme d’EPS des collèges, BO spécial n° 6 du 28 aout 2008)

Depuis 2004, nous travaillons sur les compétences aquatiques. Progressivement, nous nous sommes rendu compte que toutes ces difficultés provenaient d’une même problématique : la séparation factuelle et conceptuelle du savoir nager avec les activités aquatiques sportives. Nous pensons que c’est ce cloisonnement qui crée une confusion dans les pratiques pédagogiques. Que ce n’est qu’en le dépassant que nous pourrons proposer une éducation aquatique complète, mais ciblée, à la fois culturelle et sociétale, surtout émancipatrice. Cet article propose une démarche se voulant « intégrante », articulant les sports aquatiques et la sécurité du savoir nager dans la même compétence.

Commençons par observer un peu l’activité de nos élèves, et quelques incohérences fréquentes, mais symptomatiques…

Voyage à l’intérieur d’une séance de lycée

Ces élèves sont ceux d’une classe de seconde. Ils vont débuter, au minimum, leur deuxième cycle scolaire de natation. L’enseignant se met en retrait, indiquant simplement les espaces de travail.

Un premier élève entre et se lance dans un crawl effréné : ses bras claquent l’eau, fréquence importante, sa tête oscille de gauche à droite, son battement est sur six temps. « Tu voulais faire une course ? — Non je nageais pour rejoindre l’autre bord ».

Un deuxième semble préparer une coulée. Debout, pied de poussée sur le mur derrière lui, l’autre au sol, il tend ses bras sur l’eau. Il pousse, la tête en arrière pour voir son « point de chute », son corps part vers le haut puis tombe à plat. Beaucoup de mousse et de vagues. « Pourquoi tu ne montes pas tes deux pieds sur le mur avant de pousser ? — Pour ne pas couler, m’sieur ! »

Une fille nage tranquillement la brasse à moins d’un mètre le long du mur… Un moment de panique quand elle s’en approche : trois ou quatre mouvements très rapides de bras pour s’accrocher. « Tout allait bien, pourquoi as-tu paniqué sur la fin ? — Je faisais bien mes mouvements de bras, mais, au mur, je ne tombe jamais juste et je bois la tasse. »

À côté, un élève se déplace en dos crawlé, gainé des orteils au bout des doigts, le visage crispé à chaque fois que ses bras l’éclaboussent en claquant l’eau.

Quelques-uns font demi-tour au milieu du bassin, plus de six mouvements leur sont nécessaires, c’est étonnant, car ils se débrouillaient en crawl…

Trois élèves ne nagent que là où ils ont pied, en brasse, tête hors de l’eau. « Monsieur, on ne sait pas bien faire là-bas, dès qu’on n’a plus pied, on stresse et on n’arrive plus à nager ».

Quelques-uns restent accrochés au bord côté petit bain.

Certains ont « oublié leurs affaires » ou ne sont pas venus à la première leçon…

Ces constats classiques sont révélateurs autant de problèmes techniques, d’une mauvaise compréhension du fonctionnement du milieu, que d’une lucidité déterminante pour l’enjeu sécuritaire. Ils sont liés au cloisonnement conceptuel. Lors des stages de formation continue, des questions démontrent les obstacles didactiques concrets ressentis par les enseignants :

  • Quel est le « bon moment » pour arrêter la familiarisation au milieu et entrer dans l’apprentissage du « vrai » sport natation ?
  • Pourquoi coulent-ils lorsqu’ils arrêtent de battre des jambes en crawl ?
  • Est-ce normal d’avoir autant d’élèves qui ne savent « nager » que là où ils ont pied ?
  • Par quel « bout » commencer avec les niveaux intermédiaires, tant les problématiques sont différentes ?
  • Est-ce normal qu’un « nageur » ait des difficultés à « se sauver » après quinze minutes de sprint au milieu du bassin ?
  • On leur apprend la brasse ou le crawl en premier ?
Enjeux et débat : un enseignement analytique de la natation…

L’histoire de la natation et de son enseignement a débouché sur la construction d’un rapport confus et conflictuel de nos élèves avec les exigences du milieu. Un rapport à l’apprentissage aquatique basé sur l’effort musculaire, la distance à franchir, sur la poussée d’Archimède à défier, sur l’abandon violent du confort respiratoire, etc. Un rapport finalement accepté et intégré. Ne dit-on pas devant une situation difficile : « Il va bien falloir se jeter à l’eau ! » Comment les « jette-t-on à l’eau » à l’école ?

Jean-Luc Ubaldi1 décrit les deux options pédagogiques distinctes qui organisent nos modes d’entrée dans l’activité : celle du choix de la natation sportive comme champ culturel exclusif et celle, séquencée, d’un temps de familiarisation avec l’eau qui laisse ensuite place à une logique sportive.

Dans l’option de l’entrée par la « natation sportive », on fait le pari que des compétences exclusivement sportives sont suffisantes à la maitrise du milieu. Mais ne constatons-nous pas, souvent, que même des élèves débrouillés, confirmés, ou même experts (compétiteurs) présentent des difficultés ou incohérences sur certaines problématiques aquatiques ?

De l’autre côté, c’est la maitrise de prérequis de formes aquatiques, plus ou moins codifiées et validées qui permet, ensuite, d’accéder à l’acquisition de compétences sportives (considérées comme plus complexes).

Deux questions de sens sont alors en jeu : le rapport à la culture et la pertinence de cette progression. Par exemple, quand on propose d’évaluer l’étoile ventrale ou dorsale, alors que la densité des cuisses chez certains individus la rend impossible, et que cette posture n’est en rien de la natation sportive et ne révèle aucun bienêtre maitrisé…

Ce choix est une telle évidence méthodologique, ces modes d’entrées sont des allant-de-soi si profonds, qu’ils ne permettent plus de questionner les pratiques.

Il nous faut dépasser ces convictions. Le passage à l’évaluation par compétences et l’institutionnalisation du savoir nager comme élément de culture fondamentale, mais aussi distinct des compétences sportives, nous presse dans ce sens. Alors quoi, faire de la natation sportive, ce n’est pas savoir nager ? « Savoir nager » ne pourrait-il pas répondre à une logique d’efficacité ?

Entre efficacité, confort et sécurité : redéfinir le domaine de compétences

Le problème posé est celui de la cohérence d’ensemble. Nous postulons qu’il faut « intégrer » sans se disperser, réduire les objets d’enseignement sans cloisonner, à l’aide d’une nouvelle logique. Pour la comprendre, interrogeons-nous, comme nous l’avons fait aux prémices de notre démarche, sur les difficultés rencontrées par ceux qui ont le plus de problèmes, ceux qui ne décollent pas les pieds du fond : pourquoi ne peuvent-ils pas construire l’allongement aquatique ? La plupart des enseignants sont en échec face à ce type de conduite. Nous avons réalisé que le problème n’était pas simplement d’apprendre à s’allonger sur l’eau ou de comprendre qu’ils pouvaient flotter, car ils avaient tous déjà vu ou vécu que le corps humain le pouvait. Le problème de ces gens est de devenir compétent pour revenir à « la vie ». C’est la capacité à se redresser à volonté sur les pieds, efficacement et en toute quiétude.

Sortir des allant-de-soi évoqués précédemment, c’est changer son filtre d’analyse, car ce problème est un vrai problème de nageur. Ne leur apprenons plus à oser psychologiquement, ni à faire l’étoile ou la boule, mais plutôt à trouver des appuis et une rotation pour se redresser confortablement. Puis à se redresser de plus en plus loin et de plus en plus tard, avec encore plus d’« efficacité sportive » des bras, de relâchement et de rotation.

Proposer une pratique sportive qui « intègre » l’enjeu sécuritaire consiste ainsi à mettre l’élève dans l’obligation de faire la preuve de son confort dans sa recherche « d’efficacité sportive ». Il nous faut envisager un ensemble d’actions dans l’eau, qui consacrent successivement, ou simultanément, une motricité dédiée à la performance sportive et une motricité dédiée au confort et à la quiétude.

Dès cet instant, la conception du savoir nager est celle d’un principe intégrant, un principe à la fois d’efficacité et de confort. L’augmentation de l’un ne pouvant se passer de la gestion de l’autre.

Introduction de la notion de « réchappe natatoire »

Entrons sur l’efficacité sportive de cette technique. Elle semble si lointaine de la natation sportive ! Nous pensons au contraire qu’elle en fait totalement partie.

Allongé sur le ventre, les bras flottant le long des oreilles, paumes à plat sur l’eau, se redresser, c’est fléchir les genoux sous le torse (rotation) et se propulser avec les bras qui appuient ou s’écartent vers l’arrière. Les pieds cherchent le sol vers la fin d’une rotation plus ou moins engagée. Attention, la tête ne sort de l’eau que lorsque les deux pieds sont déjà au sol !

Certes, c’est d’emblée une action du « savoir nager » sécuritaire. La plupart des noyés le sont en milieu naturel, là où ils ont pied, et en présence de monde autour. Le nageur est perturbé et cherche sa posture du terrien. Dans la panique, il essaie de redresser la tête en appuyant avec ses bras sur l’eau, puis pédale avec ses jambes, ce qui l’amène à couler, à boire la tasse.

Cette technique est donc un « partir-revenir2 » propre aux principes sécuritaires. Je pars dans l’eau, nageur, j’en reviens, terrien, mais surtout confortablement. C’est un outil pour se gérer, et non une forme figée, ce que l’on appelle une « réchappe natatoire ».

Mais c’est surtout un problème complexe de nageur au sens large. Elle combine un couple de redressement, avec une action d’appui ou de propulsion des bras, différée et d’orientation mixte (dirigé vers l’arrière et le bas). Elle nécessite flottaison, propulsion des bras et rotation suivant l’axe du tangage. Cette rotation, qui est un couple de redressement, est une technique commune au plongeon-canard, au plongeon-phoque et à la culbute et constitue en plus, pour nous, les prémices d’une technique de tangage pouvant déboucher plus tard sur l’ondulation.

Quatre raisons de considérer cette « réchappe natatoire » comme un élément clé :

  • elle répond à une logique sécuritaire ;
  • elle peut être un lien entre deux autres actions de nageur ;
  • elle est un outil, pour l’élève, de gestion de son confort ;
  • sa coordination spécifique est de la natation sportive par essence.

Nous avons identifié six « réchappes natatoires ». Afin d’être plus concret, attardons-nous sur celle-ci qui nous apparait fondamentale et particulière, par le fait qu’elle peut se suffire à elle-même pour devenir une forme de pratique scolaire, adaptée à des élèves débutants ou présentant des difficultés.

Envisageons l’objet d’enseignement : « enchainer le minimum de redressements pour réaliser une distance donnée »

Organisation

  • L’élève a pied ;
  • Distance de douze mètres.

Consignes

  1. pose simultanée des pieds ;
  2. deux mouvements de bras seulement entre chaque pose de pieds ;
  3. propulsion des jambes interdites.

Double évaluation

  • CR efficacité : le moins d’appuis possible (moins de six) ;
  • CR fluidité : moins de remous possible = niveau 2 du code.

Exemples de variables

Sur la réussite :

  • le temps cumulé de « terrien » le plus petit possible ;
  • temps total sur les douze mètres.

Sur la motricité :

  • action alternée des bras obligatoire ;
  • action simultanée des bras obligatoire.

Un arrêt entraine la fin de l’essai. Un élève est considéré comme arrêté à partir de plus de trois secondes en terrien.

Les ressources

La première ressource que le nageur va devoir construire est celle de la technique pure du redressement, avec de simples appuis des bras. Cette ressource comporte les prémices de la natation sportive, mais sans l’enjeu d’efficacité, elle n’est que du savoir nager. C’est ensuite, en ayant l’obligation de se redresser le moins possible sur la distance, que le nageur devra intégrer une vraie propulsion des deux coups de bras dans son relâchement du bassin et des membres inférieurs, puis dans sa rotation en bascule. C’est à ce moment-là que l’enjeu sportif d’efficacité s’intègre. Il va falloir placer cette propulsion au meilleur moment. Le risque est d’obtenir des nageurs qui se construisent alors dans une efficacité violente, essayant de continuer à se propulser, à avancer, alors que les jambes commencent à couler. L’indicateur devient les remous, les déséquilibres et les mouvements parasites des jambes ou des bras. Il faut performer, en restant doux et fluide désormais. Les jambes coulent, parce que le nageur contracte les abdominaux et le psoas iliaque pendant l’action propulsive des bras. C’est l’efficacité naissante des appuis qui le provoque, il faut apprendre à sentir ce moment, pour déclencher alors le redressement sans avoir fait de remous ou se relâcher pour continuer en fluidité. Cette double évaluation doit donc organiser la réussite du nageur qui vient de naitre.

Une précision

Nous apprenons le « crawl-bras » à nos élèves à partir de la combinaison, en enchainement, de cette forme de pratique avec la réchappe roulis expliquée plus loin (cette dernière permet véritablement la construction d’un retour aérien du bras dans un roulis du corps entier).

Finalement, à partir d’un nouveau filtre, celui de la problématique « effort-inconfort », nous proposons de faire construire, dès le départ, des compétences de gestion de son niveau de confort, donc de sa sécurité, tout en développant des compétences sportives.

C’est en augmentant sa confiance dans l’efficacité de son redressement que l’élève va construire une phase d’allongement relâchée. C’est la vitesse, créée par une propulsion forte de ses deux coups de bras et par sa poussée des jambes, qui lui permettra d’être en réussite contrôlée.

Plus globalement, cela nous amène à organiser l’activité de l’élève dans une construction didactique intégrant plusieurs finalités (plaisir, sécurité et efficacité sportive) pour plusieurs types d’actions intégrées, combinées. Comme nous allons le voir, nous proposons à l’enseignant de créer des « enchainements » dans lesquels les « réchappes natatoires » sont des actions et aussi des éléments liant d’autres actions. Elles permettent les changements confortables et efficaces, autant que la gestion de sa sécurité.

Comme nous le constatons sur le « multi-redressement » ou « multi-bond aquatique », plus l’élève est débutant, plus l’intégration de la natation sportive dans le savoir nager se situe dans l’action technique elle-même ; plus l’élève est confirmé, plus l’intégration va se situer au niveau de la logique de l’épreuve, une logique de gestion d’un enchainement.

L’élève devra faire la preuve d’une gestion lucide des enchainements, à l’aune d’une double évaluation : réussir à glisser, à aller vite sur la partie sportive de l’enchainement, tout en restant fluide et continu sur l’ensemble. En somme, nous répondons à l’enjeu sécuritaire, par la mise en projet sur l’efficacité : il faut performer dans un contrôle. En cela, la logique des activités de pleine nature (CP2) est organisante, les projets construits sont légèrement sous-maximaux, ou optimaux. Nous proposons de faire construire une éducation aquatique dans la même veine, dans laquelle la gestion est aussi centrale.

Détaillons maintenant ce support pédagogique organisateur…

La notion d’enchainement

Chaque situation doit être un enchainement et chacun d’eux est doublement évalué sur l’efficacité (nombre coups de bras, temps, distance, etc.) et sur la fluidité-continuité (cf. code de la fluidité). Les départs, arrivées et liaisons d’actions sont des moments clés !

Cibler le contenu culturel : nous ne pouvons pas tout enseigner. Le contenu sportif sera de la création de glisse puis de vitesse, en crawl, prioritairement par les bras, sur des distances très courtes (six coups de bras). Le déplacement dorsal se créera par incidence à partir de la chaise dorsale.

L’objet d’apprentissage : action, liaisons et gestion de l’ensemble. Un enchainement, c’est au moins deux actions, dont de l’efficacité en « crawl-bras ».

Deux mises en projet de gestion : affinement d’une vitesse légèrement sous-maximale pour être plus fluide, ou amélioration de sa motricité de récupération pour pouvoir finir malgré une vitesse maximale. Soit une situation complexe, sécuritaire et sportive, envisageable à tous les niveaux de pratique, car relative à chacun.

Nager longtemps ? En dehors d’un contexte particulier, pour nous, la nage en durée n’a pas sa place au collège. Les réchappes permettent de se « reprendre », de changer de position. Le crawl permet d’avancer plus vite. C’est donc dans l’enchainement de séquences crawlées-réchappées de plus en plus lucidement, que le nager longtemps pour se sauver prendra son sens. La performance de distance est accessoire, n’ajoutons pas de confusions.

Un simple parcours ? Notion complètement galvaudée. Noter un par un les élèves sur le premier élément, puis sur le deuxième, avoir une bonne note et se « noyer » lorsqu’on leur demande d’enchainer l’ensemble ; ou constater des élèves, au milieu de leurs remous, qui s’accrochent au bord pour finir coute que coute sans se noyer est à l’antithèse de notre conception.

Le code de la fluidité-continuité

Cet outil3 est central pour relier et quantifier le niveau d’adaptation et de gestion de l’élève à son niveau d’efficacité sportive.

Observables signifiants pour chaque niveau de fluidité :

Niveau 1

  • arrêts non prévus ;
  • ou redressements intempestifs ;
  • ou retour non prévu au statut de terrien (accroché au mur ou debout).

Niveau 2

  • mouvements perturbateurs anarchiques ;
  • mouvements rééquilibrateurs trop nombreux ;
  • création de vagues, de mousse, d’écume ;
  • fréquence élevée au regard de l’intention ;
  • temps pour « se retrouver » rallongés (récupération longue).

Niveau 3

  • liaisons épurées d’actions ;
  • temps courts pour « se retrouver » ;
  • très peu de vagues, de mousse ;
  • anticipation de l’action suivante dans le mouvement.

Nous n’utilisons jamais ce code comme référent externe. Dans chaque classe, dans chaque cycle, nous le faisons reconstruire progressivement. Les observables peuvent donc ne pas être tout à fait les mêmes d’un cycle à l’autre et d’un niveau à l’autre.

Au cœur de cette nouvelle compétence… les six « réchappes natatoires »

L’importance n’est pas leur forme, mais leurs fonctions et leurs principes (prendre une information en libérant la tête, gérer un essoufflement, rechercher du relâchement musculaire, se reposer sans appuis solides, créer un couple de redressement efficace et économe).

Avant de toutes les lister, nous souhaitons d’emblée apporter une triple précision :

  • Une réchappe est un élément technique appris qui offre un « point de retour », quand les repères de l’élève (vestibulaire, proprioceptifs) sont perturbés. Mais pendant le processus de construction, elles sont « couteuses », l’élève (ou l’enseignant) doit donc adapter la distance ou le nombre de séquences d’efficacité ;
  • La réchappe fondamentale à maitriser est l’apnée confort. On ne devient nageur qu’en gérant l’immersion de la tête. Les élèves ont des capacités pulmonaires qu’eux-mêmes ne soupçonnent pas, ne connaissent pas, et cette étape bien menée ne prend généralement que quelques minutes ;
  • La modification de l’ordre d’apprentissage est possible à partir de la deuxième. Cet ordonnancement est « idéal », mais dépend des conditions de pratique.
Là où l’élève a pied

1. « réchappe respiratoire d’immersion » : se retrouver terrien sous l’eau

  • savoir maitriser ses potentialités inspiratoires et expiratoires (à sec), puis maitriser les modalités de réussite de l’immersion de la tête ;
  • le guidage enseignant : inspiration active et profonde (attention à ne pas être en inspiration de joues), angulation de l’entrée des narines (parallèles à la surface), vitesse d’entrée (assez vite pour éviter les vagues de surface), les yeux entrent à la limite air-eau ;
  • réussite analytique de la réchappe : la fluidité d’un enchainement de plusieurs immersions consécutives (fluidité + nombre d’immersions).

2. « réchappe de bascule » (deux temps)

  • redressement en bascule (débutants : décrite auparavant) : se retrouver terrien pieds au sol ;
  • bascule ventre-dos autour de l’axe du bassin (en tangage) : retrouver sa respiration de terrien sans reprendre un appui solide.

Se sauver à l’issue d’un sprint crawl-bras sans redevenir terrien, c’est retrouver sa respiration terrienne.

Néanmoins, il existe un ordre d’apprentissage facilitant : redressement, bascule dos-ventre, puis bascule ventre-dos.

Se réchapper du ventre sur le dos est plus risqué, car le nez peut se retrouver envahi par les vagues de surface.

Guidage de l’enseignant sur la bascule dos-ventre : sur le dos, le secret de la flottaison, c’est de mettre les oreilles dans l’eau, la bascule de la tête est anecdotique. Le relâchement du buste et des bras permet de réussir sans trop couler.

Là où l’élève n’a pas pied

3. « réchappe subaquatique » (le multi-bouchon) : se retrouver terrien plusieurs fois hors de l’eau

  • savoir enchainer au moins deux fois : plongeon phoque + poussée dynamique sur le fond du bassin.

C’est une réchappe si elle est multiple.

Guidage de l’enseignant : l’expiration longue et totale est facilitée par un prérequis, l’expiration totale en boule (compression du thorax). Avec la vitesse acquise, on peut inspirer en sortant de l’eau, dans le temps de « ressort », et enchainer avec un déplacement réorganisé.

4. « réchappe de roulis » : retrouver sa respiration de terrien dans la nage, sans arrêt obligatoire

  • savoir passer, horizontalement, du dos sur le ventre et du ventre sur le dos en roulis (axe longitudinal).

Guidage de l’enseignant : sur le ventre, contraction d’un muscle dorsal et rotation de la tête vers l’autre dorsal. Sur le dos, rotation de la tête vers le muscle dorsal contracté.

5. « Réchappe chaise dorsale » : se retrouver longtemps dans le couplage relâchement-respiration

  • savoir se sustenter de manière relâchée en chaise dorsale semi-horizontale.

Guidage de l’enseignant : oreilles dans l’eau, les mains cherchent des appuis en godille le long du bassin, les membres inférieurs sont complètement mous, et donc en sustentation semi-pliés. Plus facile avec de la vitesse.

 

6. « réchappe propulsive primaire » : se retrouver en revenant facilement au bord

  • savoir se déplacer de manière « primaire » en sustentation, en tonus corporel très relâché (le « sac plastique » ou la méduse »).

Guidage de l’enseignant : on est en sustentation de « nageur », la tête est donc immergée. On est en apnée, inspiration totale bloquée. Seules les mains cherchent des appuis de type natation synchronisée (mobilisation plus importante du poignet), mais aussi de natation sportive pour tourner, avancer, reculer. Dans le grand bain, si je saute à un, deux ou trois mètres, je sais revenir tout seul, comme ça, en économie. Une forme brassée, comme un « grand chien » peuvent apparaitre, propulsée par les bras, les jambes trainent, coulent un peu, relâchées, la tête peut émerger pour respirer, on peut compléter par une brasse costale (nage indienne).

Il est plus facile de trouver du relâchement sustenté en allant visiter les extrêmes : de l’hypertonus pendant quelques secondes, par un exercice d’aquagym ou autre…

Conclusion

Les réchappes natatoires sont des clés motrices pour gérer sa propre fluidité, son confort face aux exigences variées des enchainements. Si on osait, on pourrait dire qu’elles se situent entre terre et mer ! Elles ont, en effet, pour vocation d’être le chainon liant du pôle culturel et de l’urgence sociale du point de vue sécuritaire. Elles sont le lien entre le statut de terrien et celui du nageur. L’alliance de la logique d’enchainement avec les réchappes et la double évaluation (fluidité-efficacité ciblée en crawl) se veut le support de la faisabilité dans le temps et les conditions scolaires. Par le jeu des variables pédagogiques, nous avons expérimenté positivement, depuis quelques années, ce support pédagogique à tous les niveaux de classe et de pratique, des classes de 6e aux classes de terminales.

Dans ce cadre, nous constatons tous les jours, sur le terrain, qu’un critère essentiel des programmes est constamment oublié ou passé au second plan : « Les cinq tâches des tests du savoir nager doivent se réaliser en continuité » ! Comment juger, évaluer finement cette continuité essentielle ? Il nous semble que nous répondons à cette question ici.

Ce champ de compétences est, depuis toujours, délaissé pédagogiquement. Les individus qui ont construit ces compétences l’ont fait de manière incidente, presque naturellement, parce qu’ils étaient plus téméraires ou plus fréquemment plongés dans le milieu. Mais la conséquence, c’est que beaucoup n’ont pas eu la chance d’y arriver. C’est le rôle de l’école et donc de l’EPS.

Nous sommes conscients que cet article risque de laisser certains lecteurs sur leur faim quant à l’exposé « d’enchainements types » par niveaux de pratiques. L’objet de cette communication était de se centrer sur une première redéfinition du domaine de compétences selon nos travaux, de partager nos outils centraux, en attendant d’approfondir le sujet.

David Junillon
Professeur d’EPS au lycée Thuillier à Amiens (Somme)
Arnaud Tabaret
Professeur d’EPS au collège Jacques-Prévert à Heyrieux (Isère)

Notes
  1. Cibler, habiller, intervenir pour permettre à nos élèves d’apprendre en EPS, Cahiers du Cèdre n °6, 2006.
  2. Patrick Pelayo, Dominique Maillard, Le partir-revenir, Revue EPS n° 261, 1996.
  3. DavidJunillon, Arnaud Tabaret, La CC2, une illustration en sauvetage, Revue EPS n° 316, 2005.