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Miser sur le bienêtre : un pari gagnant

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

Promouvoir le bienêtre à l’école peut se faire par deux voies, l’une subjective, en prenant soin au quotidien des affects et des émotions des élèves et des enseignants, l’autre psychologique, en travaillant à la qualité de la relation enseignant-élève.

Dans la littérature scientifique internationale, le bienêtre est défini dans deux perspectives différentes, s’inscrivant dans deux traditions anciennes.

Dans une perspective hédonique, le bienêtre, dit alors subjectif, est appréhendé au moyen de trois composantes : la satisfaction à l’égard de la vie, les affects positifs et les affects négatifs. Dans cette perspective, un individu éprouvant du bienêtre subjectif tend à déclarer des niveaux élevés de satisfaction à l’égard de sa vie et d’affects positifs ainsi qu’un niveau faible d’affects négatifs. Associé à la satisfaction et au plaisir, ce bienêtre est souvent utilisé comme moyen d’évaluer le bonheur déclaré par un individu.

Dans une perspective eudémonique, le bienêtre, dit alors psychologique, est considéré comme un processus d’accomplissement ou de réalisation de soi, c’est-à-dire de ses potentiels. Ce bienêtre n’est donc pas un état (final), mais un processus. Dans cette deuxième perspective, le bienêtre est appréhendé au moyen de six composantes qui contribuent, chacune, à la réalisation de soi et, partant, au bienêtre psychologique de l’individu : l’autonomie, la maîtrise de l’environnement, la croissance personnelle, les relations positives avec les autres, les buts dans la vie et l’acceptation de soi.

Depuis quelques années, une troisième perspective, dite mixte, vient compléter ce schéma dichotomique dans la façon de penser et d’appréhender le bienêtre. Il existe en effet aujourd’hui de plus en plus de travaux scientifiques s’inscrivant dans une perspective mixte du bienêtre, tentant de concilier les perspectives hédonique et eudémonique.

Au regard des textes officiels de l’Éducation nationale en vigueur en France, l’école tient un rôle central dans la construction du bienêtre de l’élève à l’école, et ainsi, de l’enfant et de l’adolescent se cachant derrière chaque élève. L’école tient également un rôle central dans le bienêtre de l’enseignant dans sa pratique professionnelle, pour le bienêtre de ce professionnel mais également pour celui de l’élève. En effet, s’intéresser au bienêtre de l’enseignant à l’école bénéficie non seulement aux enseignants eux-mêmes par l’éclairage de « conditions propices à l’appropriation de meilleures pratiques pédagogiques et éducatives », mais également au « mieux-être » et au « développement des élèves dont ils ont la responsabilité1 ».

Travailler à la promotion du bienêtre de l’élève à l’école peut se faire par deux voies au moins2. Ces voies s’appuient sur deux composantes définissant le bienêtre subjectif ou psychologique.

Affectivité et émotions

La première de ces voies consiste à prendre soin, au quotidien, de l’affectivité et des émotions de l’élève, aussi bien en dehors des activités d’apprentissage qu’au sein même de ces activités. Dans le paysage des travaux menés sur l’expérience scolaire de l’élève, mes propres travaux de recherche soulignent l’importance et le rôle de l’affectivité et des émotions, d’une part, dans cette expérience et, d’autre part, dans la relation enseignant-élève et, plus particulièrement, dans le rapport de l’élève à l’enseignant.

L’affectivité et les émotions de l’élève interviennent dans son appréhension d’une matière scolaire (par exemple, anxiété ou joie de s’apprêter à faire des mathématiques, du français, de l’éducation physique et sportive), comme d’une activité d’apprentissage (par exemple, anxiété ou joie de s’atteler à un exercice de résolution de problème en mathématiques, à une dictée ou à la compréhension d’un texte en français, à un échauffement puis un match de basket en éducation physique et sportive), et colore sa relation à une matière ou une activité. S’intéresser à ces appréhensions et à cette coloration permet de mieux comprendre ce qui se joue alors et de trouver les moyens d’aider l’élève, à vivre mieux et à mieux réussir, dans son expérience d’apprentissage à l’école.

En outre, permettre à l’élève de mieux comprendre son affectivité et ses émotions (et celles d’autrui) et permettre à l’enseignant de mieux comprendre l’affectivité et les émotions de ses élèves (et les siennes) demandent l’apprentissage de l’expression de ces affectivité et émotions, et notamment des moments et modalités de cette expression. Cette dernière consiste en fait, d’une part, en la communication à l’autre de ses demandes et besoins et, d’autre part, en la réception, de l’autre, de ses demandes et besoins. Être capable d’une telle communication facilite, en situation d’apprentissage, l’adaptation à la tâche à effectuer et sa réalisation ainsi que le développement de relations sociales apaisées3. Prendre ainsi soin de l’affectivité et des émotions de l’élève à l’école et lors de matières et d’activités d’apprentissage participe à rendre l’élève plus disponible pour les apprentissages scolaires et, donc, à apaiser les relations sociales à l’école.

La vie sociale à l’école

La seconde de ces voies consiste justement à travailler au quotidien à la qualité des relations enseignant-élève et entre élèves, afin notamment de développer des relations sociales positives à l’école, c’est-à-dire des relations chaleureuses et satisfaisantes, dans lesquelles on se soucie du bienêtre de l’autre, on est capable d’empathie, d’affection et d’intimité, de prendre et de donner. En effet, si l’expérience scolaire de l’élève débute autour de bâtiments, d’emplois du temps et de contenus d’enseignement, les relations que l’élève vit avec son ou ses enseignants ainsi qu’avec ses pairs au quotidien à l’école sont au cœur de son expérience scolaire et susceptibles d’influencer sa vie sociale à l’école et ses activités cognitives d’apprentissage. Ainsi, permettre le développement des aptitudes sociales de l’élève par une meilleure connaissance de ses relations à l’école favorise son apprentissage et sa réussite aux activités cognitives proposées à l’école. Ceci s’opère dans un mouvement simultané et réciproque entre aptitudes sociales et aptitudes intellectuelles, les unes nourrissant et permettant les autres, et vice versa. Favoriser à l’école le développement de relations de qualité participe donc à un apaisement de ces relations et à l’instauration d’un climat scolaire bon ou serein, favorable aux apprentissages de l’élève comme à l’exercice du métier de l’enseignant.

Former les acteurs

Ainsi, au regard des travaux menés à l’international sur le bienêtre à l’école, il ne devrait plus s’agir aujourd’hui en France de réfléchir au bien-fondé de s’intéresser au bienêtre de l’élève et de l’enseignant à l’école, mais de réfléchir à la façon dont peut être introduite, de façon générale, dans l’école française, la question du bienêtre à l’école via la formation initiale et continue des enseignants4 et des directions d’établissement scolaire afin d’outiller ces personnels à l’instauration du bienêtre à l’école pour l’ensemble des acteurs de l’institution scolaire.

Si, en école même, par exemple, peuvent être mis en place des moments d’échanges et de paroles afin d’aider l’élève et l’enseignant à réguler leurs affectivité et émotions comme leur relation, des formations peuvent également être proposées à l’attention des personnels de l’école. Parmi les possibilités envisageables pour intégrer, dans la formation initiale et continue des enseignants et des directions d’établissement, la question de l’affectivité et des émotions de l’élève et de l’enseignant comme celle des relations sociales à l’école, je propose de poser deux balises de sensibilisation, susceptibles de devenir les deux grands axes d’un guide d’une telle ingénierie de formation plus large et aboutie. La première de ces balises consiste à porter à la connaissance des enseignants l’état d’avancée des travaux et celui des savoirs issus de la recherche scientifique sur l’affectivité et les émotions de l’élève et de l’enseignant comme sur les relations sociales à l’école. La seconde de ces balises consiste en l’organisation de séances d’analyse de pratiques professionnelles, à l’appui de récits d’enseignants, mais également d’enregistrements vidéo de séquences d’école et de classe. Le but est ainsi de former ces acteurs à une pratique de l’observation fine, afin de les aider à produire une meilleure analyse leur permettant de mieux s’adapter aux évènements de la classe et de l’école.

Gaëlle Espinosa
Enseignante-chercheure en sciences de l’éducation et de la formation à l’université de Lorraine

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Le bienêtre à l’école

Coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau
La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.


Notes
  1. Manon Théorêt et Mylène Leroux, Comment améliorer le bienêtre et la santé des enseignants ? De Boeck Supérieur, (2014).
  2. Gaëlle Espinosa, De l’affectivité et des émotions de l’élève dans son expérience scolaire. Perspective de développement global de l’enfant pour son bienêtre et sa réussite, HDR (Habilitation à diriger des recherches), université Paris 8.
  3. Tara M. Chaplin, Amelia Aldao, « Gender differences in emotion expression in children :  a meta-analytic review », Psychological Bulletin n° 139(4), 2013.
  4. Gaëlle Espinosa, « De la question des émotions de l’élève dans la formation enseignante en France », Recherches en éducation n° 41, 2020.