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Mettre en place un plan de travail dans la classe

Couverture du livre Mettre en place un plan de travail dans la classe

Couverture du livre Mettre en place un plan de travail dans la classeAndreea Capitanescu Benetti, Sylvain Connac, Laurent Lescouarch, ESF, coll. Je me lance en classe, 2024

“Je fais ce chapitre sous la forme d’un plan de travail”, “le plan de travail me permet de mieux gérer les élèves”, “Les collègues se vantent en publiant leurs beaux plans de travail élaborés sur Canva”, “J’aimerai bien essayer le plan de travail mais ce n’est pas adapté au secondaire”. Le plan de travail est à la mode. Il s’affiche sur les réseaux sociaux, se discute en formation continue, se partage en salle des profs et se critique parfois dans les couloirs. Des chaises de la maternelle aux bancs de la fac, cette pratique pédagogique intéresse de plus en plus et se répand progressivement. Une nouveauté pour certains, un retour de l’éducation nouvelle pour d’autres, l’engouement pour le plan de travail questionne : mode éphémère ou révolution pédagogique ?  Perte ou gain de temps de travail ? Outil pédagogique ou composante d’une pédagogie globale ? Pour y voir plus clair, il est souvent utile de réinterroger ce qui semble être évident pour revenir à l’essentiel : qu’est ce qu’un plan de travail ? C’est précisément à cette question que répond l’ouvrage Mettre en place un plan de travail en classe.

Plus qu’un ouvrage présentant le plan de travail, ces 155 pages s’apparentent davantage à un dialogue entre chercheurs et praticiens permettant d’aborder l’outil dans toute sa complexité. Les premières pages relèvent d’abord le défi d’une contextualisation accessible. Sans renoncer à l’exigence de la recherche, les auteurs offrent une synthèse efficace qui résonne avec le terrain de la classe. On suit l’histoire du plan de travail au cours du siècle dernier avec notamment une observation saisissante de Célestin Freinet qui glisse son regard dans une classe à travers une porte entrouverte. Ce voyage captivant s’achève sur des invariants utiles et concrets pour se lancer dans le plan de travail : donner à voir ce qui est attendu, donner la possibilité technique aux enfants de réaliser ce qui est attendu, optimiser l’organisation scolaire pour faciliter le travail et contrôler l’avancé du travail par tous les élèves. Si ces quatre conditions balisent la mise en œuvre des plans de travail, la partie suivante nous invite à anticiper les éventuelles dérives de ce dispositif pédagogique. Cette présentation des risques n’est pas de nature à nous décourager. Tout au contraire, elle s’accompagne de diverses précautions pédagogiques très concrètes à mettre en œuvre. Chacune est d’ailleurs illustrée par des exemples factuels issus de la classe. Ainsi on passe successivement du cas de Louise qui enchaîne son travail sans pour autant réussir ses évaluations, à la difficulté de Paul qui est devant son plan de travail sans pour autant savoir par où commencer. Les précautions de ces deux situations convergent : mettre en place des temps de bilans réguliers pas uniquement avec l’enseignant mais aussi avec les pairs. Dès la page 22, nous voici donc déjà dans le cambouis de la classe.

Les auteurs ont ouvert les pages suivantes à des enseignants de la maternelle à l’université pour qu’ils présentent et racontent leurs pratiques du plan de travail. Ces bonds de classe en classe réussissent finalement le pari de nous décomplexer pour mieux nous encourager à expérimenter cette pratique. Au fil de la lecture, on comprend que le plan de travail est en réalité un dispositif protéiforme qui se modèle en fonction des contextes scolaires, des intentions pédagogiques et des inspirations enseignantes. Mieux encore, les témoignages se tiennent à distance des vitrines qui exposent des pratiques efficaces, souvent clefs en mains, et des beaux documents qu’on exhibe. Nous voilà plutôt dans l’arrière boutique, dans l’atelier où on essaye, on rate, on recommence, et on avance ensemble.

Cette pratique est très vite mise en lien avec la “pédagogie du choix”, car les élèves qui découvrent leur plan de travail doivent choisir. Choisir l’ordre des activités, le temps à y consacrer, le niveau de difficultés, etc. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le plan de travail n’est pas réservé aux élèves autonomes. Au contraire, tous les récits de collègues convergent : quel que soit le format du plan de travail, il contribue à développer l’autonomie des élèves. Cyril Lascassies, professeur de mathématiques à Tarbes, explique même comment il utilise les choix des élèves pour valoriser différents niveaux d’autonomie et ainsi en faire une compétence qui s’apprend. En filigrane, les collègues clarifient même cette notion d’autonomie scolaire qui ne s’apparente plus à de l’indépendance face au travail mais bel et bien à la capacité à solliciter des ressources lors de blocage. Guillaume Caron, professeur de mathématiques à Calais, précise par exemple que sa pratique du plan de travail est intimement corrélée à l’organisation de l’entraide. Il expose concrètement comment les élèves bloqués peuvent avoir recours à leurs camarades sans déranger le travail général et l’avancée de chacun.

De prime abord, le plan de travail est souvent perçu comme une liste de tâches à exécuter par les élèves dans l’ordre qu’ils souhaitent. A lire les différents témoignages de pratiques, on comprend aisément que cette pratique s’éloigne de la dérive productiviste. Les élèves ne font pas pour faire mais ils font pour comprendre, et c’est précisément le plan de travail qui les aide à réaliser ce pas de côté. C’est par exemple, le cas du plan de travail d’Hélène Dargagnon, Françoise Lebranchu et leurs collègues du collège de Cherbourg-en-Cotentin, qui consacre une étape entière permettant aux élèves de faire une synthèse de ce qu’ils ont appris. L’occasion d’un feedback nécessaire à la stabilisation des apprentissages.

Mettre en œuvre un plan de travail en classe réveille une tension autour de la temporalité. Coralie Yon, Anaïs Fel et leurs collègues d’une l’école élémentaire du Havre, nous confient que des élèves lancés dans leur plan de travail ne voient pas le temps passer : “Oh, c’est déjà la récré !”. Claudia Moreira, enseignante dans une école primaire de Genève, contraste en nous livrant son souvenir d’élève face à un plan de travail : “Quel horrible souvenir pour moi ! Chaque lundi, l’enseignante nous distribuait un paquet de fiches avec une grille. Dès que je commençais à comprendre un exercice, nous devions déjà passer à la fiche suivante.” Le plan de travail n’est donc pas une solution miracle pour gagner du temps mais plus une occasion pour reconsidérer notre rapport au temps. L’un des objectifs de cette pratique est précisément de laisser les élèves avancer à leur rythme. Il s’agit donc de ne plus utiliser le temps pour pressuriser mais pour responsabiliser. Elisabeth Ossola, enseignante à Genève, partage d’ailleurs son plan de travail avec une partie où ses élèves doivent avoir un regard sur leur rythme de travail en optant entre un escargot, un chat ou un léopard.

“Chacun son rythme !”. La critique est prévisible : “c’est bien beau mais comment fait-on pour faire avancer tout le monde au même niveau ?”. Cette tension revient finalement à rappeler que le plan de travail n’est pas un outil comme un autre. On ne le pioche pas aléatoirement dans une boîte, on le forge à sa manière tout en changeant un paradigme éducatif majeur que résume bien Marie-Eve Piétrolongo, professeure des écoles à Toulouse : “A travers ces choix liés au plan de travail annuel, je rends plus visibles les différences entre les élèves […] Ici, je profite des écarts de niveau encore plus grands (dus au triple niveau) pour créer une ode à la différence”. Dès lors, on comprend que la pratique du plan de travail amène à percevoir l’hétérogénéité non plus comme un obstacle à contourner, mais bel et bien comme une ressource à utiliser. L’ensemble des pratiques partagées par tous les collègues contributeurs dans cet ouvrage évoque ce paradigme et vont même plus loin. Le plan de travail n’est pas simplement d’une “ode” à la différence, c’est un moyen très concret pour utiliser les différences au profit de chacun.

Cette lecture estivale s’achève et il nous tarde que la rentrée soit déjà là pour se lancer. On aurait peut-être aimé que les objectifs des collègues sur le plan de travail soient regroupés au début de l’ouvrage pour éviter certaines redondances, mais elles ont le mérite d’insister sur l’importance de l’autonomie, du choix, et de la perception de l’hétérogénéité. En tous cas, on y voit plus clair. Le plan de travail n’est pas uniquement une fiche, aussi customisée soit-elle, c’est une méthode pédagogique qui organise l’entraide et change le regard sur la diversité d’une classe. L’ensemble des contributions donne à voir le tâtonnement des collègues. Ce n’est pas parfait mais c’est précisément ce qui décomplexe et donne envie de rejoindre cette communauté de contributeurs. Car finalement, le plan de travail c’est aussi une occasion de faire équipe pour partager les manières de les concevoir et de les mettre en œuvre dans la classe.

Laurent Reynaud