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Loi sur le séparatisme : « Ce texte est une régression. »

Pour Rozenn Merrien, présidente de l’Andev (Association nationale des directeurs et des cadres de l’éducation des villes et des collectivités territoriales), le projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme ne fait qu’exacerber les tensions et les amalgames, au détriment des élèves des territoires particulièrement visés.

En quoi le projet de loi concerne-t-il les collectivités territoriales dans leurs fonctions éducatives ?
Ce projet de loi concerne plusieurs sujets directement liés aux politiques éducatives que nous menons sur les territoires, que ce soit dans le cadre des temps scolaires, périscolaires ou extrascolaires. Par exemple, les questions relatives aux menus au sein des restaurants scolaires, aux sorties scolaires, aux temps associatifs d’aide aux devoirs, aux séjours de vacances, à l’instruction en famille ou encore à la scolarisation hors contrat. Autrement dit, tout ce dont s’occupent nos directions éducation, enfance, jeunesse, les services vie scolaire, ainsi que nos partenaires de l’Éducation nationale et du monde associatif.

Quelles sont les dispositions de la nouvelle loi qui vous inquiètent ?
Tout d’abord, je voudrais rappeler l’attachement sans faille de l’Andev aux principes de neutralité du service public, en appui sur la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. L’émergence d’une nouvelle loi nous questionne donc, dans la mesure où la loi de 1905 est bien un texte fondateur qui assure la liberté de conscience et constitue la clé de voute de l’édifice démocratique et républicain.

C’est pourquoi l’Andev se demande en quoi une nouvelle loi permettrait de répondre à ces nouveaux enjeux de société et comment elle pourrait ramener les individus qui la composent vers davantage de collectif. Notre crainte est que cette nouvelle loi génère au contraire des tensions et des amalgames susceptibles de constituer des freins dans la mise en œuvre de certains choix pédagogiques et éducatifs. Je pense par exemple à l’impossibilité, à terme, de l’instruction en famille, alors que certaines situations relèvent de choix bien pensés, avec des temps de socialisation des enfants concernés sur les temps extrascolaires.

La loi sur le séparatisme tombe dans le panneau de l’idéologisation d’un débat que la loi 1905 avait justement su éviter. Notre association estime que la stigmatisation portée par ce texte est une régression. Concrètement, pour les sorties scolaires, nous avons besoin d’accompagnateurs, qui sont le plus souvent des accompagnatrices. Autant le dire sans angélisme : si dans certains territoires, les mamans voilées ne peuvent plus accompagner les enfants, nous allons être confrontés à de réelles difficultés de recrutement ! Et ces mamans dont on parle, elles sont attachées à l’école publique, elles y croient. On peut parler et on le fait avec elles de cette obligation de neutralité, dont il faudra préciser les contours. C’est la même chose avec la restauration scolaire, qui est devenue un outil politique. Un cadre juridique existe, il suffit, il pose une norme. Les communes ont su s’adapter à ce défi. Les lois sont là, suffisent, et proposent un traitement équitable de toutes les spécificités dont nous venons de parler. Pourquoi surréagir à une actualité certes tragique, mais dont la loi prévoit le traitement ?

La loi de 1905 vous parait-elle suffisante aujourd’hui pour lutter contre le séparatisme ?
Assurer la mise œuvre de la loi de 1905 permet déjà de rappeler que les questions religieuses et de libertés individuelles doivent demeurer dans la sphère privée. Y apporter des modifications, la faire évoluer (au regard de nouveaux sujets de notre époque comme les réseaux sociaux, qui peuvent effectivement générer de « la haine en ligne », ou l’égalité femmes-hommes), apparait toutefois indispensable, pour conforter certains de ses principes, notamment au regard de la numérisation de notre société.

Pour autant, ces violences, même dans leurs nouvelles formes, sont prises en compte dans la loi de 1905, qui permet de réguler les atteintes à la citoyenneté et, bien sûr, les appels à la violence au nom d’une religion. Ce que nous craignons, c’est que la nouvelle loi impacte le quotidien des écoles dans certains territoires où, pour ne prendre que les sorties scolaires, il est évident que nombre d’entre elles risquent de ne plus avoir lieu. Qui sera pénalisé ? Les enfants !

Que propose l’Andev ?
L’école est un peu prise en otage dans cette affaire. Cette loi va stigmatiser un peu plus des populations, sans apporter de réelles solutions, et nous compliquer la tâche. Avec les rendez-vous électoraux qui se profilent, l’école doit être protégée. Nous voulons des moyens pour assurer la promotion citoyenne très majoritairement représentée en France, en allant vers plus de collectif, de socialisation, plutôt que de discours clivants. Nous aimerions tant pouvoir renforcer, dans toutes les écoles de France, les projets éducatifs, les cités éducatives, etc., rendre plus puissante la cohérence éducative. Mais les directeurs d’école sont débordés, et leur rôle est essentiel. Un tel souffle redonné à la communauté éducative serait certainement plus mobilisateur qu’une loi sur le séparatisme.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

L’actualité du projet de loi

Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 16 février 2021, le texte du projet de loi « confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme » a été modifié le 12 avril en première lecture par le Sénat. Le 12 mai, députés et sénateurs se sont réunis en commission mixte paritaire, sans réussir à se mettre d’accord.

Les principaux points d’achoppement :

    • l’interdiction des signes religieux pour les accompagnateurs scolaires : l’amendement soumis par le sénateur Max Brisson (Les Républicains) avait « pour but de renforcer la loi de 2004, qui pose l’interdiction du port de tenues ou de signes religieux dans les écoles, collèges ou lycées », justifiant lors des débats qu’« une sortie scolaire est un acte pédagogique, c’est l’école hors des murs » ; les modalités d’instruction en famille (IEF), l’Assemblée ayant souhaité assouplir son régime administratif, mais le Sénat l’ayant rétabli
    • les mesures de dissolution des associations quand celles-ci interdisent la participation d’une personne à une réunion en raison de sa couleur, son origine, son appartenance à une ethnie ou à une religion ;
    • l’interdiction des listes « communautaires » aux élections.

    Le texte repassera donc devant les deux chambres dans les prochaines semaines.


Article paru dans le n°570 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie:

Apprendre dehors

Coordonné par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.

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