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Livre du mois du n° 594 : Les jeunes et le sport

Guillaume Dietsch, de Boeck supérieur, 2024

Que vous le lisiez en tant que curieux ou l’étudiez pour actualiser vos connaissances, vous trouverez dans cet ouvrage matière à déconstruire l’idée selon laquelle le sport possèderait intrinsèquement des vertus sociales, éducatives ou politiques.

Le sport n’est rien en soi, il n’est que ce que l’on en fait, le pire ou le meilleur. On ne peut rester neutre quand Guillaume Dietsch, par le prisme du sport et de l’activité physique, décrypte les exclusions liées aux genres, à l’âge, aux capacités physiques ou mentales, aux préférences sexuelles, aux catégories sociales, à l’isolement géographique, etc.

Certes, il est d’abord question des jeunes et du sport, mais il est surtout question d’interroger la responsabilité de chacun dans ce phénomène d’exclusion. Tous responsables, mais aussi tous victimes, car nul n’échappe à un moment donné à un isolement, à la marginalité, au sentiment de rejet. Comme le rappelle l’auteur, citant Charles Gardou, « l’exclusivité de la norme, ce n’est personne, la diversité, c’est tout le monde ».

Interpelés, nous le sommes aussi dans notre rapport à l’activité. Malgré les bonnes raisons liées à la santé, connues de tous, trop peu d’entre nous bougent suffisamment. De fait, le discours hygiéniste est stérile si nous occultons les freins et les obstacles liés aux choix et à l’évolution de nos sociétés, si nous ne tissons pas notre activité à la richesse de la culture qui y est associée.

Dans nos sociétés, la pensée et les discours normatifs sont omniprésents, poussant à penser en termes de il faut/on doit, culpabilisant celles et ceux qui ne s’y plient pas. Guillaume Diestch montre même dans quelle mesure nous subissons des formes variées de « contrôle et de surveillance des corps » et nous invite à promouvoir des pratiques fondées sur un plaisir en acte, des « expériences positives, marquantes et signifiantes » fédératrices.

Il nous engage alors à nous questionner sur une telle ambition : où, quand, comment renouveler de telles expériences pour faire persister les jeunes pratiquants ? La voie complexe mais tenable qu’il propose est fondée sur un « projet d’émancipation par l’activité physique ». L’activité physique ne prend sens qu’à travers des projets orientés par des valeurs collectives et solidaires.

Le message de ce livre semble être : parlons moins, agissons plus, mais agissons de manière éclairée, sans nous laisser emporter par notre générosité ou la facilité d’une pensée trop intuitive. L’auteur ne nous abandonne pas à cette idée générale. Il étaye fortement, travaux à l’appui, toutes ses démonstrations.

Mon plus grand désaccord avec cet ouvrage se situe sur la quatrième de couverture. Non, ce n’est pas un livre destiné tout particulièrement aux étudiants en Staps, aux enseignants aspirants ou en fonction. C’est un livre à mettre entre toutes les mains, car il montre à quel point l’activité physique est l’affaire de tous. Chacun s’y reconnaitra une part de responsabilité vis-à-vis de lui-même, et vis à vis des autres. Plus qu’un livre engagé, c’est un livre engageant, comme il en existe peu en la matière.

Gregory Delboé

Photo Margaux Vankemmel

Questions à Guillaume Dietsch

Dès la préface d’Isabelle Queval, on comprend que votre livre a une dimension militante…

Je dirais plutôt engagé, sur une question vive : quel projet de société souhaitons-nous pour notre jeunesse et comment le sport, en tant que champ social, peut-il être partie prenante de cette transformation ?

J’ai souhaité rendre accessibles les enjeux du sport en les confrontant aux questions de société, aux enjeux pour la future génération, tout en apportant de la complexité dans l’analyse à partir de sources scientifiques.

Face à la crise sociale et environnementale actuelle, il est nécessaire de rompre avec le modèle libéral et mondial de concurrence généralisée, amenant une recherche presque infinie de compétitivité sportive, avec ses conséquences notamment en termes d’empreinte carbone. Le futur du sport s’inscrit nécessairement dans un monde de décroissance.

Vous rapportez un fait surprenant : d’après plusieurs enquêtes, les jeunes évoquent peu la performance et cette compétitivité.

Cela veut dire qu’au niveau des fédérations sportives, il s’agit de se détacher du seul idéal compétitif, en se rapprochant davantage d’un enjeu d’utilité sociale. Par exemple, la fédération française de badminton s’est dotée d’un secteur dédié à la performance sociale – comme les fédérations sportives de handball, de tennis de table ou encore de judo –, l’objectif étant d’évaluer et d’objectiver l’impact social d’une discipline sportive sur des licenciés. Dans le champ sociosportif, le sport est envisagé comme un moyen de prendre en compte les défis sociétaux de demain : développement durable, égalité entre les sexes, ou encore intégration des réfugiés. Pour favoriser le changement social, le sport devient un outil et non simplement une finalité. À travers l’économie sociale et solidaire, le mouvement sportif, premier secteur associatif en France, est en droit de revendiquer sa contribution à l’intérêt général.

L’EPS est resituée dans le livre relativement à d’autres activités physiques et sportives. Mais n’y a-t-il pas un écart entre l’EPS telle qu’elle se vit réellement et l’EPS prescrite ?

Oui, nécessairement, et je dirais même heureusement ! Le texte fixe un cap, donne un cadrage national, s’assure d’une culture commune transmise à tous les élèves. Mais les solutions ne peuvent pas être les mêmes partout. Cet écart témoigne aussi des dynamiques d’innovation des équipes. Cette liberté pédagogique offerte aux enseignants doit être accompagnée par des formations continues et des moyens humains adaptés aux spécificités locales et aux besoins des élèves à l’échelle locale.

Qu’en est-il du plaisir de la pratique physique ? Comment échapper à la logique de l’immédiateté sans en rabattre sur la nécessité du plaisir ressenti ?

Le plaisir est une fin et pas seulement un moyen pour engager les élèves. Or, il est vrai que l’on peut avoir tendance à envisager la notion de plaisir uniquement comme un mode d’entrée dans une activité, à travers ce que Nicolas Mascret nomme la pédagogie de l’étincelle. Le gout pour une activité physique ou sportive nécessite de percevoir le plaisir associé à cette expérience. C’est la clé d’un engagement durable, mais cela n’a rien d’automatique et suppose des expériences positives régulières. Les enseignants jouent donc un rôle fondamental, d’autant que l’engagement durable dans le sport est marqué par d’importantes inégalités, les aspirations et les gouts sportifs variant selon le milieu social ou le sexe.

Vous évoquez les missions de l’enseignant d’EPS, mais qu’en est-il des collègues du premier degré, tout aussi concernés par vos réflexions ?

Pour l’enseignement de l’EPS dans le premier degré, les apprentissages sont d’abord interdisciplinaires, centrés sur l’enrichissement de la psychomotricité de l’enfant, à partir d’activités physiques et artistiques (et non sportives) envisagées comme moyens et non comme finalités.
Les discours politiques actuels se fondent sur l’objectif sanitaire. Les chiffres alarmants relatifs à la sédentarité justifient la nécessité de les « faire bouger ». Mais la mise en mouvement des corps est envisagée comme une propédeutique aux disciplines dites intellectuelles. Il s’agit de « bouger à l’école » pour favoriser la concentration et les apprentissages. Cette dichotomie témoigne d’une vision conservatrice de l’école, d’une forme de hiérarchisation entre la culture intellectuelle et la culture corporelle.

En EPS, il ne s’agit pas simplement de faire bouger pour faire bouger. En tant que discipline d’enseignement, il y a des apprentissages fondamentaux permettant l’acquisition d’une véritable culture motrice. Enseigner l’EPS revient à transmettre une culture physique et sportive, socialiser les élèves à travers une vision holistique de la culture corporelle : physique, mais aussi psychologique et sociale.

Propos recueillis par Gregory Delboé

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