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Les sciences participatives à l’école

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L’empowerment de l’élève passerait-il par ces sciences participatives qui sont l’occasion de confronter ses idées à la réalité et amènent à agir et à transformer son environnement ?

Dans un souci de faire évoluer l’école avec la société dans laquelle elle s’inscrit, les pratiques pédagogiques tendent à en suivre (et parfois à en anticiper) les tendances. Nous nous intéressons aux initiatives inspirées des sciences participatives qui recouvrent plusieurs pratiques, afin d’apporter un éclairage sur ce qui les motive.

On peut en restreindre la définition à la participation citoyenne dans la construction de connaissances scientifiques, par exemple à travers l’alimentation de bases de données (recensement de flore ou de faune, etc.), chacun restant dans son rôle soit de citoyen soit de scientifique. Une autre définition plus large consiste à reconnaitre au citoyen une expertise empirique en acceptant qu’il soit acteur de la construction scientifique. Le glissement sémantique vers le terme de « sciences citoyennes » est important, puisqu’il propose à la fois de faire des sciences avec la société, dans une démarche de coconstruction des savoirs, mais aussi orientées vers la société.

Ces termes peuvent trouver résonance chez l’enseignant, puisque la coconstruction est une possibilité de mettre l’élève au centre des savoirs et d’en revisiter la dimension socialement construite, axes qui ont été au cœur des préoccupations du philosophe et psychologue John Dewey (1859-1952), puis des démarches de type Hands on développées par Léon Lederman (1922-) et reprises sous la forme de La main à la pâte, sous l’impulsion de Georges Charpak (1924-2010), tous deux récipiendaires d’un prix Nobel de physique.

Mais si les démarches participatives partagent plusieurs points avec l’approche Hands on, c’est dans la réflexion du psychologue Kurt Lewin (1890-1947) qu’elles trouvent leur fondement théorique. En effet, Lewin défend l’idée que « rien n’est aussi pratique qu’une bonne théorie » (Philippe Perrenoud, 2009) et refuse la frontière considérée comme artificielle entre sciences dites fondamentales et sciences dites appliquées, ce dont s’inspirera la recherche-action participative.

Quels groupes performants ?

Les travaux de Lewin relatifs à l’apprentissage de groupes d’enfants le conduisent à établir une théorie du leadeurship qui postule que la production des élèves va fortement dépendre de la nature de celui-ci. En particulier, la qualité de la production, le degré d’implication et la motivation des élèves vont varier en fonction du caractère directif ou autoritaire, participatif ou démocratique ou laisser-faire mis en place pour animer le groupe. Ainsi, si les deux premières catégories donnent lieu à des performances globalement semblables en termes de production et supérieures à celles du groupe laisser-faire, la satisfaction et la motivation sont nettement supérieures dans le deuxième groupe. Par ailleurs, Lewin note qu’en l’absence de leadeur, la performance du premier groupe s’écroule.

Au-delà du constat, Lewin met aussi en œuvre des expérimentations sur des groupes d’individus où, dans un contexte de guerre, il entreprend de comparer auprès de ménagères l’efficacité de conférences portant sur la nécessité de consommer des abats d’animaux et l’organisation de discussions de groupes sur le même thème. Le résultat quantitatif est un facteur 10 (de 3 % à un tiers) sur les changements de comportements observés. Ainsi, pour qu’un apprentissage se traduise par un changement de pratiques, il convient de se pencher sur les conditions dans lesquelles le groupe d’apprenants est placé.

Appliqués au champ scolaire, ces travaux suggèrent que les démarches participatives sont plus qu’un outil pédagogique répondant à une mode : elles proposent une manière d‘apprendre fondée sur l’engagement de l’élève dans un processus négocié de construction des savoirs, où il s’agit d’accorder autant d’importance au processus menant au savoir (la technè) qu’aux connaissances elles-mêmes (l’épistémè).

Les démarches des sciences participatives sources d’apprentissage ?

La démarche proposée par les sciences participatives repose sur deux exigences. D’une part, il s’agit de reconnaitre à chacun une capacité à contribuer à la construction des savoirs. D’autre part, il s’agit (autour d’un objectif d’apprentissage ou d’action donné) de le faire vivre et donc d’accepter qu’il ne soit pas figé, afin que les élèves puissent s’en emparer. Cela crée une zone d’incertitude autour de l’objectif, susceptible d’évoluer. Cette double exigence conduit l’enseignant à jouer un rôle de médiateur chargé de faire ressortir les apports de chaque membre du groupe. De plus, il lui est demandé d’être facilitateur afin de faire progresser le travail, en s’engageant sans imposer un point de vue, en faisant ressortir les freins éventuels, en s’assurant que les objectifs soient collectifs.

Pour illustrer la forme que peut prendre la mise en œuvre de sciences participatives, prenons un exemple sur un thème lié à l’éducation à la sécurité routière, en cycle 3 (classe de CM2). L’action s’inscrit dans le contexte du Parlement des enfants, où des classes ont l’opportunité de travailler sur des idées de propositions de lois qui peuvent éventuellement être discutées à l’Assemblée nationale et, pour certaines, devenir des lois. Les propos qui suivent sont ceux rapportés par un des élèves.

« La maitresse venait de recevoir un courrier qui présentait le Parlement des enfants. La semaine d’après, nous avons décidé de nous inscrire en envoyant une lettre. Plus tard, nous avons su que nous allions peut-être être retenus pour défendre une proposition de loi au 16e Parlement des enfants. Au cours d’un débat commun, nous avons parlé de la sécurité des piétons qui circulent sur le bord des routes, le soir, à la tombée de la nuit. Nous avons imaginé qu’ils soient équipés de gilets jaunes, et nous avons travaillé autour de cette idée. » Dans les travaux rassemblés sur une feuille A3, on peut par exemple lire « comment marche un gilet réfléchissant ? Le gilet réfléchissant, comme un miroir, reflète la lumière » ainsi qu’un slogan : « Réfléchis, mets tes bandes. » Suit un petit quiz sur les gilets jaunes. Un texte semblable à une proposition de loi est rédigé. Des gilets sont fournis aux élèves par la municipalité. Un élève est désigné pour faire le voyage à Paris.

Certes, l’expérience n’a pas débouché sur une loi. Mais elle illustre comment mettre en cohérence une mise en œuvre pédagogique avec l’objectif citoyen poursuivi grâce à un leadeurship démocratique lors du travail en classe, comment produire de l’écrit, comment comprendre les structures institutionnelles.

Les limites des sciences collaboratives à l’école

Afin de brosser un tableau objectif des sciences participatives, il faut en rappeler certaines limites. Ainsi, la démocratie ne garantit pas la validité d’un résultat scientifique. Or, si certaines théories sont facilement corroborées, ce n’est pas toujours le cas, comme l’illustrent certaines controverses dans le domaine de la santé. Il existe donc une zone d’ombre où les sciences participatives auraient tendance, sous prétexte de s’opposer au positivisme, à perdre en rigueur scientifique. C’est là que se situe la limite entre un savoir empirique, qui peut avoir une réelle efficacité opératoire, et la construction de connaissances, qui répond à une autre forme de rigueur. On peut se référer au sempiternel exemple du modèle de la course du Soleil dans le ciel, mais aussi à de nombreuses situations où les conceptions communes se heurtent à la vérification expérimentale.

Par ailleurs, les sciences participatives, en favorisant la participation de chacun, s’exposent à l’envie de certains de peser sur des résultats scientifiques pour les rendre conformes à leurs attentes. Mais les sciences participatives peuvent aussi jouer le rôle exactement opposé pour rétablir une vérité scientifique, par exemple quand certains lobbys tendent à produire des résultats biaisés, donnant lieu aux fameuses controverses scientifiques, qui peuvent utilement être enseignées à l’école. Ainsi, en remettant le citoyen au cœur de la construction des connaissances, les sciences participatives doivent aussi garantir une rigueur scientifique, ce qui ne va pas de soi car si, comme le propose George Kelly, « l’homme se comporte en scientifique » dans sa vie quotidienne, dans la mesure où il construit des modèles qu’il confronte à la réalité (Kelly 2003), ce n’est pas avec une rigueur de scientifique qu’il opère en général.

l’empowerment de l’élève

On peut finalement s’interroger sur la capacité des sciences participatives à contribuer à une éducation scientifique orientée vers l’accumulation de connaissances et la formation de chercheurs en devenir. Mais on aura compris que cette question en appelle une autre, à savoir si l’école cherche aussi à former des citoyens éclairés et capables d’agir avec intelligence, sans opposer les deux objectifs. Ainsi, on n’attend pas de chaque élève qu’il soit chercheur, mais qu’il soit capable d’agir et de transformer son environnement. Cela passe par sa confrontation à des tâches complexes et par des décisions prises collectivement comme individuellement. En accordant de l’importance à la motivation de l’élève, aux processus de décision, les sciences citoyennes contribuent à lui donner confiance et à renforcer son empowerment citoyen.

 

Pierre Thibault
Professeur de physique, laboratoire interdisciplinaire LIPhy, Université Grenoble-Alpes
Références
Philippe Perrenoud, « Rien n’est aussi pratique qu’une bonne théorie ! Retour sur une évidence trop aveuglante », in Rita Hofstetter et al., Savoirs en (trans)formation, éditions De Boeck Supérieur, p. 265-288, 2009.
Michelle Bourassa, Louise Bélair et Jacques Chevalier, « Les outils de la recherche participative », Éducation et francophonie 35.2 (2007).