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Les sciences participatives à l’école, un partenariat prometteur

Les finalités de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences s’élargissent notamment en lien avec des enjeux sociaux. Il existe plusieurs types de partenariats offerts aux écoles, au niveau national ou territorial, institutionnalisés par des conventions. Ils s’inscrivent dans une logique d’ouverture des lieux d’éducation à de nouveaux acteurs, comme des scientifiques dans le cadre des projets de sciences participatives.

Certaines études évoquent que la participation des élèves (avec leurs enseignants) à des projets de sciences participatives pourrait contribuer à leurs apprentissages scientifiques en termes de savoirs disciplinaires, épistémologiques et sociaux. En plus de favoriser la motivation et l’intérêt des élèves pour les sciences ainsi que le développement d’attitudes positives envers le vivant et la biodiversité, ces projets sont prometteurs quant à leurs potentialités d’apprentissages en lien avec des démarches scientifiques.

Dans ce contexte, nous avons étudié la mise en œuvre d’un projet de sciences participatives à l’école, le projet « Oak Bodyguards », afin de montrer le potentiel de ce projet pour l’apprentissage des élèves et pour le développement professionnel des enseignants impliqués.

Oak Bodyguards

« Oak Bodyguards » est un projet initié en 2018 par des écologues de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui s’adresse à des élèves scolarisés de la maternelle au lycée et qui cherche à déterminer comment le climat influence les dégâts causés par les insectes herbivores sur le chêne pédonculé.

Depuis une dizaine d’années, une méthode simple, efficace, ludique et peu couteuse s’est imposée dans la communauté scientifique pour estimer l’activité des prédateurs d’herbivores par la mise en place, sur les végétaux, de leurres en pâte à modeler imitant la forme et la taille de vraies chenilles. Les prédateurs attaquent les leurres et laissent au passage des traces de bec, de dents ou de mandibules, qu’il suffit ensuite de dénombrer. En s’appuyant sur cette méthode, les scientifiques de l’Inrae ont conçu et mis à la disposition des enseignants un protocole, que les élèves doivent respecter scrupuleusement, pour mesurer ces attaques.

Une collaboration qui ne va pas de soi

La grande majorité des projets de sciences participatives scolaires, comme « Oak Bodyguards », sont de type crowdsourcing, dans lesquels les élèves accompagnés de leurs enseignants collectent des données à grande échelle pour les scientifiques. Des documents sont proposés aux enseignants par les sites web des projets.

La communication avec les scientifiques s’exerce le plus souvent de façon asynchrone via les réseaux sociaux, internet, les mails, etc. et les élèves ne rencontrent en général pas directement les chercheurs. Le monde de la science et celui de l’éducation restent finalement assez imperméables et chacun « fait ce qu’il sait faire1 ». Les scientifiques élaborent des projets de recherche et proposent aux écoles des protocoles de recueil des données. Les enseignants les mettent en œuvre avec leurs élèves et transmettent les données collectées.

Cette forme de « collaboration » a été perçue comme un problème par les enseignants participant au projet « Oak Bodyguards ». En effet, ceux-ci ne maitrisent pas forcément l’ensemble des connaissances en écologie ou pour la compréhension du protocole. De plus, en inscrivant leurs classes à ce type de dispositif, ils souhaitent que leurs élèves participent à des projets scientifiques « authentiques » avec davantage d’interactions.

Afin d’accompagner les enseignants, les scientifiques ont d’abord proposé, avec peu de succès, des webinaires répartis sur l’année, hors temps scolaire, et qui portaient sur la mise en œuvre du projet, les connaissances en écologie, des précisions sur le protocole, etc. Puis, à la demande des enseignants, les chercheurs ont par la suite proposé des webinaires interactifs sur le temps scolaire au cours desquels les élèves ont échangé directement avec les scientifiques.

Des collaborations intermédiaires parfois nécessaires

Lors de la mise en œuvre du projet en classe, certains enseignants ont également fait appel à des gardes forestiers, des spécialistes des oiseaux, des scientifiques, etc., pour les aider notamment dans l’identification de certaines espèces animales. Ces collaborations apportent un soutien précieux aux enseignants.

Par ailleurs, les enseignants du primaire n’étant pas toujours à l’aise avec les notions scientifiques, des Maisons pour la science ont proposé de courtes formations (présentation du projet, notions en écologie, construction d’une séquence) pour mettre en œuvre le projet « Oak Bodyguards ». Cette institution joue ici le rôle d’une interface entre le monde scientifique et le monde de l’éducation.

Les enseignants peuvent également rencontrer des difficultés pour intégrer les protocoles et les ressources proposées par les scientifiques lors de la construction des séquences d’enseignement. En effet, pour que ces projets permettent des apprentissages, notamment disciplinaires et épistémologiques, et développent des compétences en lien avec une éducation à la soutenabilité, certaines conditions s’imposent. Il est nécessaire que les enseignants s’approprient les contenus scientifiques mobilisés et réalisent un travail de transposition afin que les ressources soient intégrées dans les progressions pédagogiques et didactiques des séquences. Il s’agit par exemple pour les enseignants de structurer des démarches scientifiques où les ressources et les protocoles contribuent à la résolution d’un problème scientifique, en vue de construire des connaissances chez les élèves.

Or, bien que les enseignants soient des experts de leur discipline (pour le secondaire), en pédagogie et en didactique, il leur est parfois difficile de construire et de mettre en œuvre ce type de démarche en classe2. Ils doivent notamment adapter, mais sans le modifier, le protocole mis à disposition par les scientifiques. Il est également nécessaire de construire un problème différent du problème de recherche du projet des scientifiques. Par exemple, le problème du projet « Oak Bodyguards », qui est d’étudier comment le climat influence les dégâts causés par les insectes herbivores sur le chêne pédonculé Quercus robur, n’est pas transposable en classe à l’échelle locale, et d’autres problèmes ont dû être conçus par les enseignants.

Les projets de sciences participatives à destination des écoles possèdent donc un fort potentiel d’apprentissage pour les élèves. Cependant, une véritable collaboration entre les institutions scientifiques et les institutions scolaires est nécessaire pour maintenir une forme d’authenticité perçue par les élèves, pour soutenir les enseignants dans la mise en œuvre de ces projets, et pour obtenir des données de qualité. Une interconnaissance des pratiques respectives des enseignants et des scientifiques est alors indispensable.

Séverine Perron
Chargée d’enseignement à l’Institut universitaire de formation des enseignants, université de Genève
Patricia Marzin-Janvier
Professeure en Inspé, laboratoire Cread, université de Bretagne Occidentale

 


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Notes
  1. Séverine Perron et Florence Ligozat, « Un regard didactique sur le partenariat entre la classe et les scientifiques. Comprendre les conditions de la transposition des savoirs aux frontières de l’École », Éducation et Didactique, 16(3), 2022.
  2. Séverine Perron, « Les projets de sciences citoyennes à l’École : quelles pratiques d’enseignement ? » Review of Science, Mathematics and ICT Education, vol. 15(1), 2021, p. 25-43.