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Les parents s’élèvent

nipedu-logo-nouveau.jpgÀ la fin du XIXe siècle, lorsque l’école devient obligatoire, seulement 55 % des adultes sont lettrés1. À l’époque, nul n’imagine que les parents retournent sur les bancs de l’école parce que leurs bambins en sauraient plus qu’eux. En ce XXIe siècle, il en est autrement lorsque l’on en vient à parler de littératie numérique.

Le mouvement était déjà amorcé, mais la crise sanitaire, en imposant subitement aux parents un rôle d’enseignant à la maison, a, dans le même mouvement, obligé l’Éducation nationale à les accompagner. Les enjeux étaient colossaux : les apprentissages des élèves en étaient remis aux inégalités en matière d’usage des outils numériques à la maison.

Toutefois, les missions poursuivies par l’Éducation nationale vont au-delà de l’accompagnement des parents dans le seul cadre des apprentissages2. Les états généraux du numérique de 2020 ont vu poindre des ressources pour sensibiliser aux usages d’ensemble du numérique à la maison et à la manière de les encadrer3. Le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), dépendant de Réseau Canopé, revendique la famille comme une de ses cibles. État et opérateurs publics assument d’avoir à former les parents sur des pratiques numériques qui dépassent le cadre scolaire.

Mais est-ce bien leur rôle ? Le titre officiel de Pap NDiaye est ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Ne sortons-nous pas là de sa feuille de route ?
D’une part, l’évidence : le numérique comporte des dangers pour nos enfants. Nous le savons. Déjà, parce que les dangers du numérique existent depuis ses origines : jeux en lignes, pornographie, etc. Mais aussi parce que, même si nous sommes parfois moins « lettrés » que nos rejetons, nous lisons la presse, regardons la télé et voyons la place que prennent les réseaux sociaux, la qualité variable de leurs contenus, leur abondance, et celle des faits divers qui y sont associés.

D’autre part, il nous faut constater notre difficulté de parents à protéger nos enfants. Et ce serait erreur de croire que la fracture ne serait que sociale, elle est aussi générationnelle. Même si nous avons vécu et suivi les évolutions du numérique, nous ne nous sommes pas développés avec. Avec autant d’informations et l’impact que cela peut avoir sur l’abord – peut-être plus précoce – de la complexité et de la rudesse d’un monde que l’on décrit, en outre, comme de plus en plus anxiogène. Avec autant d’exposition de soi et toute la confiance ou toute l’angoisse que cela peut générer. Avec une communication parents-profs qui ne passe plus par un élève mais par un ordinateur, et tout ce que cela transmet implicitement comme message de confiance.

Sauf qu’à ce stade, il n’est pas question, comme au xixe siècle, d’enseigner la lecture à la dernière génération qui ne saura pas lire. Il nous faut réaliser que nous vivons dans un monde qui, le temps d’une seule génération, change tellement vite que les parents ne sont plus en mesure d’accompagner leur progéniture vers ce qu’ils ont pu connaitre. Finalement, peut-être est-ce son rôle, peut-être ne l’est-ce pas, mais l’Éducation nationale ne fait-elle pas ce qu’elle n’avait jamais fait jusqu’ici simplement parce que, jusqu’ici, le monde n’avait jamais changé aussi vite ?

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

Notes
  1. François Furet, Wladimir Sachs, « La croissance de l’alphabétisation en France (XVIIIe-XIXe siècle) », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 29, no 3, 1974, p. 714-737.
  2. Voir l’épisode S10E01 de Nipédu, « Parentalité[s] numérique[s] » : https://bit.ly/3UNpnFO.
  3. Voir : https://bit.ly/3y0Yg0p.