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L’enseignement privé

Pierre Merle, La Découverte, coll. Repères sociologie, 2025

On avait besoin d’un livre tel que celui-ci, fondé sur des données chiffrées et des textes règlementaires ainsi que sur un historique rigoureux, pour évoquer la question de l’enseignement privé en France, au-delà des considérations idéologiques ou des idées reçues. On pourrait imaginer un quizz, avant et après avoir lu l’ouvrage, sur le pourcentage d’élèves respectivement dans le public et le privé, sur l’importance du hors-contrat, sur la progression du nombre d’élèves dans le privé (qu’il faut toujours mettre en relation avec celle dans le public, sans quoi les comparaisons sont faussées)… On aurait des surprises sur les réponses ! Nous vous laissons les découvrir en consultant cet ouvrage de référence.

La première partie est consacrée à une histoire de cet enseignement à partir de l’Ancien Régime, où la place de l’Église est prépondérante. Malgré les remises en cause de la Révolution, cette dernière « prend sa revanche » avec les lois Guizot puis Falloux, avant de devoir combattre les lois Ferry et Goblet, qui entament un processus de laïcisation progressif. On lira la savoureuse lettre des dignitaires de l’Église de 1909, où l’on fustige la « déplorable erreur » que fut l’introduction du principe de neutralité, « principe faux en lui-même et désastreux dans ses conséquences ».

Après l’épisode vichyste viendra une autonomisation croissante de l’enseignement privé, dont le couronnement sera la loi Debré de 1959, compromis historique malgré tout, qui a notamment pour fondement l’établissement de relations contractuelles avec des établissements privés, et non l’enseignement catholique en général. Cependant, dans la mise en œuvre, les dérives seront nombreuses, surtout si on ajoute l’introduction de la notion de « caractère propre », qui autorise finalement de ne pas toujours respecter les principes d’un service public d’enseignement.

Les différents épisodes des relations entre le monde politique et institutionnel et de l’enseignement privé sont ensuite évoqués, entre les tentatives ratées de la gauche au pouvoir de mettre en place le grand service public unique et celles (réussies) de l’enseignement catholique de défendre pied à pied sa « liberté ». Et sous le ministère Blanquer, on va assister à un renforcement significatif de l’enseignement privé. La question de son financement est au cœur de la troisième partie du livre. Pierre Merle s’interroge sur une question souvent traitée superficiellement ou biaisée : l’enseignement privé est-il ou non source d’économies ?

Les deux parties suivantes sont consacrées par le sociologue de l’éducation à la question de la composition sociologique du privé. Ce qui ressort avant tout, c’est son « embourgeoisement ». Certes, il y a une grande hétérogénéité et de grandes différences entre le recrutement de Stanislas à Paris et celui de collèges privés de banlieue, différences géographiques également. Mais dans l’ensemble, les catégories sociales supérieures sont de plus en plus présentes, au détriment des catégories populaires. Aucune statistique, malheureusement, ne nous indique les effets de la sélection dans le recrutement des élèves, mais un certain séparatisme social est à l’œuvre, « qui ne peut s’expliquer seulement par le coût de la scolarisation, la ségrégation urbaine ou le choix des parents ». Quant à l’efficacité, rien ne prouve qu’elle soit plus grande dans le privé, bien évidemment à public scolaire comparable et non en données brutes. Mais il est parfois difficile de le faire comprendre, dès lors qu’on lit les palmarès de réussite au bac ou qu’on écoute les « réputations » (celles qui faisaient autrefois plébisciter Bétharram !)

Le sixième chapitre évoque l’enseignement privé hors contrat, qui reste très minoritaire, même s’il progresse. L’auteur établit une typologie qui différencie nettement les établissements selon les choix idéologiques qui sont faits (primauté de l’enfant – au détriment, bien souvent, d’apprentissages solides – dans une petite partie de ces établissements, prédominance du religieux dans une autre partie).

Dans la conclusion, Pierre Merle propose quelques solutions pour inciter à une plus grande mixité sociale et scolaire de l’enseignement privé sous contrat, dont celle de lier financement public et indice de position sociale. Et de ne pas considérer que la notion de caractère propre doive prendre le dessus sur le principe de non-discrimination, présent dans la loi Debré. Après la parenthèse du quinquennat Hollande qui allait plutôt dans ce sens, les évolutions actuelles n’en prennent pas le chemin.

Jean-Michel Zakhartchouk