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L’école digitale, une éducation à construire et à vivre
Eric Bruillard et Joël Boissière réalisent dans ce livre un état des lieux de l’éducation par, avec et sur le numérique. Ils introduisent, dans leur réflexion, l’accélération de son impact dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 et une vision internationale (des exemples en France, en Chine, aux Etats-Unis, etc.). Ils nous montrent que le numérique est au cœur de la socialisation des jeunes et transforme leurs manières d’être. Leur outil principal est le smartphone. Ils sont des « digital naïfs » dont les pratiques personnelles sont éloignées des pratiques scolaires qu’ils ne maîtrisent pas. Même si le digital offre des possibilités nouvelles, avec une multiplicité d’offres pour la formation et des réseaux humains, cette digitalisation du savoir accroît les inégalités (Nord/Sud, femmes/hommes, etc.). L’école doit former les jeunes pour lutter contre la fracture numérique, mais fournir un accès aux ressources numériques n’est pas suffisant. Ce qui compte c’est la qualité des usages, les enseignants doivent donc être préparés à les intégrer dans les activités d’apprentissage.
Les auteurs décrivent ensuite les risques dus au numérique (de nouvelles addictions) et la nécessité de poser des règles différentes en fonction des âges. Ils insistent sur la nécessaire formation à la protection des données personnelles et des traces numériques à l’ère du big data. Ils montrent aussi que le numérique, en mettant en place des mécanismes de persuasion, en quantifiant tout, augmente la pression qui pèse sur les apprenants. Le numérique transforme ce qu’on apprend et la manière dont on le fait. L’intuitivité des technologies est souvent une fake news marketing, ce qui est démontré par la façon dont le moteur de recherche de Google influence notre recherche de l’information. En tant que futurs citoyens, les élèves doivent être en capacité de mesurer l’information (digital literacy). L’éducation aux médias et à l’information (EMI) joue un rôle central à ce sujet. Le numérique peut également fournir des mécanismes d’aide aux élèves connaissant des difficultés particulières et aux décrocheurs.
Un chapitre aborde les utilisations nouvelles des technologies numériques en éducation. La nécessité de faire classe à distance pendant le confinement a permis de réfléchir aux activités à mettre en place (exemple de la classe inversée avec la mise en place de pédagogies actives). Les enjeux de l’équipement des élèves et des enseignants sont abordés, entre la politique du « one to one », un équipement par élève, si coûteuse, ou le BYOD (Bring your own device), où chaque élève apporte son appareil numérique, malheureusement inégalitaire. L’usage de l’intelligence artificielle (IA) en éducation et ses limites sont évoqués, en insistant sur la nécessité d’un usage éthique de l’IA : sensibiliser les enseignants à la question des données personnelles (RGPD – Règlement général de la protection des données) à l’ère du big data. Il faut une vraie réflexion sur la souveraineté numérique en matière de numérique éducatif. L’apprentissage à grand renfort d’IA peut également enfermer les élèves dans des conditions de travail stressantes, avec une incessante compétition et une éducation dépersonnalisée.
Un chapitre est également consacré aux recherches au sujet du numérique en éducation et leur diffusion. Le rôle des communautés et l’importance des notions d’open source et de biens communs sont abordés : comment par exemple Wikipédia a bouleversé l’accès à la connaissance. Le poids des géants du web dans le numérique éducatif (exemple de Google) est développé, alors que la puissance publique et ses logiques d’organisation arrivent difficilement à s’adapter. D’où l’importance de bâtir des espaces numériques juridiquement sécurisés aux contenus maitrisés et d’initier un service public souverain, en donnant accès à des ressources modifiables pour garder la liberté pédagogique des enseignants. Un point est également fait sur la façon dont les systèmes d’apprentissage peuvent s’emparer des recherches sur la manière dont on apprend. En se basant sur les principes des neurosciences et en utilisant le nudging (coup de pouce), on peut réaliser des dispositifs aptes à façonner le comportement humain, et ne pas développer leurs capacités à s’autodiriger. Face à cela, deux visions du désir de personnalisation de l’éducation s’opposent : soit utiliser les technologies pour diagnostiquer les compétences de l’élève pour fournir un contenu stimulant adapté, selon la vision de Edward Thorndike, soit ouvrir à l’apprenant un monde d’informations et d’expertise pour qu’il puisse créer et explorer, en suivant ses intérêts, selon la vision de John Dewey. Ainsi, le référentiel européen pour les compétences numériques, le DigComp, est-il interrogé, comme sa plateforme française Pix. Les auteurs décrivent ensuite un DigCompEdu à construire. Le projet CoMUM a développé un cadre de référence présentant un corpus organisé de compétences visant essentiellement les gestes professionnels des éducateurs impactés par le numérique ou de nouveaux gestes en lien avec le numérique. Ce projet montre que la majorité des enseignants rejette la notion de ressources clé en mains car ils ont besoin d’adapter les ressources aux programmes et aux élèves. Enfin ils soulignent l’importance du rôle des collectifs dans la construction de la professionnalité des enseignants, les réseaux sociaux et internet ayant contribuer à modifier les périmètres de leur organisation.
Ce livre est très riche, il pourrait se comparer à un inventaire à la Prévert, si les auteurs ne faisaient pas le lien entre les éléments étudiés pour nous montrer la complexité de la mise en œuvre de l’école digitale mais aussi l’importance de ce qui est en jeu.