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L’école, c’était mieux avant ?

La question a été posée à l’historien de l’éducation Claude Lelièvre par les Cahiers pédagogiques lors d’un webinaire le 5 mars dernier. Et la réponse tient dans plusieurs rappels historiques bien sentis sur l’école de Jules Ferry.

D’emblée, Claude Lelièvre précise ce qui est selon lui le véritable enjeu sous-jacent de ce débat : l’école de la République. Il souligne que si les mots « école républicaine » reviennent incessamment dans les discours politiques de ces vingt dernières années (et tout particulièrement en cette période électorale), ils sont le plus souvent dévoyés. Ce qui aboutit selon lui à une forme de terrorisme intellectuel et politique, la notion de républicain étant devenue un outil d’intimidation.

Il donne pour exemple la rhétorique de Jean-Michel Blanquer qui n’hésite pas à considérer que les élèves devraient être « habillés d’une façon républicaine » ou même que le bac est « un des plus beaux rendez-vous républicains, et que ce serait un sacrilège de l’abimer ». « Sacrilège », le mot interroge pour le moins lorsque l’on parle de principes républicains.

« Faire des républicains »

Ainsi, l’école d’autrefois, c’est-à-dire celle de Jules Ferry, est érigée en repère, mais ce repère est faussé. Car quel est en réalité le véritable projet de l’école républicaine conçue par Jules Ferry et Ferdinand Buisson ? Pour ce dernier, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896, « le premier devoir de la République est de faire des républicains », c’est-à-dire prendre un être humain et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit obéissance à personne et qu’il lui incombe de chercher la vérité et non de la recevoir.

Ainsi, l’école de la République a un rôle politique central : apprendre à l’élève à se gouverner lui-même pour apprendre à gouverner avec les autres. Et former cet homme libre nécessite évidemment qu’il soit éduqué par un homme lui-même libre. De fait, si le terme n’existe pas encore (il sera défini juridiquement dans la loi dite Fillon de 2005), la liberté pédagogique est de fait davantage encouragée à cette époque que par « les Républicains autoproclamés actuels », selon l’expression de Claude Lelièvre.

Avant la IIIe République, la tradition était à un encadrement ferme. Ferry et Buisson marquent une rupture et refusent d’imposer des outils pédagogiques aux enseignants : à eux de les choisir collectivement, ils doivent d’ailleurs pouvoir se former collectivement entre pairs, progresser par les discussions, et partant, transformer l’institution. Les enseignants pouvaient donc – et devaient même – participer à l’élaboration pédagogique de l’institution. Nous sommes évidemment très loin de la position actuelle du ministère de l’Éducation nationale.
Claude Lelièvre précise de plus que Ferry a lutté contre les abords mécaniques de l’enseignement et qu’il était un adversaire fondamental de l’enseignement traditionnel.

Fondamentaux

De même, selon les partisans du retour à l’école d’autrefois, il faudrait remettre le « lire, écrire, compter » au centre. Or, Ferry considérait que pour former cet homme libre dont a besoin la République, l’école ne pouvait justement pas se limiter à ces apprentissages rudimentaires mais devait aussi s’ouvrir à tout le reste, les « apprentissages fondamentaux » ne devant pas dépasser 60 % du temps scolaire en primaire. C’est le même pourcentage que dans les programmes actuels. Revenir au pourcentage de 1887, comme le propose un candidat à l’élection présidentielle, s’avère être une supercherie : les apprentissages fondamentaux ne sont pas moins au centre aujourd’hui qu’à cette époque.

Bien sûr, le temps de classe a changé depuis, retirant une journée de classe par semaine. Les horaires des fondamentaux ont donc automatiquement baissé. Si l’on veut retrouver un nombre d’heures équivalent, il faut alors soit revenir à une semaine de trente heures (dans un pays qui a déjà parmi les horaires les plus chargés), soit sacrifier une partie des autres disciplines. Ce qui est précisément contraire à l’esprit de l’école de Jules Ferry et aux choix politiques qui ont été faits pour en finir avec l’Ancien Régime.

Quant au fameux rétablissement de l’autorité et de l’obéissance, il est aussi fallacieux. L’école de Jules Ferry était de fait bien plus démocratique qu’on ne le laisse entendre !

Reste le retour de l’uniforme, qui selon Claude Lelièvre « sature les débats », et qui marquerait un retour à une école plus égalitaire selon ses promoteurs. Eh bien non, nous explique l’historien ! L’uniforme n’était porté que dans les collèges et les lycées, c’est-à-dire les établissements scolaires de l’élite sociale, et ne concernait que 10 % des élèves. 90 % de la population (fortement plus brassée, donc) fréquentait l’école publique et n’y portait pas l’uniforme, ce qui éteint l’argument égalitaire.

Et l’école de la IIIe République n’était pas démocratisante du tout. Jules Ferry ne fait pas de l’école un ascenseur social (c’est une idée beaucoup plus récente), il ne lui assigne pas le rôle de modifier la place de chacun dans la société (que l’on parle de la place des classes populaires ou de celle des femmes). C’est une école divisée socialement quant à l’origine et à la destination des élèves.

L’école d’avant de Gaulle

Il faudra en effet attendre les années 60 pour voir l’instruction obligatoire prolongée jusqu’à 16 ans par de Gaulle, ce qui aboutira dans un premier temps à la création des collèges d’enseignement secondaire, avec trois voies distinctes, avant l’apparition du collège unique en 1975. Si bien que, lorsque Valérie Pécresse propose un examen d’entrée en 6e ou lorsqu’Éric Zemmour prône le rétablissement du certificat d’études, ils glorifient de fait l’école d’avant de Gaulle (ce qui est paradoxal lorsque l’on se revendique du gaullisme…).

Pourquoi ce discours mythifié est-il aussi prégnant, si peu démenti ? Claude Lelièvre apporte plusieurs éléments de réponse. Pour lui, notre période est régressive et mythifie volontiers le passé. De plus, ce discours fait appel à des concepts mous, difficiles à définir et donc à contrer : de quel « avant » parle-t-on ? Qu’entend-on par « mieux » ? Comment objectiver le niveau et sa prétendue baisse ?

Que serait alors une école véritablement républicaine et moderne ?

Cette question renvoie à celles de la cosouveraineté, de la répartition des pouvoirs, de la place du collectif. Une école de la République est une école qui forme des républicains : former non par des cours et des discours, mais par des actes, de manière à former des citoyens qui se mobilisent et se projettent dans l’avenir. Ce qui semble bien éloigné des discours actuels de beaucoup de celles et ceux qui se revendiquent républicains.

Christelle Lecoeur
Professeure des écoles à Carcassonne (Aude)

Article paru dans le n° 576 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.