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L’école à l’épreuve de la complexité : radicalisation, altérité, reconnaissance

Margarita Sanchez-Mazas, Geneviève Mottet, Nilima Changkakoti et Aneta Mechi (dir), L’Harmattan, 2021

Cet ouvrage collectif est composé de treize chapitres (écrits par quinze auteurs), organisés en quatre parties :  le traitement de la radicalisation ; l’altérisation des familles ; les dynamiques de (non) reconnaissance en milieu scolaire et le plurilinguisme, des obstacles aux ressources.

Dans la première parie consacrée à la radicalisation, Vincent Lorius étudie la manière dont l’institution scolaire réagit lorsque les élèves ont des comportements déviants tels une résistance à l’obligation « d’être Charlie ». L’auteur explore par une focale philosophique ce qui est de l’ordre du choquant, de l’immoral et de l’inégal, et également comment les réponses de l’institution scolaire peuvent parfois se retourner contre elle-même.

Geneviève Zoïa pointe à partir de plusieurs terrains d’enquête (éducation prioritaire en France) comment la religion musulmane est devenue à la fois un marqueur négatif et une catégorie pertinente pour le montage de nombreux dispositifs-réponses de prévention et de gestion de risques.

Freins et facilitateurs d’une meilleure intégration scolaire

Geneviève Mottet analyse comment la prévention de la radicalisation s’imbrique avec la lutte contre le décrochage scolaire dans le canton de Genève (Suisse). Elle questionne les « enjeux du maillage qui se tisse actuellement entre les institutions scolaires, sociales et sécuritaires » autour des jeunes  musulmans.

Dans la deuxième partie, Xavier Conus analyse la relation école-familles en contexte de diversité culturelle, et cela à partir d’une recherche de type ethnographique en Suisse (Fribourg). Il met en évidence les catégorisations mobilisées par les enseignants en direction des familles sous l’angle d’une altérité négative (manque, déficit, défaillance, inadéquation, etc.). Les parents se sentent ainsi non reconnus ou autrement dit en manque des qualités nécessaires pour faire face à l’école.

Zakaria Serir montre comment les enseignants peuvent catégoriser les difficultés des élèves, surtout à partir d’un ethnocentrisme scolaire accompagné de peu de décentration.

Nilima Changkakoti étudie comment les tout débuts de l’école peuvent être des moments très angoissants pour les enfants et leurs familles, qui ne se re-connaissent pas dans les normes scolaires souvent implicites. Elle inventorie les freins et les facilitateurs d’une meilleure intégration dès ce moment spécifique, très ritualisé de l’entrée dans la scolarité.

Jessica Pothet s’intéresse à la question de l’absentéisme scolaire des collégiens des établissements de milieux populaires à Marseille. Dans le but d’assurer l’assiduité scolaire, des réseaux entre l’école et les familles, des instances partenariales se construisent et se composent de différents acteurs de l’école, du social, du politique, de différents membres des services de la police, etc. La rencontre hybride entre eux met à jour la difficulté à trouver des clés d’intervention communes, afin que ces interventions ne stigmatisent pas davantage les enfants et les adolescents issus des familles populaires.

Besoin de reconnaissance de l’école

La troisième partie met en exergue les dynamiques de non-reconnaissance dans le milieu scolaire. Evelyne Jadot et Marie Verhoeven questionnent les nouveaux référentiels pour construire une culture et des valeurs communes à l’école dans une société plurielle, divisée, incertaine, en prenant en compte les singularités de chacun. Elles examinent de quelle manière l’école pourrait intervenir dans un environnement marqué par l’indétermination et la pluralisation normatives.

Margarita Sanchez-Mazas met en évidence un décalage voire un paradoxe entre le droit des enfants à la scolarité et la situation de précarité et de statut des parents requérants d’asile en Suisse. L’école se trouve dès lors dans une tension entre la protection de l’enfance (ayant des droits) et le traitement des migrants non désirables (privés de droits). La réussite scolaire des enfants et le besoin de reconnaissance de l’école sont les objectifs les plus importants pour ces parents, qui mettent beaucoup d’espoirs dans l’école.

Aneta Mechi montre, avec les outils de la psychologie sociale, comment il est possible, dès la formation initiale ou continue des enseignants, de travailler sur les enjeux des stéréotypes, des réputations, des raccourcis de pensée, qui empêchent les professionnels de voir les élèves dans leurs pleines capacités.

Dans la quatrième partie, Françoise Joliat, à partir des expériences de l’association Reliance, montre comment un système de tutorat extrascolaire aide les enfants et les adolescents à rentrer dans la culture de la langue seconde et de faire un passage entre la culture familiale et la culture scolaire.

Sofia Stratilaki-Klein et Claudine Nicolas rappellent par leur recherche que l’enseignement n’est pas suffisamment pensé ou organisé en relation avec le potentiel plurilingue des élèves, compte tenu de la diversité sociale, linguistique et culturelle des élèves. Une conception binaire de la langue persiste, polarisée sur l’accès des élèves à la langue de la scolarisation.

Enfin, Catherine Mendonça Dias montre comment chaque discipline scolaire mobilise des compétences langagières spécifiques, ce qui se relève très complexe lors de l’apprentissage de la langue seconde. La contribution rend compte d’une démarche de mise en œuvre de dispositifs censés mettre davantage la linguistique au cœur de la discipline des mathématiques.

Cet ouvrage se présente comme un très beau kaléidoscope des enjeux sociétaux et pédagogiques actuels qui ont une incidence sur les conditions de scolarisation et d’apprentissage des élèves issus de la migration, mais également de l’apprentissage de la langue seconde, en termes identitaire et linguistique. L’enseignant trouvera dans cet ouvrage la portée de la complexité de notre école, telle qu’elle est vécue par les différents acteurs mais surtout les articulations entremêlées entre les droits de l’enfant et les droits des réfugiés. De même, il comprendra mieux les enjeux des parcours des migrations et ce que cela peut entrainer comme rapport à l’école. Au sein même des disciplines scolaires, il est fécond d’explorer les apports du plurilinguisme afin de mieux enseigner.

Andreea Capitanescu Benetti