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Le métier, un outil linguistique

Pour les apprentis plurilingues et réfugiés qui intègrent un centre de formation d’apprentis (CFA), l’une des difficultés majeures est la barrière linguistique. Contextualiser dans l’univers professionnel l’apprentissage du français langue étrangère favorise le franchissement de l’obstacle.

Ahmad1, apprenti en CAP « Intervention en maintenance technique des bâtiments », est d’origine afghane. Lorsqu’il est arrivé en France, il ne parlait pas du tout français. « J’avais beaucoup d’espoir, mais j’étais aussi inquiet de savoir comment je pourrais m’intégrer et réussir, car tout était nouveau et différent. Mon rêve était de suivre une formation professionnelle et de trouver un emploi qui me permettrait d’avoir un avenir meilleur. »

Ses débuts en formation ont été compliqués avec des difficultés pour comprendre les cours et pour échanger avec ses professeurs, les autres apprentis ou encore son patron. « Je me sentais souvent seul, en colère, sans comprendre. » L’accompagnement de ses éducateurs, de ses enseignants, de ses collègues et des professionnels du CFA, l’a aidé à progresser, à se sentir plus à l’aise et plus fort. « Ils ont été patients, compréhensifs et ont fait beaucoup d’efforts pour m’aider à m’adapter. » Ce parcours vers la réussite de son CAP a été facilité par des cours de français adaptés et individualisés avec des documents ciblés sur son futur métier. Il lui a permis notamment de réaliser en groupe un chef-d’œuvre : une boite à livres désormais installée dans les locaux du CFA, à la disposition de tous.

Apprivoiser le langage du métier

Comme Ahmad, les apprentis plurilingues sont souvent confrontés à des défis linguistiques significatifs lors de leur intégration dans un CFA, ce qui les empêche de comprendre l’intégralité des cours théoriques et pratiques. Ils ont alors du mal à saisir les instructions, les explications et les concepts clés liés à leur formation professionnelle. La communication avec les formateurs et les autres apprentis peut être entravée, créant un isolement social et professionnel. La maitrise insuffisante de la langue peut affecter leur intégration dans leur milieu professionnel, les empêcher de suivre correctement les consignes de sécurité, de comprendre les procédures de travail, d’interagir efficacement avec leurs collègues.

Pour surmonter ces défis, de nombreuses mesures sont mises en place dans certains CFA pour soutenir l’apprentissage de la langue française par les apprenants non francophones. En effet, un dispositif adapté représente un outil puissant pour favoriser l’intégration réussie des apprentis plurilingues et réfugiés dans le milieu professionnel francophone. Il reconnait que chaque apprenant plurilingue a des besoins linguistiques spécifiques en fonction de sa formation professionnelle, de son domaine d’activité et de ses expériences antérieures.

Adapter la pédagogie

L’ingénierie pédagogique, notamment celle du français sur objectif spécifique (FOS), est mise à profit pour concevoir des programmes d’enseignement qui croisent compétences linguistiques et professionnelles. Le concept de français langue professionnelle (FLP), tel que proposé par Florence Mourlhon-Dallies2, va au-delà de la simple acquisition de compétences linguistiques. Il vise à « impliquer une véritable articulation du langage à l’action ».

Cette démarche met l’accent sur une immersion professionnelle complète dans les métiers, notamment ceux en tension en France. Un dispositif adapté inclut des cours spécifiques de français langue seconde (FLS) intégrant des contextes professionnels selon les approches FOS et FLP.

Certains CFA organisent même des programmes de tutorat linguistique, où les apprenants bénéficient d’un accompagnement individuel. Les enseignants proposent des supports pédagogiques adaptés, y compris des corpus de discours professionnels, pour aider les apprenants à comprendre et à utiliser la langue dans des contextes professionnels spécifiques. Pour les créer, ils s’appuient sur des logiciels tels que Tropes et Iramuteq pour comprendre les spécificités linguistiques de ces discours professionnels. Ils travaillent en étroite collaboration avec les apprenants pour élaborer des programmes d’enseignement sur mesure.

Les mots de la réussite

L’intégration des apprentis non francophones dans les CFA représente un défi majeur, mais crucial, pour la société française. La maitrise de la langue est un élément clé de leur réussite professionnelle et de leur contribution à la société. Dans les dispositifs mis en place pour surmonter ces défis linguistiques et favoriser l’intégration, la collaboration entre enseignants de FLS et formateurs professionnels joue un rôle déterminant. En travaillant ensemble, ils ouvrent la voie à un avenir prometteur pour les apprentis non francophones, où la langue française devient un outil d’émancipation et de réussite professionnelle.

La maitrise de la langue française, intégrée à un dispositif adapté, est ainsi la clé qui ouvre les portes de l’accomplissement professionnel et de l’intégration sociale pour tous. Ahmad en témoigne : « Maintenant, je me rends compte que ça m’a permis de prendre confiance un peu plus, chaque jour et chaque mois qui passaient. J’ai vu que je n’étais pas seul dans cette situation. Il y avait d’autres apprentis étrangers qui avaient les mêmes problèmes et les mêmes envies que moi. Nous avons formé un vrai groupe, on se soutenait, on se parlait de nos expériences. »

Aujourd’hui, il ressent de la fierté en constatant ses progrès. « Grâce à l’apprentissage de la langue française et à ma formation professionnelle, je peux trouver du travail qui me plait, je peux participer à la vie en France. Mon expérience d’apprenti au CFA est importante pour ma vie. Être accompagné, aidé, ne pas lâcher, j’ai beaucoup appris. »

Stéphanie Labbé-Riou
Enseignante en français langue étrangère et seconde et alphabétisation au CFA de Lagord (Charente-Maritime), et docteure en sciences du langage à l’université d’Artois d’Arras

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Notes
  1. Le prénom a été modifié.
  2. Florence Mourlhon-Dallies, Enseigner une langue à des fins professionnelles, Didier, 2008.