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« Le lectorat est incontournable pour provoquer chez les élèves l’envie et le besoin d’écrire. »

À l’école, on apprend à écrire, c’est entendu. Mais il ne s’agirait pas de s’en tenir à l’aspect utilitaire de l’écriture, pour laisser une trace. Notre dossier interroge sur ce qu’apprennent les élèves en écrivant, aussi bien à travers le geste qu’en construisant un écrit destiné à être lu, dans et hors de la classe. Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique des Cahiers pédagogiques sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Présentation par les coordonnateurs.

 

À quoi ça sert, d’écrire en classe ? Qu’apprend-on en écrivant ?

Jean-Michel Zakhartchouk : Je crois fondamentalement qu’on ne peut pas apprendre à écrire… sans écrire, contrairement à l’incroyable injonction d’un haut responsable du ministère qui, il y a quelque temps, affirmait avec véhémence qu’on ne devait pas faire écrire trop tôt, selon une conception bien étrange des apprentissages « fondamentaux »… Écrire en classe, ce doit être une activité précoce, régulière, continue et diversifiée. Pas toujours pour être lu (on écrit aussi pour soi, et il faut développer cette notion d’écrits « de travail », « pour apprendre »), mais pas seulement pour être corrigé. D’où l’importance de s’adresser à des lecteurs, de vivre l’interaction écriture-lecture, qui permet de se mettre à la place de l’autre, d’être, quand on écrit, déjà le lecteur de soi-même. On lira d’ailleurs avec grand intérêt dans ce numéro les propos d’écrivains de jeunesse qui évoquent ce duo singulier : celui qui écrit, celui qui lit..

Ben Aïda : D’abord, écrire à l’école est l’une des façons de garder une trace et de rendre compte de ses apprentissages et du travail réalisé, on copie, on rédige, on synthétise. L’idée est juste de ne pas en rester à cette fonction utilitaire. Au-delà de celle-ci, le passage à l’écrit oblige à anticiper son discours, à structurer sa pensée. Les activités d’écrits et de rédaction doivent s’intégrer effectivement dans tous les domaines d’enseignement et dans toutes les situations scolaires et d’apprentissage. Elles sont étroitement liées, bien sûr, à la lecture et aux compétences orales de communication. Quand on lance les élèves sur un texte libre ou un écrit réflexif, quand on leur a donné si besoin préalablement des outils pour dire et écrire quand, où, comment, pour lier les phrases entre elles, ils apprennent à mettre en forme et à transposer leurs pensées et leur parole en une espèce de « prêt à être écrit ». Cela produit forcément du discours élaboré qu’ils sont fiers de partager.

Et comment trouver le temps de le faire malgré des programmes bien lourds ?

J.-M.Z. : Ayant participé à la confection des nouveaux programmes du cycle 4, mais avec des liens avec le cycle 3, je voudrais dire que la dimension « écriture » a été très présente et significativement a été placée avant la lecture, car après tout, peut-il y avoir lecture s’il n’y a pas eu écriture avant ! Les programmes recommandent, malgré les détricotages régressifs sous le ministère précédent, une pratique fréquente de l’écriture. Et c’est d’ailleurs cela qui donne du sens à des activités qui sont, sans cela, déconnectées et rébarbatives : les conjugaisons, les liste de compléments circonstanciels, etc.

B.A. : L’idée n’est pas que les travaux d’écriture se rajoutent programmes, ils sont dans les programmes ! Cela doit être intégré à la fois comme un moyen et un objectif d’apprentissage. Ceci dit, cette systématisation ne va pas de soi. Tout l’intérêt du dossier est qu’il met en lumière des enseignants qui tentent (souvent avec succès !) de relever cet enjeu avec des pratiques multiples et réfléchies.

Pour qui écrit-on en classe, par qui est-on lu ?

J.-M.Z. : Dans le dossier, on a établi une distinction entre être lu dans la classe et à l’extérieur. Ce qui n’empêche pas les passerelles entre les deux (quand on élargit le cercle de lecteurs). Mais j’ajoute une autre distinction : on peut écrire pour des lecteurs concrets qu’on connait (c’est le cas par exemple de la correspondance, des échanges de tweets, des lettres à un public ciblé), on peut aussi à l’école écrire pour être fictivement lu (lettre imaginaire d’un personnage de roman ou un acteur de l’histoire). Sans oublier que le lecteur essentiel reste l’enseignant ou l’enseignante, mais j’avais bien aimé la différenciation opérée par un enseignant qui disait aux élèves qu’il fallait séparer le « lecteur » (qui s’intéresse à l’histoire par exemple, au « fond ») et le « correcteur » (qui se base sur des critères précis et est particulièrement attentif à la justesse de la langue). Mais il faut absolument que l’enseignant ne soit pas le seul lecteur tout le long de l’année.

B.A. : Ce que disent les auteurs du dossier, c’est que le lectorat, quelle que soit sa nature, est incontournable pour provoquer chez les élèves l’envie et le besoin d’écrire. Quand on fait écrire des lettres d’amour à des élèves de 4e, ils sont forcément en attente d’un retour sur leur écrit du ou de la destinataire. Quand on écrit des textes poétiques qui seront lus lors d’un grand festival par des artistes professionnels, c’est également une puissante motivation à se livrer. Quand on partage sur Twitter, via des journaux collaboratifs en ligne, le récit de moments forts de classe, tout en l’accompagnant d’une véritable éducation à l’utilisation sécurisée et responsable des réseaux sociaux, on met en place une solide pédagogie de l’écrit.
Bien sûr, c’est très souvent l’enseignant qui est le premier lecteur, mais c’est effectivement un lecteur professionnel, c’est l’éditeur de l’écrivain, celui qui reprend les premières épreuves et qui accompagne le projet d‘écriture. On a beaucoup de textes dans lesquels les élèves entre eux deviennent des sortes d’amis critiques qui aident à améliorer les premiers jets. C’est possible quand l’enseignant organise sa classe autour de valeurs bienveillantes et bientraitantes.

Quelque chose qui vous a particulièrement marqués dans ce dossier et que vous auriez envie de partager ?

C’est sans doute partagé avec beaucoup d’autres dossiers, mais nous sommes toujours émerveillés par la richesse des initiatives. Que de belles choses se déroulent dès lors qu’on met l’imagination pédagogique au pouvoir et quand on croit dans les capacités et potentialités des élèves ! Mais il existe bien des questions ouvertes qui traversent surtout la troisième partie : qu’en est-il du « texte libre » ? Quel est l’intérêt mais aussi les limites d’une approche « technique » ? Quelle place pour l’écriture manuscrite ? Quels effets du numérique ? Comment convaincre de l’importance de l’écrit personnel en dehors du cours de français ?

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.