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L’aventure coopérative par les corps

La danse comme coopération nécessaire à la découverte de l’altérité et du groupe. Un exemple dans une classe très difficile de CM1 en REP+ apaisée par la pratique artistique.

Ce retour d’expérience s’appuie sur la conviction que les apprentissages liés au corps et à la motricité sont un moyen privilégié pour développer des habiletés coopératives. Grâce à un enseignement construit autour des interactions corporelles entre élèves, ceux-ci ont pu avancer dans l’art de la rencontre avec l’autre par l’exploitation artistique de la langue des signes en danse.

La classe de CM1 concernée, en REP+, très difficile, est notamment composée d’un leader négatif, de filles « dominées », d’un élève harcelé et d’autres refusant toute coopération ou contact physique. La professeure, expérimentée, recherche activement le levier qui favoriserait un climat de classe plus constructif. Malgré ce tableau difficile, ou peut-être à cause de celui-ci, nous décidons d’entrer dans l’aventure coopérative par les corps en danse.

La création pour coopérer

Nous choisissons une démarche créative laissant une grande place à la rencontre. Chaque élève devra offrir aux autres des mouvements qu’il aura créés et devra en retour accepter de danser à plusieurs des mouvements créés par d’autres. Nous pensons que la réciprocité des apports entre les différents rôles sociaux (danseur, chorégraphe et spectateur) permet la construction de compétences psychosociales au service des autres.

  • Le spectateur devra guider ses camarades danseurs en identifiant les réponses originales afin que chacun puisse trouver un mouvement qui pourra l’identifier. Il apprendra à discriminer les composantes créatives et à en extraire « les bonnes idées ».
  • Le chorégraphe, pour que ses camarades parviennent à reproduire son mouvement, devra le rendre lisible en spécifiant ses différentes composantes.
  • Enfin le danseur diversifiera sa motricité parce que d’autres lui auront offert leurs mouvements souvent éloignés des siens.

Lors des premières séances, les élèves vivent des jeux coopératifs dansés pour s’entrainer à être disponibles aux autres. Comme on échauffe leur corps, il nous semble essentiel de préparer les élèves à la rencontre. Des jeux d’écoute initient les premières leçons. Dans l’un d’entre eux, le pouvoir est donné à un élève qui lance ou arrête le mouvement en criant « action » ou « stop ». Progressivement le pouvoir est partagé. Un élève dit « stop » tandis qu’un autre dit « action ». Puis on le partage à quatre ou à six.

Les premières difficultés apparaissent car certains refusent ou tardent à s’arrêter quand le pouvoir est offert à des élèves trop éloignés de leur sphère amicale. Les élèves proposent alors de transformer l’exercice en un autre jeu : le chef d’orchestre. Désormais, l’élève qui a le pouvoir doit mettre en mouvement tous les autres sans que le spectateur devine qui il est. Les élèves comprennent alors que pour réussir il faut que le leader aide les autres en étant suffisamment lisible. Cette mise en disponibilité trouve l’adhésion des élèves. La coopération devenue nécessaire par le défi lancé au spectateur se traduit par une écoute corporelle.

Lors d’autres séances, le jeu de l’énergie qui passe les amène à offrir plusieurs contacts prolongés de plus en plus originaux. Il faut trouver des contacts différents sans les mains. Ces gestes permettent alors à un partenaire « glacé », immobile, de repartir. L’élève, ayant libéré l’autre, reste figé en statue. La proximité physique, nécessaire, se prolonge et permet des statues originales éloignées des premières postures stéréotypées.

Cette forme courte, ludique, progressivement complexifiée sous forme de défi (trouver une idée que personne n’a trouvée), favorise la transformation des relations coopératives. Le partenaire, en offrant de nombreuses surfaces de contact, aide à la création de la figure originale.

Certains s’engagent vite, d’autres plus lentement. Jordan, par exemple, s’il accepte le contact pour être libéré, se fige un peu plus loin, seul, en faisant comme s’il avait libéré quelqu’un. Cet élève se bat très souvent dans la cour. Nous faisons alors l’hypothèse que ce comportement est peut-être lié à sa difficulté à vivre la promiscuité. Or, dans ce jeu, il accepte que les autres le touchent pour les aider à créer leur forme originale. Nous valorisons alors cette aide volontaire en mettant en exergue les bonnes idées créées grâce à lui. Il finit par accepter à son tour l’aide des autres et ses comportements agressifs dans la cour diminuent.

La langue des signes

Après une première évolution positive des comportements collectifs, nous exploitons un projet au cours duquel les élèves auront à créer une courte chorégraphie par groupe de quatre. Chacun doit danser les mouvements de ses partenaires mais aussi ceux des autres groupes. Pour initier le mouvement, nous choisissons la langue des signes comme inducteur du projet.

Nous ancrons notre choix dans ce qui fait la spécificité de cette langue : chacun invente son prénom de langue des signes à partir de ce qui l’identifie, le distingue. Dans une classe où la norme est imposée par un élève, où la différence mène parfois à l’exclusion, cela nous semble une gageüre mais aussi un levier pour que les élèves entrent en création et comprennent que la différence est nécessaire.

Pour cela, nous décidons de conserver l’entrée par des formes jouées où chaque élève doit choisir son prénom de danse qui sera désormais repris par les autres pour le nommer. Les résultats nous impressionnent tant ils révèlent des nouvelles attitudes individuelles. Brice offre un mouvement mimant la bagarre comme « signe prénom ». À l’enseignante qui traduit ce geste par « j’aime la bagarre » il répond : « Non ! Quand on me cherche on me trouve ! ».

Confronté à son geste reproduit par ses camarades danseurs, comme par un effet miroir, il décide de le changer. Désormais ce sera « j’adore le Kébab », parce qu’« il n’aime pas quand les autres dansent la bagarre devant lui ».

Lors du jeu, le mouvementoscope, il faut refaire le portrait dansé des différents membres de la classe. L’élève rejeté trouve un prénom si original que tous les autres s’en souviennent : « Tu as vu maitresse, ils m’ont tous dansé. » Cet élève d’habitude exclu devient le tuteur de ses camarades en difficulté pour reproduire son geste particulièrement éloigné de leur motricité stéréotypée.

C’est aussi par un jeu dansé que le leader négatif, qui refusait toute interaction mixte et de « faire les gestes des filles », les sollicite dans la cour pour qu’elles lui apprennent leurs mouvements. Il sait que la semaine suivante se tiendra le concours où il faut associer les gestes de camarades dont il aura tiré au sort les photos. Elles acceptent de l’aider et il diversifie alors son répertoire dansé jusqu’ici très masculin.

C’est également grâce à l’aide des spectateurs qui repèrent les mouvements différents que les élèves transforment leurs productions spontanées pour les rendre plus originales. Enfin, parce que lors de la chorégraphie collective il faudra reprendre à l’unisson les mouvements de chacun, les chorégraphes transforment spontanément leur geste parfois trop difficile pour que d’autres puissent le réussir.

Dé-battre

Au-delà de la danse, nous avons choisi de nous engager dans une démarche transdisciplinaire. Un travail « à chaud » en classe sous forme de débats a permis aux élèves de porter un regard sur les évènements en danse, sur leur rapport à leur corps, à celui des autres, sur la nécessité de la coopération, de la différence et de son respect.

Parce que celles-ci avaient pris sens dans leur projet de création, il a été possible de valoriser les relations d’aide jusque-là absentes.

Par la rencontre des corps rendue possible par les jeux de création et la mise en exergue de l’art d’être différent, les élèves ont développé leur empathie et accepté, voire recherché, la différence rendue possible par l’aide et le tutorat.

De cette expérience, nous retenons qu’une classe n’est pas figée dans des comportements déviants. La coopération s’apprend même avec les élèves les plus en difficulté. Il est pour cela nécessaire de leur faire confiance pour que cette coopération rendue nécessaire par les jeux créatifs soit souhaitée puis mise en œuvre.

Twiggy Lejeune-Vazquez
Professeure agrégée EPS, groupe coopér@ction AEEPS
Nathalie Ghionga
Maitre formatrice, professeure des écoles

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Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.