Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’aide, l’entraide et le tutorat

Couverture du n° 599 : « Hétérogénéité : oui, mais comment ? »

Couverture du n° 599 : « Hétérogénéité : oui, mais comment ? »

Donner la possibilité à des élèves de s’aider ou de s’entraider pendant certains cours serait une alternative aux groupes de niveau qui ne découragerait personne. De plus, elle serait pour l’enseignant un moyen d’organiser facilement de la différenciation pédagogique.

À l’occasion de la concertation lancée auprès des enseignants avant la réforme du « choc des savoirs », ces derniers auraient indiqué à 80 % que l’hétérogénéité des élèves freinerait la progression de tous les élèves. Face à ce constat, la mise en place des groupes de niveau à la rentrée 2024 en classes de 6e et de 5e a été présentée comme une réponse.

Si la communication officielle a fini par préférer l’appellation de « groupes de besoin » à celle de « groupes de niveau », ce sont pourtant bien les seconds qui ont été mis en place. En effet, des groupes de besoin ne peuvent être que ponctuels en réponse à une difficulté précise identifiée. L’organisation proposée par le « choc des savoirs » ne s’inscrit pas dans cette logique puisque les groupes ne sont pas ponctuels mais bien l’organisation dominante en mathématiques et en français.

Entre le tout uniforme et le tri social

Pourtant, la littérature scientifique sur les groupes de niveau ne semble pas favorable à cette modalité d’organisation (voir l’article titre d’Aurélie Guillaume et Julie Lefort dans ce dossier). En effet, elle ne présenterait pas réellement d’intérêt sur le plan des apprentissages tout en pénalisant les plus fragiles. Il existerait une adaptation aux besoins supposés des élèves et donc des exigences plus faibles pour certains groupes. Les élèves en difficulté seraient ainsi moins exposés aux tâches de haut niveau cognitif et davantage à des tâches d’exécution. Ce type de regroupement constituerait par ailleurs une forme d’étiquetage stigmatisant susceptible de décourager les plus fragiles et de les enfermer dans leur statut socioscolaire.

Pourquoi, en dépit de ces éléments, cette réponse a-t-elle été mise sur la table ? Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’une conséquence de la défiance des enseignants vis-à-vis des injonctions liées à la différenciation pédagogique mais aussi des limites identifiées de celle-ci par des travaux scientifiques récents1.

Sommes-nous alors condamnés à choisir entre reproduire des méthodes traditionnelles2 d’enseignement simultané, qui tendent à ignorer la diversité des élèves, la mise en place de groupes de niveaux inefficaces et ségrégatifs, et des pratiques de différenciation pédagogique, qui peinent à recueillir l’adhésion et qui ont montré leurs limites ?

La personnalisation comme alternative

Parmi les alternatives envisagées actuellement pour la prise en compte de la diversité des élèves, la personnalisation des apprentissages3 constitue une piste intéressante. Elle s’inscrit dans un équilibre des temps collectifs, du travail individualisé et de la coopération entre élèves, évitant ainsi le tout uniforme autant que l’illusion du tout individualisé. En fonction des moments dans la séquence didactique, il est possible d’activer des formes de coopération différentes.

C’est le cas de l’aide, de l’entraide et du tutorat dans un temps bien particulier où la gestion de la diversité est la plus visible : le travail des automatismes qui arrive après l’apport de savoirs nouveaux pour les élèves. Ce sont des moments où la coopération peut être combinée avec des formes ponctuelles d’individualisation.

L’aide et le tutorat sont deux modalités de coopération dissymétriques. L’aide revêt un caractère informel dans la mesure où elle est activée par un élève qui ressent un besoin et demande à un autre de venir le débloquer. Le tutorat est plus organisé, formalisé avec l’enseignant avec une formation préalable des élèves. L’entraide est une modalité de coopération symétrique informelle, des élèves se regroupent pour travailler ensemble sur une même tâche qui leur pose problème.

Cinq raisons d’envisager l’aide, l’entraide et le tutorat

L’idée que ces trois modalités de coopération puissent constituer une alternative crédible aux groupes de niveau me parait particulièrement intéressante. Je retiens pour cela cinq arguments principaux issus d’observations de classes réalisées dans des collèges d’éducation prioritaire et de ma pratique dans des classes coopératives.

1. Pouvoir s’appuyer sur les pairs multiplie les sources pour se débloquer. Lorsque les élèves travaillent sur des exercices d’automatismes, ils peuvent rapidement se retrouver confrontés à des difficultés de compréhension de consigne, avoir besoin d’une rétroaction rapide, d’un exemple ou toute autre forme d’étayage court qui leur permet d’avancer. Si l’enseignant est la seule ressource de déblocage, de nombreux élèves finissent par attendre qu’il puisse venir les aider ou qu’il propose une correction collective (possible seulement sans individualisation du travail). Permettre de l’aide, de l’entraide et du tutorat est donc susceptible d’augmenter le temps d’exposition aux apprentissages tout en rendant possibles des moments d’individualisation.

2. Dans cette perspective, les regroupements hétérogènes semblent davantage pertinents puisque les élèves les plus à l’aise occupent une place de choix dans les réseaux d’aide. Même s’il faut éviter que ce ne soient qu’eux qui aident, ils font fonctionner les demandes d’aide parce qu’ils y répondent, mais aussi parce qu’en demandant de l’aide eux-mêmes, ils facilitent l’autorisation à demander des plus fragiles, qui en perçoivent la normalité alors qu’ils le vivent parfois comme une honte.

3. C’est aussi une opportunité pour rendre l’enseignant plus disponible pour les plus fragiles permettant ainsi des interactions privilégiées puisque l’autonomie des élèves est appuyée par la possibilité de solliciter des pairs. Il est par exemple possible de mettre en place une table d’appui, dispositif consistant à réunir quelques élèves autour de l’enseignant sur une difficulté commune ponctuelle.

4. Introduire des formes de coopération telles que l’aide et le tutorat c’est aussi permettre aux élèves de bénéficier de l’effet tuteur. Celui qui aide bénéficie en effet fortement de la situation en devant se questionner, en verbalisant, en tentant d’identifier les blocages et en réactivant ses connaissances. Au-delà des apports cognitifs, c’est aussi une position gratifiante qui peut favoriser l’estime de soi. C’est ainsi que la réciprocité, c’est-à-dire le fait que tous puissent aider, est une condition essentielle dans la mise en œuvre de ces dispositifs.

5. L’aide, l’entraide et le tutorat permettent une multiplication des registres d’intervention. L’enseignant et les élèves n’apportent pas tout à fait la même chose. L’aide de l’enseignant se veut davantage didactique, s’inscrit dans des codes scolaires qui peuvent précisément comporter des implicites mettant en difficulté les plus fragiles. Les pairs peuvent se rendre plus accessibles dans ce qui est qualifié de congruence cognitive4.

En pratique

Dans les classes du collège Vadez, nous proposons aux élèves, au moins une fois par semaine en mathématiques, une heure de travail individualisé pour s’entrainer sur les automatismes. À l’aide d’un plan de travail, chacun choisit ce qu’il va travailler durant ces heures et peut utiliser les fichiers de travail à disposition. Les élèves sont alors en autonomie et peuvent solliciter l’enseignant pour se débloquer, avoir des rétroactions ou corriger leurs exercices.

Mais ils ont aussi la possibilité de demander de l’aide ou s’entraider. Pour cela, ils viennent s’inscrire sur un tableau d’aide en indiquant ce sur quoi ils sont bloqués. N’importe quel élève peut alors répondre à cette sollicitation. Ce tableau agit comme une institution de classe, une médiation des relations interpersonnelles que la demande génère. Il est aussi possible d’utiliser d’autres artéfacts de médiation comme le tétra-aide ou les passeports d’aide pour des demandes plus « discrètes »5.

Au fur et à mesure de la période de trois à cinq semaines, les élèves indiquent alors sur leur plan de travail qui les a aidés et qui ils ont aidé. Il est par ailleurs nécessaire de former les élèves aux gestes de l’aide, idéalement en analysant avec eux des situations vécues. Une des dérives fréquemment observée intervient quand un élève aidant guide pas-à-pas un camarade finissant par le soumettre à une exécution dépourvue de réflexion cognitive.

Un tel fonctionnement s’avère finalement plus difficile avec les groupes de niveau, surtout dans les groupes les plus fragiles où peu d’élèves se sentent légitimes pour aider et où ils ont parfois des difficultés à varier les registres d’aide. C’est pour cette raison que, malgré la mise en place de ces groupes de niveau dans notre collège, nous les brassons précisément durant cette heure de travail individualisé pour multiplier les aides possibles entre différents types d’élèves, faisant de l’hétérogénéité du groupe une force pour les apprentissages de chacun.

Guillaume Caron
Professeur de mathématiques au collège Vadez de Calais -Doctorant en sciences de l’éducation et de la formation, laboratoire Lirdef, formateur académique

Sur notre librairie

Couverture du n° 599 : « Hétérogénéité : oui, mais comment ? »

 


Notes
  1. Voir les notes des experts dans le cadre de la conférence de consensus du Cnesco et de l’Ifé/Ens de Lyon « Différenciation pédagogique : comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? », 2017. http://www.cnesco.fr/fr/differenciation-pedagogique.
  2. Jean Houssaye, La pédagogie traditionnelle. Une histoire de la pédagogie, Fabert, 2014.
  3. Sylvain Connac, La personnalisation des apprentissages, ESF Sciences humaines, 2017.
  4. Alain Baudrit, Le tutorat, richesse d’une méthode pédagogique, De Boeck, 2007.
  5. Voir la fiche 2 sur l’aide et le tutorat sur notre site : https://www.cahiers-pedagogiques.com/wp-content/uploads/2019/01 organiser_la_cooperation_entre_eleves_-_fiche_2_l_aide_et_le_tutorat.pdf.