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«Avez-vous invité les femmes de ménage analphabètes ?»

L’objectif affiché de la table ronde était d’analyser comment les communautés éducatives se mobilisent pour la réussite des élèves en favorisant l’expression de tous leurs membres. Il s’agissait aussi, selon l’invitation, de savoir si ces politiques éducatives étaient « claires et compréhensibles pour toutes les familles, quelle que soit leur origine sociale ». Force fut de constater, dès l’entrée dans la salle, que la diversité des familles nantaises était loin d’être représentée, prouvant par-là la difficulté à mobiliser largement un samedi après-midi sur ces questions…

La table ronde s’organisait en deux temps : des interventions rythmées par les questions de Louise Tourret, journaliste animatrice du magazine « Rue des écoles » sur France Culture, durant une heure puis une heure d’échanges avec la salle. Y intervenaient Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes, Robert Rakocevic, chargé d’études internationales à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, Françoise Gillot-Gravouil, directrice de l’école Françoise Dolto à Nantes (REP+), Charles Amiot, délégué régional de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), Clémence Rouart, parent bénévole de l’Amicale laïque du Coudray et Myriam Naël, adjointe en charge de l’éducation et de la réussite éducative de la ville de Nantes.

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Les interventions se sont articulées autour de différentes thématiques. Tout d’abord, le concept de réussite éducative demandait à être clarifié. Il dépasse largement la simple réussite scolaire car il pose la question de l’épanouissement de l’enfant en tant que personne, de l’acquisition de compétences sociales. Dans ce cadre, l’école devient une affaire globale et son rôle est de créer un tissu de relations autour de l’enfant, dont les parents sont le centre, dans une perspective de coéducation. Mais dans cette perspective, l’école doit aussi être un lieu de plaisir, où l’on se sente accueilli, en tant qu’enfant comme en tant que parents. Est-ce toujours bien le cas aujourd’hui ? Poser la question c’est déjà un peu y répondre…

La place des parents

C’est d’ailleurs la question de la place des parents qui a occupé la majeure partie des interventions. Comment favoriser l’implication parentale dans une école française qui a tant de mal à faire rentrer les parents dans l’école, à créer un sentiment d’appartenance à une communauté éducative et un sentiment de sécurité des parents vis-à-vis de l’institution scolaire ?

A cette question, chaque intervenant a tenté de répondre avec son angle d’étude ou d’observation. Robert Rakocevic a rappelé que des politiques d’implication parentale dans l’école ont été mises en place dans différents pays européens, dans le but de lutter contre les déterministes sociaux. Si les effets directs de ces politiques restent très mesurés à l’échelle nationale, leurs effets latéraux à l’échelle locale sont eux bien plus forts, permettant l’intégration dans des communautés éducatives locales.

Agnès Florin a pour sa part souligné que le type de relations mis en place avec les parents était essentiel et devait favoriser la coopération et la bienveillance, sous peine de créer chez l’enfant des conflits de loyauté néfastes à sa réussite éducative. Françoise Gillot-Gravouil a étayé ce point de vue par son expérience de directrice d’école dans l’éducation prioritaire, en expliquant comment, dans son école, elle cherche à inviter les parents à prendre leur juste place dans l’école, en les accueillant dans leurs identités et en explicitant régulièrement le travail de l’école. Mais elle reconnaît que c’est un travail de longue haleine, jamais achevé et toujours fragile, et qu’il ne faut pas rechercher le « parent parfait ».

Ce postulat d’accompagnement des parents sans jugement, c’est aussi celui de l’AFEV qui forme les étudiants de l’association à accompagner l’enfant dans sa scolarité avec les parents et non sans eux ou contre eux.

Doléances de parents

Lors des échanges avec la salle, ce sont d’ailleurs majoritairement des parents d’élèves qui ont pris la parole, pour témoigner de leur insatisfaction quant à l’organisation des activités périscolaires et du décalage entre un discours sur la réussite éducative et l’encadrement des activités périscolaires par des animateurs peu formés. Cette tension entre les attentes fortes de certains parents et l’offre éducative s’est aussi retrouvée dans les questionnements de parents quant à la faiblesse des pédagogies actives telles que la pédagogie Freinet, au cœur du projet de l’école publique Ange-Guépin, sans que ce projet n’ait essaimé pour le moment dans d’autres écoles ou dans un collège. Ces demandes, légitimes certes, illustrent de façon très claire le décalage entre le propos des intervenants, centré sur les publics éloignés de l’école et leur inclusion dans la communauté éducative, et le public composé très majoritairement de parents d’élèves très favorisés et très exigeants quant à l’institution scolaire et à ce qu’elle devrait offrir.

La question aussi de la formation des enseignants à développer les compétences sociales et à gérer les conflits chez les élèves a été durement posée par une mère d’un élève en décrochage scolaire suite à un harcèlement, ainsi que par deux anciens enseignants en lycée professionnel reconvertis en formateurs dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

Mais c’est certainement la dernière intervention qui restera comme la plus marquante de cette table ronde, celle d’une institutrice retraitée d’Afrique noire, qui a raconté comment son père analphabète l’avait, à l’époque coloniale, encouragée dans sa réussite éducative en s’impliquant quotidiennement de façon ludique et humoristique dans ses apprentissages sans pour autant maîtriser le français. Ayant eu connaissance de la table ronde par la presse, elle s’est interrogée sur l’absence des populations immigrées illettrées à ce type de forum, alors même qu’elles sont au cœur des enjeux, et a demandé si « on avait pensé à inviter les femmes de ménage qui ne savent pas lire ».

C’est bien là l’enjeu et Louise Tourret le reconnaît bien volontiers en lui répondant : la question de la réussite éducative est investie d’abord par ceux dont les enfants réussissent déjà bien…

Anne Pedron-Moinard
Enseignante d’Histoire-géographie à Nantes

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Canopé propose un dossier sur son site comprenant des interviews complémentaires des intervenants du forum de Nantes.