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La reconnaissance comme stratégie

Ses trente-cinq ans de parcours professionnel se lisent eux-mêmes comme une navigation où la boussole oscille entre les îles, les récifs, toujours dans la direction de la formation tout au long de la vie. Sa scolarité est stoppée par un échec lié à une erreur d’orientation. Il quitte l’école sans le bac, travaille comme ouvrier chez un pépiniériste attentif qui lui donne envie de reprendre des études en bac technique agricole option horticulture. Il le fait par correspondance tout en travaillant dans des entreprises diverses, continue en BTS, échoue, persévère et attrape au passage « le goût d’apprendre en permanence ».

Alors, il ne s’arrête plus d’apprendre, d’étudier tout en travaillant, obtient des diplômes en informatique puis en logistique horticoles, un troisième cycle en management de la qualité. Il progresse dans ses fonctions, dans ses métiers dans des entreprises diverses. Et puis, au début des années 90, le marché du travail est déjà en crise. Philippe Gauthier vit trois années émaillées par le chômage et pour ne pas rester à quai, se perfectionne pour étoffer ses compétences dans le domaine des ressources humaines, de l’ingénierie de formation et de l’intervention conseil.

« J’ai vécu deux, trois périodes de chômage difficiles avec la difficulté de retrouver du travail en lien avec mon projet professionnel » nous dit-il, avec le sentiment que « sur le marché du travail, ce n’étaient pas les compétences qui étaient ciblées mais que j’étais face à des mécanismes de recrutement confus ». Les stages de techniques de recherche d’emploi, les bilans de compétences l’aident mais ne s’attardent pas assez à son goût sur les aspects réflexifs, sur le développement d’une stratégie dans son parcours professionnel.

Découverte

Au gré de ses recherches personnelles, en 2004, il découvre le portfolio et en 2005, il commence une thèse sur le sujet. Entre-temps, il a mis en œuvre ses compétences en cumulant les emplois dans les secteurs de la formation, de l’horticulture et de l’industrie en étant à la fois, et selon les employeurs, consultant qualité, formateur et intervenant conseil. Progressivement, ses champs de prédilection deviennent le e-learning, les projets multimédias, la qualité, la gestion de la formation qu’il exerce, notamment, à l’université catholique de l’Ouest.

Le portfolio l’intéresse, dans son utilisation au cours de la vie professionnelle, par les apprentissages formels et informels qu’il retrace. Il est mieux connu dans ses applications en formation initiale au travers du livret de compétences ou par son utilisation dans les écoles de formation des enseignants. Il existe peu d’écrits sur ses usages en cours de carrière. Il pressent là un sujet riche pour explorer une voie permettant à l’individu de « se rendre compte qu’il n’est pas uniquement héritier du monde de ses parents, qu’il peut construire sa place, la prendre en étant acteur de la société et en anticipant ses choix ».

Le portfolio s’inspire à la fois des travaux de Gaston Pineau sur les histoires de vie dans le cadre de l’autoformation et de ceux de Jacques Aubret sur les bilans de compétences. La reconnaissance des savoirs et savoir-faire acquis par ses propres expériences est mise en exergue comme un moyen de se construire, de choisir, de s’émanciper. Avec Maxime Pollet, Philippe Gauthier a décrit dans un ouvrage la démarche de portfolio, une démarche en huit phases où l’engagement, la connaissance de soi et la reconnaissance de ses compétences, la construction de liens et la socialisation laissent émerger une stratégie.

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Parce qu’il se base sur une démarche, le portfolio est complémentaire d’un profil sur un réseau professionnel et du CV. « Il y a une véritable démarche de réflexion et de réflexivité au travers du parler de soi, une mise en cohérence entre le projet et les compétences, une reconnaissance de la singularité. » Les compétences sont étayées par des preuves sur ce que l’on a fait mais aussi par des témoignages, des certificats, des badges délivrés par ceux auprès de qui on les a exercées. La huitième phase propose de réinterroger les sept premières au moment d’un changement de vie ou plus simplement lorsque l’on a envie. « C’est une vision durable, responsable et citoyenne du rôle que l’on joue dans le monde professionnel. »

Expériences

Les premières expériences de portfolio concernaient des femmes qui souhaitaient reprendre une activité professionnelle après une longue interruption pour élever leurs enfants. Philippe Gauthier l’utilise avec ses étudiants, venant de tous horizons avec des niveaux de diplômes différents, tous en formation professionnelle. Certains à leur tour appliquent la méthode, l’adaptent lorsque les publics ne maîtrisent pas suffisamment l’écrit pour se sentir à l’aise dans la description de leurs compétences.
Par exemple, une ancienne étudiante a ainsi travaillé auprès de salariés d’ESAT, établissements de travail protégé. Des illustrations, des dessins, des mises en situation sont alors utilisés. On voit aussi des expériences dans les écoles de la deuxième chance. Parfois, les phases sont simplifiées et des badges de compétences sont utilisées. Une autre ancienne élève accompagne par cette démarche les femmes d’expatriés, partout dans le monde.

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Ce qui est visé et constaté à chaque fois a tout à voir avec l’estime de soi, une découverte de ce que l’on sait, sait faire, de ce que l’on a appris, dans une réflexion sur son propre parcours que le regard de l’autre illustre, enrichit, conforte. Le bilan est plus mitigé lorsque le portfolio est mis en œuvre en formation initiale dans l’enseignement supérieur comme l’a montré une évaluation du CEREQ. Pour Philippe Gauthier, cela vient en partie de la difficulté que rencontrent les enseignants dans une mise en œuvre qui suppose de se placer soi-même dans une démarche réflexive sur son propre parcours pour comprendre la démarche. Et puis, rajoute-t-il, « nous sommes dans un territoire conceptuel non défini. Le processus de reconnaissance des compétences n’a pas été objectivé d’un point de vue scientifique. »

Arrivée bientôt à bon port, l’idée de sa thèse repose sur l’envie de défricher, de déchiffrer ce territoire. Et par son thème, celui de l’analyse des dynamiques identitaires mobilisées par des signataires de ePortfolios lors de transitions professionnelles, la stratégie professionnelle apparaît dans toute sa dimension citoyenne.

Monique Royer

L’ePortfolio de Philippe Gauthier
Le site de l’ouvrage : « Accompagner la démarche portfolio », Philippe Gauthier et Maxime Pollet