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La notion d’excellence a-t-elle une place à l’école ?

Si l’excellence n’est à chercher ni dans les établissements scolaires ni dans les élites de la nation, où peut-elle donc bien se cacher ?

La question que pose ce titre a, sans doute, aux yeux de beaucoup, comme un petit air de provocation. Évidemment, ont-ils envie de répondre, que l’excellence a sa place à l’école, et même une place de choix ! Elle représente le but constamment visé, et reculant toujours, que les élèves doivent chercher à atteindre, celui qui doit les motiver à travailler davantage et de façon toujours plus rigoureuse ; elle représente ainsi la récompense suprême d’un travail qui la mérite. Et pourtant, les choses sont loin d’être aussi simples.

On se souvient de l’affaire Affelnet, qui secoua les établissements scolaires du centre parisien en février 2022. La presse en avait fait grand bruit. Affelnet est le nom d’un logiciel, créé en 2008, qui permet d’obtenir plus de transparence dans la procédure de choix des élèves entrant au lycée, ceci, dans la visée d’une mixité sociale, plus effective, et plus en cohérence avec les valeurs de la démocratie. Mais, où l’on voit que ces valeurs, même dans une démocratie, sont loin d’être partagées par tous, c’est que cet objectif souleva des tollés, si bien que certains lycées parisiens, dits de prestige, avaient réussi à être dispensés de devoir l’utiliser, au moins à titre provisoire.

Or, en février 2022 le rectorat de Paris a mis fin à cette dispense. Dans le Landerneau huppé, ce fut la révolte indignée : personnel de ces lycées, élèves, parents d’élèves, tous ont hurlé à la catastrophe, baisse du niveau, dévalorisation de ces lycées prestigieux, chargés de former les élites de notre pays. Et voilà le grand mot lâché : l’excellence n’est plus. Saccagée, méprisée. Bref, le triomphe de la médiocrité pour tous.

Qu’est-ce que l’excellence pour un établissement ?

Un établissement d’excellence est celui où les élèves réussissent les examens qu’ils ont à passer, un établissement où l’on compte 95 % de réussite au bac, donc où l’on trouve des élèves méritant de devenir les élites du pays. Problème : on oublie qu’il existe des élèves qui réussiraient n’importe où, y compris sans école du tout, et que, souvent leurs élèves font partie de ceux–ci.

Tiens ! La notion serait-elle moins claire qu’on ne le pense ? En particulier, on sait que l’excellence des établissements prestigieux — dont la vocation est évidemment d’enseigner pour former les élites — ne repose guère sur l’originalité de la pédagogie, mise en œuvre dans ces établissements ; celle-ci est d’un classicisme parfait, sans qu’on puisse affirmer qu’elle serait la meilleure puisqu’elle multiplie les échecs dans les autres établissements. La vraie raison est que les élèves qui y sont admis réussissent partout où ils passent.

Comment font-ils ? Facile : il n’est qu’à voir le milieu familial dans lequel ils vivent. Autrement dit, l’excellence semble fort dépendante de conditions sociales, économiques et culturelles, et être ainsi le résultat d’un tri social, peu compatible avec la notion de démocratie. Quant à savoir si ce qui n’est pas excellent est nécessairement médiocre, inférieur, en valeur et en intérêt, à ce qui passe pour excellent, ceci parait bien discutable. Peut-on dire que les élites de la nation sont supérieures à un chirurgien, un professeur ou un éboueur ?

À quoi servent les élites ?

Depuis 1789, on sait que les hommes naissent libres et égaux en droits. Cela signifie qu’en tant que personne, nul n’est supérieur à un autre. À l’école, la personne de chacun des élèves, quel que soit son âge, est donc rigoureusement égale à celle du maitre. Il est vrai que c’est bien souvent oublié ! Ce qui est différent, c’est le statut social, la fonction dans la société. Et l’objet de la différence, c’est que ce statut, cette fonction suppose des responsabilités : le maitre est supérieur à l’élève par son statut social et uniquement par lui, parce que ce statut lui impose des responsabilités qui n’incombent pas à l’élève.

Par exemple, ceux qu’on nomme les élites, qui font partie des gestionnaires de la nation, qui la gouvernent et occupent les plus «hautes » fonctions, ont des responsabilités à la fois très pointues et très larges, lourdes, souvent, mais sans différence essentielle de valeur, avec celles de n’importe quelle autre profession, fût-ce celle d’éboueur, tellement nécessaire… Il faut souligner également que tout le monde n’est pas capable d’assumer n’importe quelle responsabilité, sans qu’on puisse dire pour autant que certaines sont plus « hautes », plus admirables que d’autres. En fait, tout est affaire de gout personnel et de formation. Elles demandent simplement des compétences différentes, des formations différentes, tout aussi valables les unes que les autres, parce que toutes sont nécessaires à la vie sociale.

Ajoutons que les établissements conçus pour la formation de ceux qui vont devoir assumer de telles responsabilités n’ont nul besoin d’avoir d’autres qualités que celle de maitriser la pédagogie adaptée à cet enseignement. On arrive donc à cette conclusion que la notion d’élite, loin d’aller de soi, ne semble guère utile…

Quelles raisons a-t-on eues, alors, de créer une catégorie de gens à part, sous prétexte que leurs fonctions les placent près du pouvoir ? En démocratie, cela ne signifie pas grand-chose… Quand on a l’esprit un peu mal tourné, on peut penser que, si cela a été fait, ce ne peut être que poussé par le désir secret, mais réel, de créer des divisions dans la population, avec des castes hiérarchisées, se jalousant plus ou moins, ce qui est toujours rassurant pour le pouvoir.

Un moment de gloire

Ni dans les écoles de certains quartiers, ni dans certaines fonctions sociales. C’est à l’école, mais cachée, qu’elle se trouve. Pour la voir, il faut que la démocratie entre à l’école. Elle seule rappelle que les élèves sont d’abord des enfants et des adolescents, qui vivent aussi ailleurs qu’à l’école, où ils construisent des savoirs autres que scolaires, et vivent des passions différentes des programmes officiels, des passions qui constituent leur domaine d’excellence.

Eh oui ! L’excellence, elle est là, dans l’école, en chacun des élèves, dans un domaine donné, ni plus ni moins « haut » que les autres. Or, si l’on excepte les enfants d’enseignants, qui, baignant dans le monde de l’école, y retrouvent souvent leur domaine d’excellence, beaucoup d’enfants n’ont guère l’occasion de « briller » en classe. Tous, pourtant ont un domaine d’excellence : pouvoir l’afficher est indispensable à l’installation du sentiment de sécurité, sans lequel aucun enfant ne peut réussir.

Une école excellente, c’est donc une école qui permet à chaque enfant d’avoir son moment de gloire dans la classe : s’il ne peut pas l’avoir en savoirs scolaires, il faut qu’il ait la possibilité de le vivre dans un domaine où il sait qu’il peut briller. Mais comme les passions des enfants sont d’une grande diversité – de la couture, au rap, en passant par le jardinage, la cuisine et la moto, choses que les enseignants ne peuvent pas toujours connaitre –, une autre condition doit être remplie : celle qu’existent, dans l’emploi du temps, des moments de libre expression des élèves, où, à tour de rôle, seuls ou en petits groupes, ils racontent leur vie en dehors de l’école, et ce qu’ils aiment faire. Si ces récits sont suivis d’un jeu de questions et réponses autour de chaque exposé, les occasions de briller apparaitront d’elles-mêmes, pour leurs auteurs.

Si l’on veut que l’égalité, non « des chances » — formule inadaptée ! — mais de présence, de traitement et de droits, existe enfin à l’école, il est indispensable que chaque enfant ait, dans la classe, son moment de gloire. Comme celui-là ne sera évidemment pas accompagné de notes, cela permettra peut-être à cette vilaine manie des notes chiffrées de finir par disparaitre, et ce jour-là méritera alors d’être qualifié de jour d’excellence !

Éveline Charmeux
Professeure honoraire et autrice d’ouvrages sur l’enseignement de la lecture et la maitrise de la langue.