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La littérature en débats

Ce livre s’inscrit aussi dans le mouvement qui propose de faire réfléchir les enfants, dès l’école primaire, aux questions philosophiques fondamentales qui les préoccupent, de leur apprendre à confronter des idées, de conceptualiser avec eux les notions qui permettent de les penser. Car très tôt ils se posent, ils nous posent des questions comme : à quoi ça sert d’aimer ? Faut-il toujours obéir ? Pourquoi on ne peut pas rester petit ? Ces grandes questions sont présentes dans la littérature et notamment dans la littérature de jeunesse, c’est-à-dire dans les textes forts, classiques ou contemporains, à la portée des enfants. « Qu’est-ce que le courage ? » conduit ainsi à se demander l’album Yakouba de Thierry Dedieu, dont la lecture est évoquée plusieurs fois dans l’ouvrage de l’équipe de Montpellier.
Deux dispositifs sont donc exposés et illustrés, deux dispositifs complémentaires de discussion sur ou à partir de la littérature de jeunesse : la discussion à visée littéraire et la discussion à visée philosophique. Citons les auteurs : « Dans le débat littéraire, le texte est et demeure l’objet d’étude toujours présent dans la discussion. […] Alors que, dans la discussion à visée philosophique, le texte, point de départ nécessaire en ce qu’il offre au concept à travailler une configuration d’expérience, fût-elle fictionnelle, sort en quelque sorte peu à peu du champ d’investigation. »
Ces dispositifs sont déjà bien connus, sans doute, des lecteurs des Cahiers, (voir le dossier 462, paru en 2008). Mais un des intérêts de cet ouvrage tient à l’analyse particulièrement précise et approfondie de plusieurs exemples de mises en œuvre de ces discussions : on saisit ainsi la dynamique de ce type de travail dans les classes et les « arts de faire » des enseignants qui conduisent ces débats – temps, rythmes, fonctions attribuées aux élèves…
Enfin, et c’est un autre apport du livre, il s’interroge, dans la dernière de ses trois parties, sur la professionnalité de l’enseignant engagé dans des discussions de ce type. La notion centrale est ici celle de « geste professionnel », qui fait justement l’objet d’un travail de recherche de l’équipe dirigée par D. Bucheton à Montpellier : « gestes de métier » du côté de l’enseignant, « gestes d’étude » des élèves, « gestes d’ajustement » qui marquent l’articulation du travail de l’enseignant et de celui des élèves. L’entreprise est ambitieuse, elle vise à donner aux enseignants les moyens de « nommer, expliciter et construire » ces gestes. Ainsi deviennent visibles pour le lecteur, dans des séances de discussion, ce que fait l’enseignant pour aider ses élèves et pour ajuster sa propre activité à l’activité de ceux-ci, la manière dont il prend en compte et interprète la situation et ses éléments pertinents, bref les manières dont il parvient à gérer l’inattendu.
Donner de tels outils aux enseignants est particulièrement précieux lorsqu’il s’agit de situations didactiques récentes comme les dispositifs proposés ici, pour lesquels ils manquent de références concrètes. Car, faute des « gestes » adaptés, ces débats, littéraires ou philosophiques, peuvent vite se dégrader en conversations ordinaires, où les élèves, notamment les plus démunis, construisent peu de connaissances et de compétences.

Jacques Crinon


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