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L’erreur ouvre un chemin

Elle dit aujourd’hui vivre la rentrée sans stress, avoir hâte même de revoir les élèves de l’année précédente, rencontrer les nouveaux. Pourtant, au début de sa carrière, elle vivait parfois la classe comme une confrontation. Elle a débuté un peu à reculons, souhaitant transmettre les bases et les richesses de l’allemand mais était «morte de trouille» lorsque, suite à sa réussite à l’agrégation, elle a appris sa nomination à Sarcelles. Elle faisait partie de ces enseignants à qui la suppression des IUFM a ôté toute possibilité de formation initiale conséquente, accompagnée toutefois par une conseillère pédagogique dans ses premiers pas professionnels hésitants.

«Les premiers jours, j’ai tout fait de travers. Les élèves sentent lorsque l’on a peur, or, ils demandent à être rassurés.» Elle distribue les punitions, recueille en retour l’incompréhension voire l’hostilité. «Jusqu’en décembre, j’étais en brasse coulée.» Sa conseillère pédagogique l’oriente vers une inspection conseil et le retour de son inspectrice après avoir assisté à une séance en classe lui permet de sortir de la tête de l’eau. Elle perçoit alors ce qu’elle fait bien et surtout comment elle peut améliorer sa pratique, ses relations avec les élèves, avec des outils favorisant la participation, l’implication de tous.

Le choix de Sarcelles

Son inspection de titularisation lui laisse un goût d’échec avec une classe mise en ébullition par un lycéen s’estimant sanctionné injustement. Elle est titularisée mais la séance «foirée» lui donne à réfléchir pour ne plus revivre de tels moments professionnels. L’année suivante, au titre de TZR, remplaçante, elle enseigne trois mois dans un collège où elle se sent encore en difficulté puis six dans un lycée. Là, tout se déroule au mieux, elle prend pied dans le métier, trouve la confiance en elle et demande un poste à Sarcelles malgré les souvenirs cuisants.

Son choix était motivé par l’équipe pédagogique qu’elle appréciait et depuis, elle ne le regrette pas. Sa réflexion sur sa façon d’enseigner avait aussi fait son chemin en particulier sur les notes, l’évaluation, la façon de transmettre, la gestion des élèves en difficultés. D’une situation d’échec, celle de sa première année, elle a tiré les fils pour comprendre et progresser, changer son approche. Au début, elle cherche des éclairages du côté de son syndicat, plutôt conservateur, et du site néo-profs dans lequel elle s’investit. Elle reste sur sa faim devant les mécanismes de défense professionnelle plus que d’actions qui s’y expriment. Elle souhaite agir sur ce qu’elle peut changer, sa pédagogie, pour intéresser les élèves à ses cours.

Changement de regard

Elle commence à lire les Cahiers pédagogiques pour acquérir de la culture professionnelle. Elle le fait avec défi, peu convaincue au départ de l’intérêt des sujets traités. «Je n’ai pas adhéré tout de suite mais à force de lire, j’ai commencé à réfléchir à l’importance du comment plutôt que du quoi.» Elle se souvient d’un conseil de classe désastreux où agacée par le comportement des élèves, elle avait entamé le tour de table par des propos négatifs aussitôt amplifiés par ses collègues. Sa réflexion l’amène vers un changement de regard sur l’évaluation, la notation, les appréciations, pour laisser la place à la progression, ne pas précipiter dans la fatalité de l’échec.

«Le rapport à la langue est personnel. La motivation est une question essentielle. Il faut trouver le moyen de faire progresser les élèves, tous les élèves.» A Sarcelles, une forte communauté turque est présente, avec des liens familiaux en Allemagne. Le choix de l’allemand est souvent motivé par cette proximité. D’autres élèves l’apprennent suite à une initiation à l’école primaire qui les a intéressés. On est loin de la stratégie d’évitement de la carte scolaire. Pour Aurélie Gascon, «le travail de prof de langues est avant tout psychologique. Si on n’accepte pas de se tromper, de dépasser l’erreur, on ne peut pas travailler, progresser. Il faut parfois récupérer des élèves en refus.»

Accompagner

Dans les réponses aux questionnaires de début d’année qu’elle propose aux secondes, elle constate cette peur de l’erreur partagée. Elle choisit l’humour pour adoucir les craintes, riant de ses propres erreurs, de ses étourderies, encourage pour instaurer une relation de confiance. Susciter la motivation passe par les projets, la préparation d’une certification de langues B1.

La cour du lycée Jean-Jacques Rousseau

La cour du lycée Jean-Jacques Rousseau

Son établissement est dans une zone plutôt défavorisée, au fil des ans, l’enseignante améliore sa connaissance du quartier, des conditions de vie de ses élèves pour adapter là aussi sa façon d’enseigner. A quoi sert de les surcharger de devoirs, si certains d’entre eux n’ont pas d’espace aménagé chez eux pour y travailler sereinement, si, sitôt rentrés à la maison, ils doivent s’occuper de leur fratrie ? Alors elle exploite au maximum les heures en classe pour que l’essentiel soit assimilé. Cette année, elle initie un système de mutualisation du matériel scolaire pour que chacun ait les moyens de travailler, pour responsabiliser aussi. «Au lycée, on peut encore prendre en compte les conditions de vie des élèves. Quand on ne s’en préoccupe pas, on ne comprend pas.»

Cette compréhension amène un accompagnement particulier pour les élèves en difficultés, un accompagnement mené avec d’autres enseignants et la conseillère principale d’éducation. «Les CPE ont un point de vue plus global sur l’élève que le nôtre. Ils connaissent la situation familiale qui explique parfois la situation d’agressivité.» Elle a appris à différer le règlement d’un conflit, à moins s’énerver, à trouver une plus juste mesure face à des comportements qui autrefois l’amenaient à punir, à exclure. Ses relations apaisées avec les élèves lui apportent un meilleur confort au travail. Elle a appris aussi à accepter que l’accompagnement d’un élève décrocheur puisse se conclure par un succès temporaire, que le temps du changement est long pour tous, pour les lycéens comme pour leurs enseignants.

Le travail en équipe et avec les parents est pour elle essentiel, pour ne pas être seule à trouver des solutions, pour prendre de la distance, se préserver. «Je conçois le métier comme un engagement pédagogique, social et humain. On s’engage humainement avec les élèves.» Elle dit aujourd’hui qu’elle ne se verrait pas enseigner ailleurs qu’à Sarcelles, que c’est ici qu’elle se sent utile. Apprivoiser sa profession, son établissement, est un chemin qu’elle a parcouru en regardant en face ses erreurs, en les plantant comme bornes dans son propre chemin d’apprentissage. Et pour officialiser cette évolution, elle a, depuis, changé de syndicat.

Monique Royer

Le blog d’Aurélie Gascon

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