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L’éducation inclusive, une réponse à l’échec scolaire ?

À quoi sert la recherche en éducation ? Telle est la question qui nous est souvent posée. Le livre de Danielle Zay apporte une réponse claire et définitive sur ce point : l’intention n’est pas de dicter la démarche des enseignants en leur tenant la main au nom de la science ou des instructions officielles. Mais les grandes affirmations généreuses sur l’école de la république ne peuvent plus tenir lieu de viatique. Que se passe-t-il en France dans le domaine de l’éducation ? Quels sont nos résultats ? Comment évoluent-ils ? Quels principes mettre en œuvre pour rebâtir un système qui n’exclue pas peu ou prou 50 % de la population qui lui est confiée ? Telle est la problématique de ce livre, fruit de la participation à une recherche européenne de grande ampleur et d’une qualité indiscutable car pratiquée avec toute la rigueur scientifique voulue.

L’échec scolaire a été inventé dans les années soixante et mis en exergue par les travaux de Bourdieu et Passeron comme par ceux de Baudelot et Establet. C’est à partir des années quatre-vingt que diverses politiques ont tenté de pallier le déficit socioculturel, voire de manier toute une gamme de solutions pour intégrer les élèves nouvellement arrivés en France, les enfants du voyage, les élèves en difficulté ainsi que toutes celles et tous ceux qui relevaient de l’éducation spécialisée depuis la loi Le Chapelier au début du vingtième siècle, progrès certes, mais fondé sur un apartheid argumenté et, finalement, stigmatisant. Remplacé par l’adaptation et l’intégration scolaire, ce milieu du gué est entré dans les canons européens et mondiaux à partir de 2005 et de la loi sur l’égalité. Il aura fallu un siècle pour comprendre que ce ne sont pas les élèves qui sont responsables de leurs difficultés, pas plus que les enseignants d’ailleurs, mais une certaine conception du système scolaire, sur laquelle les politiques et les administrateurs de l’école n’ont pas voulu revenir : le modèle de notre système est bien l’exclusion, cette constante macabre (Antibi) qui fait de toute classe un ensemble destiné à subir l’amputation de ses éléments les plus faibles, éliminés en raison de la mécanique compétitive du secondaire français, pas si républicain que ça (le lycée et le baccalauréat sont mis en place par Napoléon en 1802 et 1808).

L’ironie de l’histoire veut que ce soient les résultats d’autres évaluations, financées par des organismes économiques internationaux (l’OCDE en premier), qui fassent éclater la bulle de nos illusions éducatives (PISA, PIRLS). Mais ce livre permet d’aller au-delà du constat souvent traité avec légèreté par quelques plumes journalistiques et son titre annonce plus une promesse qu’il va tenir qu’une question que serait tenté d’y lire un lecteur pressé : l’éducation inclusive, une réponse à l’échec scolaire ? C’est non seulement une réponse suggérée, mais un principe qui permettra de réviser notre moteur démocratique et de l’adapter à notre vision du monde bien souvent plus généreuse que sa mise en œuvre concrète.

Comment Danielle Zay et son équipe d’auteurs réussissent-ils cette gageüre d’opposer une nouvelle forme éducative à l’ancienne forme scolaire ? Ils en sont venus à cette vérité que « la notion d’éducation inclusive dépasse maintenant celle d’“intégration” pour développer le champ d’un idéal d’éducation qui concerne moins les enfants “à besoins spécifiques”, “particuliers” ou “spéciaux” (…) que la réforme du système éducatif » (p. 11). Mais l’affirmer dans l’introduction et le développer avec clarté dans un ouvrage ne sont pas de même nature. Les 280 pages du livre sont réparties en huit chapitres qui font d’abord le tour de cette notion aussi peu répandue qu’est connu son antonyme, l’exclusion (premier chapitre). Les cinq chapitres suivants épuisent avec une logique implacable les politiques mises en œuvre depuis trente ans : l’éducation prioritaire, l’accueil des enfants issus de l’immigration (avec de très nombreuses références, ici, mais aussi dans le reste de l’ouvrage, aux travaux de Françoise Lorcerie), l’éducation interculturelle (on en demanderait plus sur ce sujet si difficile, mais l’entreprise est impossible dans le cadre d’un ouvrage qui embrasse aussi largement tout le système), la lutte contre la violence scolaire, l’état de l’inclusion scolaire en France. Le septième chapitre brosse une comparaison entre les dix pays européens de la recherche et leurs avancées (mais aussi leurs retards) dans ce domaine. Enfin, le huitième répond à l’interpellation de toutes celles et de tous ceux qui veulent, non sans raison, du concret : quatre études de cas montrent des réponses ajustées : c’est d’abord la présentation d’une réalisation démission impossible (quelle belle appellation !) qui a su évoluer et s’adapter aux fluctuations des politiques gouvernementales, puis Yves Reuter décrit la recherche qu’il a coordonnée (et présentée lors d’un colloque CRAP) sur une école Freinet qui a également donné naissance à un livre, c’est ensuite le projet de soutien à l’excellence qui fait état de ses résultats et de son évolution. Enfin la parole est donnée aux élèves et aux enseignants sur le sujet des punitions et de leur rapport aux violences scolaires dans le cadre d’une comparaison sur les climats d’établissement.

Ce livre a été publié peu avant les élections de 2012, il montre très précisément les dégâts des inflexions de la politique éducative menée depuis 2007 et il rencontre une ambition de la nouvelle majorité qui entend « refonder l’école ». En le lisant et en projetant d’en rendre compte aux lecteurs des Cahiers pédagogiques et aux militants du CRAP, j’ai été tenté de poser à mon tour une nouvelle question, fortement, si ce n’est essentiellement, inspirée par ce travail remarquable : et si on refondait l’école sur une éducation inclusive pour mieux renoncer à un système scolaire fondé sur l’exclusion ? Ne serait-ce pas le changement principal à opérer en tenant compte de la complexité des interactions présentées ici ?

Richard Étienne
Formateur


Rendre l’école inclusive, c’est ce à quoi les États européens se sont engagés, sous la houlette de la commission européenne [[L’expression anglaise Inclusive education peut se traduire, selon ce que l’on veut désigner, par « éducation inclusive » ou par « école inclusive ». Danielle Zay dit plus souvent « Éducation inclusive », mais nous distinguerons les deux traductions, employant « école » pour ce qui concerne le système scolaire et l’action scolaire, et « éducation » pour ce qui concerne la perspective de formation des individus.]]. L’Unesco préconise également cette orientation pour les politiques scolaires. Concrètement, cela signifie ne plus se contenter de la généralisation de l’accès à l’enseignement secondaire, partout réalisée en Europe à présent. Car elle ne satisfait pas les attentes collectives sur l’école. Certaines catégories de la population demeurent exclues de l’école ou n’en tirent pas suffisamment profit pour espérer raisonnablement se construire une vie bonne. Au total, cet état de fait affaiblit l’efficacité de l’école et se traduit en nuisances économiques, sociales et humaines. Pour que chacun ait sa place à l’école et en tire profit, l’école doit être transformée, ses fonctionnements adaptés. C’est ce que désigne la politique dite d’inclusion scolaire. Elle a été initiée à propos du cas des élèves handicapés, jusqu’alors affectés à des structures spéciales (« éducation spécialisée »), ou non scolarisés (déclaration de Salamanque, 1994). L’école doit maintenant les intégrer, en aménageant le quotidien scolaire autant que nécessaire.

Puis l’ambition d’inclusion a été étendue à toutes les catégories d’élèves exclus pour toutes raisons – « les élèves absents, difficiles à impliquer dans les apprentissages ou qui se sentent d’une façon ou d’une autre écartés de ce que l’école cherche à offrir », dit un guide destiné aux inspecteurs en Angleterre[[OFSTED, Evaluating educational inclusion – Évaluer l’inclusion à l’école (2000).]], tous ceux dont les statistiques montrent qu’ils ne tirent pas correctement profit de leur scolarité. L’Unesco (2005) confirme : « L’éducation inclusive est une approche qui cherche comment transformer les systèmes d’éducation et autres environnements d’apprentissage afin de répondre à la diversité des apprenants ». La transformation requise doit bien sûr s’envisager à tous les niveaux utiles : services centraux s’il s’agit d’énoncer des priorités, ou d’agir sur l’architecture du système et sur les programmes, inspection s’il s’agit d’accompagner des transformations pédagogiques, formation s’il s’agit de les impulser, établissements et classes pour ce qui concerne l’invention de solutions ici et maintenant.

L’école ne fait pas partie des matières qui sont du ressort de la Commission européenne, celle-ci ne peut donc pas impulser par elle-même les transformations jugées souhaitables. Elle ne peut agir dans ce domaine que par la « MOC », la « méthode ouverte de coordination », qui repose sur le partage d’informations et la divulgation de pratiques perçues comme bonnes parmi les membres. C’est à ce titre qu’elle a lancé en 2007 un appel d’offres adressé à des équipes de recherche en éducation, pour faire l’état des lieux des pratiques relatives à l’inclusion scolaire dans les pays membres. L’appel d’offres ciblait très précisément les « stratégies d’aide aux établissements scolaires et aux enseignants pour promouvoir l’inclusion sociale ». Autrement dit, il s’agissait de rapporter ce qui se fait dans chaque pays pour étayer l’action des établissements et des enseignants, afin qu’ils promeuvent l’inclusion – ou préviennent l’exclusion des catégories sociales en risque de sous-réussite.

C’est ce défi qu’a relevé Danielle Zay, professeure à l’Université de Lille 3, avec une équipe française, au sein d’un consortium de chercheurs représentant dix pays membres, sous la coordination de George Muskens (Pays-Bas). Le rapport final dresse l’état des lieux comparatif pour les dix pays. Et le livre que publie aujourd’hui Danielle Zay est issu du rapport qu’elle a réalisé pour la France, remanié pour sa démonstration et éclairé par le travail d’ensemble. C’est un livre méthodique, le premier qui fasse en français le tour de la problématique de l’inclusion scolaire en tentant un état des lieux de la situation en France. Il est pratique à consulter avec ses intertitres parlants et son index des noms cités, il est très bien documenté sur la politique de l’inclusion et les questions annexes. Le lecteur pourra y faire sa moisson (nombreux sites mentionnés). Sur le fond, le livre est critique, mais sans cesser de chercher à valoriser ce qui se fait. L’ouvrage commence par un riche chapitre consacré à l’état de la littérature sur le décrochage scolaire, pour conclure, références et chiffres à l’appui, qu’on ne le traite pas correctement quand il est constitué, c’est un énorme gâchis économique et humain. Il faut donc le prévenir et c’est le but de l’école inclusive.
Qu’est-ce qui se fait en France à cette fin, à l’échelon intermédiaire du système, celui des établissements, où s’articulent les consignes reçues d’en haut et les projets qui émergent dans la marge d’autonomie existante ? Danielle Zay distingue trois lignes d’action, qu’elle développe successivement en faisant le tour de la littérature : l’éducation prioritaire, la régulation laïque et l’éducation interculturelle, et la politique de sécurité et lutte contre la violence. Puis elle s’efface pour laisser la parole aux auteurs de quatre études de terrain incluses dans le rapport sur la France, avant une grande conclusion qui montre le lien entre le souci d’école inclusive et les grands thèmes de la philosophie de l’éducation que sont notamment la joie de l’apprentissage, le sens, la justice.

La première étude de cas, due à Maryan Lemoine, avec Michèle Guigue et Bernadette Tillard, présente un dispositif singulier monté dans le département du Pas-de-Calais, en partenariat avec l’inspection académique, la chambre des métiers, et la direction départementale du travail. Il a pour but de « responsabiliser » les élèves engagés dans un processus de décrochage, en leur permettant de découvrir le monde du travail dans le cadre d’une convention tripartite. Il fonctionne avec une équipe de chargés de mission attentifs à faire que cette opportunité s’inscrive bien dans la trajectoire de formation de chaque jeune concerné. Les trois quarts des collèges du Pas-de-Calais ont désormais recours à ce dispositif, qui touche plusieurs centaines de collégiens et collégiennes par an.

La deuxième étude, par Yves Reuter, est consacrée à l’expérience d’école Freinet en REP à Mons-en-Barœul[[L’expérience a été présentée plus en détail dans un livre, Une école Freinet, sous la direction d’Yves Reuter, L’Harmattan, 2007.]]. Ici encore le cas est singulier : l’équipe de l’école a été constituée par cooptation au terme de longues négociations avec la hiérarchie de l’éducation nationale, avec uniquement des membres de l’ICEM, sous condition qu’ils restent en place pendant au moins cinq ans et se prêtent à une évaluation académique décidée par les chercheurs eux-mêmes. Les observations faites à cette occasion sont passionnantes, elles doivent être méditées dans la perspective d’une école inclusive. Comme le souligne Reuter, l’expérience a prouvé les potentialités du mode de travail pédagogique de type Freinet face aux défis de l’école inclusive, et son adaptabilité aux conditions sociales d’une banlieue très populaire marquée par l’immigration. Mais l’engagement des enseignants était exceptionnel.

La troisième étude, par Graciela Padoani David, est à la limite du sujet. Elle présente en effet un projet de « soutien à l’excellence » par lequel des élèves « méritants » d’un lycée de Roubaix participent à deux heures de tutorat hebdomadaires avec des étudiants tuteurs de grandes écoles du voisinage. Sélectionnant ses participants au mérite (sur proposition des enseignants), la démarche s’oppose à une logique d’école inclusive stricto sensu, mais priorité semble avoir été donnée au fait qu’il s’agit tout de même d’une adaptation de l’action scolaire (plutôt périscolaire en l’occurrence) destinée à soutenir la réussite d’élèves de milieux défavorisés.

La dernière étude de terrain, par Cécile Carra, est quant à elle consacrée à décrire les « Réponses à la violence dans les écoles primaires » de l’académie de Lille. Trente-et-une écoles ont été sélectionnées, de sorte à constituer un échantillon représentatif, des questionnaires ont été passés aux élèves et aux enseignants pour connaitre leur expérience de la violence dans l’école, et leur action. L’étude est très riche en informations, il est impossible de la résumer. Contentons-nous de dire que l’auteure n’a pas relevé de protocole ou de procédure labellisables en réponse au défi de l’école inclusive. Elle conclut à l’inverse que les écoles à score de violence élevé tendent à se replier sur des « logiques défensives », elles « s’enferment dans une logique ne leur permettant plus d’agir sur les problèmes qu’elles dénoncent, tout en les alimentant de fait » (p. 241).

Au total, donc, les études de cas ont de la peine à illustrer la réponse de la France au défi de l’inclusion scolaire. Elles permettent au contraire de supposer que cette réponse n’est pas articulée pour l’instant. Les auteurs ne sont pour rien dans cette insuffisance. C’est la volonté politique qui fait défaut, comme le soulignait déjà le rapport de la Cour des comptes (2010), entre autres. Cette conclusion pessimiste n’est pas exprimée explicitement par Danielle Zay, mais elle la prépare par un chapitre dédié à la nocivité de décisions prises par les ministères Fillon et Chatel notamment l’assouplissement de la carte scolaire, les suppressions de postes, la suppression de l’autonomie des IUFM et l’étiolement de la formation pratique initiale, la politique de soutien à l’excellence (les Internats d’excellence) bénéficiant à quelques-uns au détriment de la grande majorité, etc. Elle note : « Si ce qui prévient ou remédie au décrochage scolaire est différent, voire opposé à ce qui est imposé à l’ensemble du système, comment peut-on penser pouvoir éradiquer le processus ? » (p. 45), il faudrait en fait que les enseignants intègrent la remédiation dans leurs pratiques ordinaires, et qu’on se passe de structures spéciales (p. 53).

Qu’apprend-on de l’Europe à cet égard ? La MOC a-t-elle eu la vertu heuristique qu’on lui prête ? Le livre laisse malheureusement la question en suspens. Il nous apprend que les « facteurs de succès » d’une école inclusive, tirés de la comparaison des rapports nationaux sont la qualification appropriée des enseignants ; leur engagement dans l’action ainsi que celui des établissements ; des partenariats externes (p. 185). Mais il faudrait bien plus de précisions pour orienter un changement. En s’attachant en conclusion à « l’éducation inclusive », qui nous ramène aux grandes idées de la philosophie de l’éducation, le livre oublie les rouages concrets de l’école inclusive, on peut le regretter. Au moment où l’alternance politique laisse penser qu’une réforme de l’école est en gestation en France, nous aurions besoin, d’un vadémécum de l’école inclusive, il nous manque.

Françoise Lorcerie
Directrice de recherches au CNRS