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L’école démocratique – Vers un renoncement politique ?

Ce livre est important, riche, utile et sans doute en même temps un peu en deçà de ses promesses à voir la qualité des contributeurs, tous éminents chercheurs engagés dans la réflexion sur l’école française et ses « ratés » actuels.
Un contenu riche, sans doute, par la diversité des thèmes abordés. Dans une première partie, on montre les dangers du recul de la scolarisation à deux ans ou les impasses de la « sanctuarisation » des établissements scolaires. Puis, plusieurs membres du groupe ESCOL (S. Bonnéry, J.-Y. Rochex et E.Bautier) dénoncent le traitement actuel de la difficulté scolaire tandis que D. Glasman dans un article passionnant montre comment la multiplication des cours et du soutien privés interpellent l’école qui doit relever le défi et non se contenter de condamner. Même s’il faut bien entendu dénoncer le scandale d’une défiscalisation qui révèle des choix sociétaux (la remise en cause de cette défiscalisation devrait être une priorité d’une politique démocratique de justice sociale).
La troisième partie, autour du libre choix de l’école, reprend des analyses connues de ceux qui s’intéressent à la question, mais qui se trouvent ici rassemblées de manière synthétique. Nathalie Mons, notamment, montre toute la complexité de la question. La carte scolaire traditionnelle n’étant pas forcément un modèle d’égalité, reste à construire de bons outils de régulation, ce que la France ne semble guère faire actuellement.
Enfin, un épilogue pose la question de la coopération entre chercheurs et acteurs de l’éducation.
En postface, Baudelot et Establet réaffirment que l’échec scolaire n’est pas une fatalité et proposent des pistes qui vont à l’encontre de la politique actuelle. Le but est bien de « créer une école fondamentale de masse, définir un socle commun de connaissance » grâce à la mobilisation positive de tous les acteurs et « un combat contre la philosophie du chacun pour soi et du laisser-faire ».
Or, ces quelques lignes finales font une allusion à une question qui fait débat : celle du socle. Celui-ci et toute la logique des compétences sont rejetés actuellement par une partie des défenseurs d’une école vraiment démocratique. On aurait aimé que le livre aborde ce sujet, fasse apparaitre des tensions entre chercheurs. La manière dont sont présentées les contributions ne met guère en avant les divergences qui sont pourtant réelles. Le rejet radical de l’individualisation et de toute différenciation qui semble aller au-delà des formes qu’elles prennent actuellement de la part de S. Bonnéry, la perception qu’a un J.-Y. Rochex de l’évolution des ZEP avec au final une opposition « dure » entre la réduction des inégalités et la maximisation des chances de chacun (notion comprise uniquement dans un sens néolibéral, alors qu’on peut la comprendre autrement, si l’on veut bien remplacer le mot « chances » par « potentialités » et ne pas en faire une machine de guerre contre la promotion collective), les doutes de E. Bautier quant au caractère démocratique d’un travail par compétences (mais il faut lire le texte de près pour décoder la critique que fait l’auteure !), tout cela est loin d’être partagé par d’autres chercheurs qui dénoncent pourtant avec force eux aussi le cours actuel de la politique éducative.
On peut regretter donc l’absence de débat ou ne serait-ce que la mention qu’il y a débat et que les choses sont plus complexes que l’opposition entre deux lignes, l’une qui serait de gauche et l’autre de droite.
Que cela n’empêche pas de puiser dans cet ouvrage pas aussi cohérent que ce qu’affirme Choukri Ben Ayed, nombre d’enseignements et de raisons de construire des alternatives pour l’école de demain…

Jean-Michel Zakhartchouk