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Jeunesses rurales et enseignement supérieur

Parmi les 24-35 ans, près d’un Français sur deux est diplômé de l’enseignement supérieur. Une proportion relativement élevée parmi les pays de l’OCDE, mais qui se réduit à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes. Quels sont les freins à l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes issus des milieux ruraux ? Quelles sont les causes des écarts de diplômes avec leurs homologues urbains ? Zoom sur ces inégalités d’origine territoriale analysées via deux approches : la géographie de l’offre de formation, et les déterminants géographiques et sociaux des trajectoires d’études.

Résider dans un territoire rural éloigné des centres urbains diminue la probabilité d’aller en seconde générale et technologique, et augmente celle d’une orientation professionnelle précoce. Ces choix scolaires se répercutent au moment de la formulation des vœux post baccalauréat. La licence (bac +3) représente 40 % des premiers vœux des bacheliers des grands pôles urbains, contre 34 % pour ceux issus de zones non urbaines.

Par ailleurs, 10 % des élèves issus des grandes aires urbaines candidatent pour entrer dans des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), contre 6 % des lycéens des zones rurales. À l’inverse, 35 % de ces derniers postulent pour entrer en brevet de technicien supérieur (BTS), contre 27 % des jeunes des grands pôles urbains1.

Distance spatiale, distance sociale : un double frein

Ces choix d’orientation différenciés renvoient pour partie à l’inégale répartition des formations supérieures sur le territoire national : les grandes aires urbaines en concentrent l’écrasante majorité (90 %). À ces inégalités géographiques s’ajoute une inégale répartition territoriale de la nature des formations. Depuis le plan Université 2000, en 1991, les espaces ruraux et les villes petites et moyennes accueillent des cycles courts et professionnalisants de l’enseignement supérieur (BTS, IUT), mais les filières de cycle long (licence, master, doctorat) et les plus prestigieuses (CPGE et grandes écoles) restent concentrées dans les métropoles.

Les caractéristiques socioprofessionnelles des populations des aires rurales permettent en outre d’éclairer le plus faible accès des lycéens ruraux aux filières longues de l’enseignement supérieur : deux fois moins de parents cadres résident dans les communes rurales comparativement aux grandes aires urbaines. Cet écart dessine en creux des différences familiales de capitaux culturel et économique, essentiels à la mobilité pour des études supérieures.

Pour Fanny Jedlicki, sociologue, le renforcement du maillage territorial des formations supérieures a permis de réduire leur éloignement géographique, financier et symbolique pour les bacheliers de milieux populaires, mais essentiellement pour les filières du supérieur les moins valorisées2.

Le prix symbolique et matériel du départ

Ce mécanisme d’orientation de proximité repose d’autre part sur les connaissances de l’offre de formation de celles et ceux qui accompagnent les lycéens : familles, corps enseignant, conseillers d’orientation. Pour les jeunes ruraux, si les formations locales sont plus proches spatialement, car à proximité du lieu de résidence familial, elles le sont aussi socialement – leurs camarades s’inscrivent souvent dans la même formation3. En revanche, les études longues, dans une métropole éloignée et dans des filières aux débouchés professionnels peu familiers, peuvent faire figure de repoussoirs.

Enfin, les formations courtes et professionnalisantes sont davantage en adéquation avec les besoins de main d’œuvre du marché local de l’emploi, permettant ainsi d’envisager sa vie d’adulte à l’endroit où l’on a grandi. Car partir faire des études longues dans de grands centres urbains enclenche un déracinement durable : les probabilités de retour en milieu rural sont d’autant plus faibles que l’on est diplômé4.

Le prix symbolique et matériel d’un départ pour des études supérieures est ainsi élevé : « Celui qui part […] romprait en quelque sorte avec la communauté et l’entrelacs de liens de réciprocité fondés sur l’appartenance locale. Ainsi, le cout monétaire relatif de la mobilité lié à la distance (emménagement étudiant ou navettes) et aux ressources socioéconomiques plus modestes des familles […] se doublerait, plus qu’ailleurs, de couts sociaux et psychologiques5. »

Marie Lauricella
Chargée de veille et d’analyses à l’Institut français de l’éducation, ENS de Lyon.

Pour aller plus loin
Marie Lauricella, « Jeunesses rurales et enseignement supérieur : des choix sous contraintes », Édubref n° 16, juin 2023, IFÉ-ENS de Lyon.


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Notes
  1. Arnaud Dupray et Mélanie Vignale, « Les bacheliers et leur territoire d’origine : des stratégies différentes à l’heure des vœux d’orientation dans le supérieur », dans Pascal Terrien et Noémie Olympio (dir.), La réussite scolaire, universitaire et professionnelle. Conditions, contextes, innovations, Presses universitaires de Provence, 2021, p. 229‑250.
  2. Fanny Jedlicki, « Aller plus loin : La fabrique familiale de la mobilité socio-spatiale », Formation emploi n° 155, 2021, p. 62.
  3. Sophie Orange, « Un “petit supérieur” : pratiques d’orientation en section de technicien supérieur », Revue française de pédagogie n° 167, 2009, p. 37-45.
  4. Benoît Coquard, Que sait-on des jeunes ruraux ? Revue de littérature, rapport d’étude, Injep, mars 2015, p. 27.
  5. Arnaud Dupray et Mélanie Vignale, « Les bacheliers et leur territoire d’origine : des stratégies différentes à l’heure des vœux d’orientation dans le supérieur », dans op. cit., p. 250.