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Nicolas Cadène : « Je dois dire que la laïcité m’est presque familiale »

Alors que la laïcité est aujourd’hui utilisée par certains comme prétexte pour justifier le rejet d’une partie de la population de ce pays, il est bon d’entendre Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, rappeler qu’il s’agit d’un principe d’organisation de la République, un principe de liberté et de tolérance.
Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

Je garde de très bons souvenirs de l’école publique. Des souvenirs de camarades qui sont restés des amis ou amies, mais aussi, bien sûr, des souvenirs de professeurs qui m’ont transmis, souvent avec passion et engagement (mais toujours en toute neutralité !), tous les outils nécessaires à la construction d’un raisonnement rigoureux, de ses idées et de la citoyenneté. Par ailleurs, les différents établissements scolaires que j’ai connus en tant qu’élève connaissaient, et c’est une chance, une certaine mixité sociale et culturelle, ce qui permettait, très tôt, l’ouverture à l’autre. Il reste qu’il y avait déjà un certain nombre de difficultés, et, face à cela, nous avions été nombreux à manifester en 1998 pour demander la création de postes d’enseignants, la baisse des effectifs en classe et l’augmentation des moyens pour rénover des établissements très vétustes.

Vous étiez jusqu’en juin dernier le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. Quel a été votre parcours jusque-là ?

Tout d’abord, j’ai toujours souhaité orienter mon parcours vers l’intérêt général, avec une sensibilité forte pour la défense des droits humains. Durant mes études (de droit), je me suis engagé dans divers cercles de réflexion et d’histoire, mais aussi dans le secourisme et dans différentes associations humanitaires ou de solidarité (Samu social, prévention de la toxicomanie au sein de Médecins du monde, Amnesty International, la Ligue des droits de l’Homme, etc.) où l’accueil de publics de toutes origines et de toutes convictions est une évidence. Tout en continuant ces engagements associatifs et militants, j’ai ensuite travaillé à la Commission nationale du débat public puis à l’Assemblée nationale et au Sénat (où j’ai parfois eu à traiter du sujet de la laïcité), avant d’intégrer des cabinets ministériels (Écologie et Énergie, Agriculture et Agroalimentaire).

À ce moment-là, le président de la République et le Premier ministre ont souhaité installer l’Observatoire de la laïcité qui avait été souhaité par Jacques Chirac six années plus tôt. Il s’avère que j’avais largement travaillé cette question de la laïcité dans le cadre des cercles que j’évoquais plus haut, et très concrètement, sur le terrain, à travers le milieu associatif. J’avais également été invité à donner quelques conférences et à écrire divers articles sur le sujet. Je dois dire que la laïcité m’est presque familiale, du fait de la participation aux lois laïques de plusieurs parents. C’est aussi un sujet sur lequel je pouvais échanger avec certaines personnalités publiques, comme le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Vincent Peillon. Qui plus est, Jean-Louis Bianco, ancien ministre, député et conseiller d’État, a rapidement été choisi pour présider cet observatoire. Or, nous nous connaissions bien pour avoir travaillé ensemble à l’Assemblée. Cette parfaite entente, cette expérience, mais aussi, peut-être, mes spécialisations en droits fondamentaux et droit public, constituaient sans doute un atout pour ceux qui ont été décisionnaires.

Quelle est votre vision de la laïcité ? Peut-on employer l’expression « laïcité apaisée » à ce propos ? Peut-on même parler de « visions » de la laïcité ?

Si, intellectuellement ou philosophiquement, il y a plusieurs visions de la laïcité, en droit, il n’y en a qu’une. Pour ma part, je ne présente jamais une quelconque « vision » de la laïcité mais toujours la laïcité telle qu’elle est définie juridiquement et telle qu’elle découle de notre histoire. Je n’accole pas d’adjectif à la laïcité, parce qu’elle se suffit à elle-même et parce que, à l’occasion d’une formation, je ne veux justement pas laisser penser que je présenterais une vision spécifique de la laïcité, puisque tel n’est pas le cas. Pour autant, je peux comprendre que certains y accolent l’adjectif « apaisée » lorsque, dans le débat d’idées, c’est justement pour marquer une opposition avec une vision purement répressive voire carrément guerrière de la laïcité. On peut aussi comprendre l’utilisation d’adjectifs pour s’opposer à d’éventuelles modifications juridiques de la laïcité. Ainsi, certains plaident pour la sauvegarde d’une « laïcité d’intelligence » face à ceux qui voudraient transformer la laïcité en un strict outil de contrôle des libertés.

La Vigie de la laïcité est une association que vous avez contribué à créer après la suppression de l’Observatoire. Quel est son objet ?

On le sait, dans le débat public, la laïcité est régulièrement manipulée, comme si elle devait (et pouvait à elle seule) résoudre tous les problèmes de la société. Elle est alors utilisée pour mener des combats idéologiques et politiques, jusqu’à diviser quand elle doit rassembler. Nous nous sommes donc réunis au sein de l’association La Vigie de la laïcité, parce qu’il nous semble important d’exercer une veille active et de donner des informations fiables sur tout ce qui a trait à la laïcité. Il faut absolument éviter que la laïcité soit détournée de son esprit originel, celui d’une philosophie politique mettant d’abord en avant la liberté dans le respect du cadre collectif, et qui s’est traduite en particulier par la loi du 9 décembre 1905. Le respect de l’équilibre laïque posé par cette loi, entre libertés individuelles et cadre collectif, permet d’apporter des précisions quant à l’application concrète de la laïcité sur le terrain.

Ainsi, l’objectif de la Vigie est double : exercer, en totale indépendance, une vigilance sur tout ce qui concerne la laïcité ; et soutenir les praticiens de la laïcité (tels que les enseignants), y compris par des formations, autant que cela nous est possible. La période est agitée, avec des peurs qui se diffusent dans toute la société. Face aux replis identitaires accentués par les discours anxiogènes, il nous faut tenir un discours objectif et rigoureux. Rappeler inlassablement ce qu’est vraiment la laïcité, à savoir ce formidable principe qui permet de décliner, vis-à-vis des convictions, les valeurs de notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Il nous faut aussi éviter de tout mélanger : ce n’est pas en prononçant sans arrêt le mot « laïcité » que l’on va éradiquer le terrorisme islamiste par exemple. Ce combat passe évidemment par la mobilisation de nombreuses politiques publiques, et, notamment, l’éducation à l’esprit critique ou l’enseignement de la laïcité qui permettent de prévenir en amont certaines dérives vers le fondamentalisme. Mais ce qui est sûr, c’est que l’instrumentalisation de la laïcité à des fins de stigmatisation ne peut que renforcer les discours victimaires des endoctrineurs radicaux. Ces derniers sont ravis de la montée actuelle des thèses de l’extrême droite, tant elles fracturent la société dans le sens qu’ils souhaitent. Collectivement, il nous faut donc avoir le courage d’expliquer la complexité des choses, de ne pas sombrer dans la caricature, le culte de l’anecdote, du clash et du buzz. Ainsi, nous souhaitons continuer à animer les réflexions sur la laïcité, toujours en se fondant sur la raison, et non sur la passion.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Article paru dans notre n° 573, Les maths, est-ce que ça compte, coordonné par Coordonné par Baptiste Hebben et Claire Lommé

Tous les acteurs de l’enseignement se trouvent confrontés à la question des « bases » ou des « fondamentaux » : pour effectuer des choix dans les programmations, pour remédier aux difficultés d’élèves, pour proposer des évaluations. Quelles sont les mathématiques que l’on doit enseigner aujourd’hui ?

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/877-les-maths-est-ce-que-ca-compte-.html