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GreenComp : des compétences pour un avenir durable

Combien existe-t-il de cadres de compétences européens ? Au moins six, si l’on compte le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) de 2001, celui des compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie – décliné en compétences numériques (DigComp, 2013), entrepreneuriales (EntreComp, 2018) et pour une culture de la démocratie (2017) –, et le dernier-né, celui des compétences en matière de durabilité, le GreenComp, paru le 14 janvier dernier. Celui-ci entre en résonance avec le référentiel DD&RS (Développement durable et responsabilité sociétale) de l’association Réunifedd1, qui concerne l’enseignement supérieur. Présenté comme complétant d’autres référentiels, GreenComp revitalise la question de la durabilité dans l’enseignement scolaire.

Intégrer la complexité

Les quatre champs de compétences décrits sont : intégrer la complexité dans la durabilité, imaginer des avenirs durables, agir pour la durabilité et incarner les valeurs de durabilité.

Les trois compétences constitutives de la complexité – pensée systémique, esprit critique et capacité de résolution de problèmes – ne sont pas mises au service de la productivité ou de l’innovation dans une économie néolibérale, mais sont présentées comme nécessaires pour affronter les « wicked problems » de l’Anthropocène, c’est-à-dire le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, ces problèmes complexes et mal structurés qui ne peuvent, à proprement parler, être résolus. GreenComp souligne aussi la nécessité de mettre en lien la recherche de solutions avec les compétences fondées sur l’action : initiative individuelle, action collective et engagement politique.

Les compétences d’imagination sont déclinées en littératie des futurs (que l’Unesco décrit comme la conscience que le futur n’existe pas encore et la capacité à l’imaginer), en pensée exploratoire (que l’on peut traduire par « créativité ») et en capacité d’adaptation (appelée aussi « compétence prospective » dans le référentiel Réunifedd).

Les démarches de prospective territoriale en cours de géographie permettent par exemple de construire cette compétence via des activités de diagnostic et de scénarisation. Pour évaluer les propositions d’élèves sur le thème de l’aménagement du territoire, sous l’angle du manque de logements sociaux, Alain Pache et ses coauteurs2 prennent pour cadre d’analyse la typologie de Sterling qui décrit trois niveaux de changements :

  • le changement conformatif (doing things better) : il consiste à améliorer l’existant, par des changements marginaux ou à court terme, comme la construction de nouveaux quartiers, sans se préoccuper des enjeux de préservation à long terme des terres arables ou de la biodiversité ;
  • le changement réformatif (doing better things) : il s’agit de développer des innovations permettant de faire évoluer le système, par exemple préserver un écosystème au sein d’un parc urbain, développer des voitures à moteur électrique ou à hydrogène moins générateurs de CO2;
  • le changement transformatif (seeing things differently) : il vise à appréhender les problèmes avec une logique différente, en repensant les modes de vie, en lien avec des enjeux à long terme, par exemple en occupant des logements plus petits, en développant la colocation et en repensant la mobilité.

L’objectif est ainsi de développer une capacité « à imaginer non seulement un avenir, mais des avenirs possibles », en puisant dans un répertoire culturel, géographique ou littéraire (la science-fiction pouvant être fertile à cet égard), et en s’extrayant d’une pensée sociale dominante.

Enfin, dans le GreenComp, les valeurs, ces « connaissances normatives sur la durabilité », visent à identifier comment le monde devrait être. Selon Cornelius Castoriadis3Voir L’institution imaginaire de la société, Seuil, 1999., nous vivons dans un contexte dominé par des règles intériorisées dans un « imaginaire institué de la société ».

Avoir la possibilité de prendre conscience de ces normes, de les interroger en se référant à des valeurs inscrites dans le GreenComp constitue un changement de paradigme : l’exercice de ces compétences peut conduire à questionner les lois existantes et proposer des améliorations. Ces valeurs sont reliées aux grands enjeux du futur, aux finalités de ce que les sociétés humaines produisent et instituent, à la possibilité de vivre dans des démocraties en paix et à celle de protéger et de régénérer collectivement et durablement les ressources planétaires.

Anne-Françoise Gibert
Chargée d’études, service Veille et analyses à l’IFE-ENS de Lyon

Références

Anne-Françoise Gibert, « GreenComp : Un nouveau cadre de compétences européen », Éduveille, 2022. En ligne
https://eduveille.hypotheses.org/16096.

Anne-Françoise Gibert, « Quelles compétences pour un monde qui change ? », Les Cahiers pédagogiques n° 565, décembre 2020 :
https://www.cahiers-pedagogiques.com/quelles-competences-pour-un-monde-qui-change/


Article paru dans le n° 576 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.


Notes
  1.  La dernière version est encore en travail,
    voir : https://tinyurl.com/46bbe4ym.
  2. Alain Pache, Daniel Curnier, Étienne Honoré, Philippe Hertig, « Penser l’avenir de manière créative : un enjeu central de l’éducation en vue du développement durable », Revue française de pédagogie, n° 197, 2016.
    https://journals.openedition.org/rfp/5152
  3. Voir L’institution imaginaire de la société, Seuil, 1999.