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Flexible et mutualisée

Opter pour la conduite en équipe de la totalité du cycle 2 permet de diversifier les situations d’apprentissage et de mieux accompagner le progrès des élèves. Un exemple.

La classe, considérée comme une collectivité, représente un défi majeur pour engager tous les élèves dans des apprentissages adaptés et stimulants et faire vivre ainsi l’égalité des chances. Mais ce collectif si diversifié, qui est l’essence de l’école, fait aussi sa force à tous niveaux, pour les enseignants comme pour les enfants. Les élèves apprennent mieux ensemble, libres d’investir un cadre réfléchi, posé pour eux par des enseignants qui enseignent différemment lorsqu’ils réfléchissent et adaptent ce cadre en équipe.

Forte de ces principes, et face aux contraintes multiples qui pèsent sur notre métier et ne cessent de croitre, notre équipe de cycle 2 (élèves de 6 à 9 ans) a décidé de faire évoluer ses pratiques. L’équipe est partisane de longue date de la classe flexible qui s’est désormais considérablement répandue. Trois classes ont adjoint à ce fonctionnement un système de classe mutualisée, s’inspirant de pratiques existant déjà en maternelle.

Susciter l’envie

En conjuguant ces deux systèmes, nous avons fait le pari de réorganiser tant le travail enseignant que celui des élèves afin de leur permettre d’investir pleinement l’école, en suscitant l’envie et la motivation. L’objectif est de rendre les enfants acteurs d’apprentissages adaptés à leurs besoins, et ce sans surcharger l’enseignant.
Si l’enseignement en classe flexible suppose le réaménagement de l’espace et du temps afin de répondre aux connaissances actuelles sur les besoins physiologiques des enfants, il implique aussi et surtout une redéfinition de la place et du rôle de l’enseignant et de l’élève. Ce changement pédagogique global permet notamment à l’enseignant de faire travailler les élèves en groupes restreints, donc de mieux cerner les besoins des élèves.

L’enseignant n’est plus systématiquement au centre de la vie de classe. Il s’efface parfois, offrant aux élèves des plages de travail autonome, via des plans de travail mais aussi des ateliers et centres d’autonomie laissés au libre choix des enfants. Cette liberté retrouvée vise le réinvestissement par les élèves de leurs apprentissages et rend possible un questionnement vis-à-vis des savoirs. Elle favorise aussi grandement l’enseignement par les pairs et, donc, la confiance en soi.

La question de l’hétérogénéité

L’échange, le partage d’idées et d’outils sont monnaie courante entre enseignants, tout comme le croisement de pratiques pédagogiques sur des temps de concertation formels ou informels. Mais alors, pourquoi ce travail en équipe, si prolifique, s’arrête-t-il aux portes de la classe ? Pour changer cela, il existe un cadre : celui de la classe mutualisée. Celle-ci consiste à partager entre plusieurs enseignants un groupe d’élèves de même cycle (de cinquante à soixante-quinze élèves, deux à trois classes) en les regroupant lors des enseignements fondamentaux afin de leur proposer des parcours différenciés.

Pour l’enseignant cela permet de prendre en charge des groupes homogènes, évitant ainsi une trop lourde différenciation sans perdre en qualité d’enseignement, favorisant alors les apprentissages pour tous. Les élèves sont répartis en groupes de six à douze en fonction de leurs besoins en français, mathématiques et lecture, indépendamment de leur âge. Chaque enseignant prend en charge un à trois groupes de niveau. Le critère principal est la vitesse d’acquisition des connaissances : tous les élèves aborderont au cours du cycle les mêmes notions, mais pas au même rythme.

L’idée ici est bien de faire progresser chacun en fonction de son niveau réel d’acquisition et non selon le niveau attendu pour son âge. Pour cela, des évaluations diagnostiques sont réalisées en début d’année et les groupes sont rediscutés ensuite au cours de l’année selon les progrès de chacun.

Au cours de la journée, un élève travaille en moyenne avec deux enseignantes différentes (rarement trois) qui effectuent ensemble le suivi de l’élève et les rendez-vous avec la famille si nécessaire. L’élève retrouve des outils et principes communs chez tous les adultes qu’il côtoie. En revanche, les choix pédagogiques et didactiques propres à chaque séance demeurent du ressort du professionnel en charge. Il n’est pas question ici de rogner sur la liberté pédagogique de chacun : c’est en conjuguant nos spécificités dans un cadre contenant et libérateur que l’on obtient des pratiques bénéfiques et épanouissantes pour les enfants comme pour les adultes.

Ces choix pédagogiques ne sont pas une lubie passagère. Ils sont pensés et réfléchis au service des apprentissages mais aussi du bienêtre des élèves et des enseignants. Car ne nous y trompons pas : un adulte disponible et bien dans sa classe sera toujours un atout pour ses élèves. L’allègement de la charge enseignante et le partage des tâches permis par le fonctionnement mutualisé réduisent l’épuisement professionnel. En outre, l’aspect fédérateur du travail d’équipe agit comme un effet multiplicateur d’investissement : l’équipe se remobilise et un cercle vertueux s’installe. L’investissement de l’enseignant encourage celui de l’élève, qui agit comme une rétroaction positive et stimule l’adulte.

Des efforts mieux perçus

De plus, le dispositif permet de multiplier les regards pédagogiques posés sur l’enfant, la prise en charge n’en est alors que meilleure. Se sentant accompagné, et ce d’autant plus que les interactions entre adultes et enfants se font régulièrement en groupes restreints, l’élève est plus disposé à s’investir, car il s’appuie sur la certitude que dans ce cadre ses efforts seront perçus et récompensés par au moins l’un des adultes qui l’accompagnent.

Un autre bénéfice de ce groupe multiâges est de limiter l’effet parfois stigmatisant d’une différenciation. En effet, les élèves naviguent selon les types d’apprentissages entre groupes homogènes pour les fondamentaux, et groupes hétérogènes lors des enseignements de découverte. La permanence des changements de groupe a pour effet de les normaliser. Certains enfants suivent des enseignements de niveau N-1 sans que les changements soient un fait isolé et sous le regard de tous les camarades.
Prenons l’exemple de M., arrivé en CE1 sans savoir lire. Il a été décidé en accord avec la famille qu’il suivrait l’apprentissage de la lecture avec les élèves de niveau CP.

Cet enseignement s’est donc fait avec un groupe de niveau N-1, mais cela n’a pas empêché M. de suivre des apprentissages de niveau CE1 dans un autre groupe en mathématiques. De son point de vue, comme pour ses camarades, il n’a jamais quitté le grand groupe de référence. L’effet stigmatisant qui existe parfois à sortir de la classe pour aller avec les « petits » est nettement moins présent et a permis à M. d’apprendre en douceur et d’être fier de ses progrès, sans qu’une enseignante ait eu à lui préparer un programme spécifique.

Des effets sur l’apprentissage

Le fonctionnement flexible, en ce qu’il vise un agir plus libre de l’élève tant d’un point de vue moteur que cognitif, favorise le processus d’essais-erreurs nécessaire aux apprentissages. La mise en retrait de l’adulte et de son enseignement magistral, le développement de l’autonomie, rendent les élèves plus moteurs et plus impliqués dans leurs apprentissages. La diversification des modes de travail répond aussi à un besoin très contemporain : fruits d’une société du zapping, nos élèves ont une capacité attentionnelle parfois fragile et sont friands du renouvèlement régulier. Un élève qui s’ennuie est un élève qui n’a plus envie et n’essaie plus or, sans essai, pas de progrès.

Enfin, le partage de la gestion de classe – et donc des difficultés rencontrées − rend le climat scolaire souvent plus apaisé. Être plusieurs face à une classe difficile, c’est à la fois permettre une mutualisation des idées pour améliorer le quotidien, mais c’est aussi assurer une double tenue du cadre. Ainsi, la classe mutualisée – à la condition d’avoir défini préalablement des attentes et limites communes – contribue à améliorer le climat scolaire. Et il ne fait plus doute qu’une ambiance de travail sereine permet aux élèves de s’engager dans les apprentissages sans être parasités, et sert donc in fine une meilleure appropriation des connaissances.

Au final, notre équipe n’a jamais regretté son choix de changement de pratiques. Si certains écueils existent, la conclusion à retenir est la suivante : l’école est une collectivité, pensons-la collectivement. Partageons ! Travaillons en équipe ! Pensons l’organisation à l’échelle de plusieurs classes. Les élèves pourront ainsi tous bénéficier de parcours stimulants et d’apprentissages à leur pointure, sans qu’en bout de chaine les enseignants souffrent d’épuisement professionnel.

Evie Laversanne
Professeure des écoles à Metz