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Faire de la géographie avec l’espace proche des élèves

L’espace proche des élèves, notamment à l’école primaire, est une ressource pertinente pour initier les élèves aux approches géographiques par la pratique de l’enquête.

Le programme de géographie de cycle 3, paru en 2015, place l’espace proche de l’école et les pratiques spatiales des élèves au cœur d’un enseignement de la géographie renouvelé autour du concept d’« habiter » dès le premier thème de CM1. Si le principe est plutôt au cœur des préoccupations des professeurs des écoles, la construction de ressources adaptées à leur terrain relève du défi.

La recherche présentée ici et proposée dans le cadre d’une thèse a eu pour objectif d’aider les enseignants à construire une enquête géographique sur l’espace proche autour de leur école avec leurs élèves et elle a été formalisée dans un livret1.

Pour s’assurer que l’enquête était transposable à différents types de territoires (urbains, périurbains, ruraux) et de contextes (favorisés à défavorisés), elle a été coconstruite dans des territoires différents, puis elle a été transférée à d’autres enseignants qui l’ont mise en œuvre sans accompagnement avec les mêmes résultats. Elle a été menée avec dix classes de territoires et de contextes différents, avec près de 341 élèves impliqués. Les apprentissages des élèves ont été mesurés à l’aide de leur dessin de représentation de l’espace. En effet, ceux-ci étaient invités à dessiner le quartier autour de leur école, avant de savoir qu’ils allaient mener une enquête puis à l’issue de l’enquête. Une grille d’analyse des dessins a été mise au point et a permis de mesurer les effets de l’enquête sur les apprentissages cartographiques des élèves.

Une autre manière de faire de la géographie ?

Placer les élèves en situation d’enquête géographique dans l’espace proche de l’école suppose de considérer que cet espace, non remarquable car justement ordinaire, possède un potentiel didactique exploitable pour construire des apprentissages spatiaux. En permettant aux élèves de conscientiser cet espace par le questionnement, l’observation du réel et des traces du passé, l’interrogation des pratiques des autres habitants de l’espace et des acteurs qui y agissent, l’enquête géographique transforme un espace à priori perçu comme non scolaire en une ressource pour l’enseignement.

Comme il est souvent considéré comme un espace relevant du vécu, les enseignants prennent conscience qu’il n’est finalement que peu approprié par les élèves dont les pratiques spatiales sont de plus en plus inscrites dans l’immobilité et le peu d’autonomie. L’école a donc intérêt à investir cette ressource considérée comme non scolaire pour transformer les pratiques spatiales des élèves en pratiques scolarisées.

Le schéma ci-dessous reprend les principales étapes de l’enquête :

Le principe de l’enquête géographique s’appuie sur les étapes de la démarche d’investigation. En effet, le point de départ consiste à demander aux élèves deux choses : dessiner le quartier autour de l’école et écrire les questions qu’ils se posent sur leur quartier. Les questions font ensuite l’objet d’une catégorisation (celles qui relèvent de la localisation, des aménagements, des acteurs, de l’évolution) et toutes intéressent la géographie. Les élèves sont ensuite amenés à réfléchir aux moyens de réaliser l’enquête : observer des cartes et des plans actuels et passés (à l’aide des outils Géoportail et Remonter le temps), sortir pour observer le réel, enquêter auprès des habitants, des familles, des acteurs du quartier, rechercher des éléments statistiques (avec le site de l’Insee), réaliser des recherches documentaires.

Différentes séances se suivent alors pour répondre progressivement aux questions des élèves. Une phase d’institutionnalisation se fait sous la forme d’une carte mentale qui répond à la question : « Comment habitons-nous notre quartier ? » L’évaluation de la séquence prend une forme mixte : à nouveau un dessin de représentation de l’espace avec les mêmes consignes et une production d’écrit.

Quels résultats ?

Les résultats de cette recherche montrent deux éléments saillants : le dessin de représentation de l’espace est une trace de l’activité de l’élève pertinente pour révéler des apprentissages spatiaux ; les élèves construisent un rapport conscientisé à leur espace proche et donc un premier rapport géographique au monde. Cet espace devient alors pour eux, grâce aux allers-retours passé-présent, un espace dynamique sur lequel ils peuvent développer un pouvoir d’agir.

La grille d’analyse des dessins avant et après l’enquête s’appuie sur quatre critères. Il s’agit d’abord de repérer le point de vue pris par l’élève : un point de vue de face, mixte, c’est-à-dire combinant à la fois des éléments en vue de face et en vue du dessus, et le point de vue recherché, celui du plan, le point de vue allocentrique (vue du dessus). Ensuite, la schématisation. Un plan vise le repérage dans l’espace et exclut tous les éléments qui ne servent pas de repères et en particulier les éléments mouvants. Ensuite, plus l’échelle est large mieux elle permet de se repérer dans l’espace d’un quartier et enfin, la situation spatiale des éléments entre eux.

À titre d’exemple, les deux dessins d’un même élève avant et après l’enquête montrent comment la grille peut être utilisée pour évaluer les apprentissages cartographiques des élèves, c’est-à-dire le passage d’un dessin dit naïf à un plan.

Dans toutes les classes les résultats montrent l’importance des progrès des élèves après une sortie et deux séances de manipulation de plan. Si 37 % des élèves de CM1 adoptaient un point de vue allocentrique avant l’enquête, ils sont 70 % à le faire après. Seulement 31 % des élèves schématisaient leur dessin contre 66 % après, et ils sont 69 % à élargir l’échelle de représentation contre 31 % avant. Enfin, si 28 % situaient correctement les lieux indiqués sur le dessin avant l’enquête, alors même qu’ils élargissent l’échelle de l’espace représenté, ils sont 61 % à situer correctement les lieux entre eux

Apports du travail d’enquête

Ces résultats sont importants pour confirmer l’importance de travailler sur l’espace proche des élèves en classe de géographie. Lors d’un entretien pendant lequel une élève se retrouve confrontée à ses deux dessins, elle explique que le fait de sortir en faisant des allers-retours pendant la sortie entre le plan et le réel, plan qu’elle a sous les yeux et qui correspond à un itinéraire construit par la classe à même de répondre aux questions qu’elle se pose, lui permet ensuite en classe de « revoir le plan dans sa tête » et de « le recopier de mémoire ».

Par  l’enquête géographique, cette transformation du rapport à l’espace proche des élèves les aide à construire leur qualité d’habitant. En les obligeant à le questionner, les élèves prennent conscience de la réalité de cet espace finalement peu approprié, malgré les représentations que l’on pourrait en avoir. En l’investiguant, ils prennent conscience de leur inscription dans une réalité et qu’ils en sont des sujets au sens qu’ils y ont des pratiques sociales et que celles-ci sont spatialisées. Ils découvrent également que d’autres acteurs ont également des pratiques spatiales dans ce même espace : les autres élèves, les parents, les habitants du quartier, les habitants du passé.

Enfin, ils conscientisent également que cet espace n’est pas un déjà-là figé mais un territoire en évolution. Une enseignante explique sa découverte de l’opportunité didactique que représente l’espace proche : « Non je ne pensais pas qu’on pouvait en faire autant (…) je ne mesurais pas à quel point c’est difficile pour les enfants de se positionner et que finalement les raccrocher au local c’était important (…) je pensais naïvement qu’ils allaient maitriser et que ça allait peut-être être ennuyeux pour eux…  mais pas du tout. »

Nous avons pu constater l’opacité de l’espace quotidien des élèves et ainsi que l’expérience vécue avec la classe au sein de l’enquête géographique permettaient de construire des apprentissages géographiques essentiels. En constituant l’élève en tant qu’habitant par la conscientisation de son espace proche, l’enquête permet à l’élève de se sentir acteur de son territoire au-delà du cadre des savoirs scolaires. À l’heure où il parait primordial de connecter les élèves à leur environnement proche, leur permettre de le conscientiser est un premier pas pour les aider à développer leur pouvoir d’agir.

Elsa Filâtre
Formatrice à l’Inspé Toulouse Occitanie-Pyrénées, docteure en géographie, laboratoire Geode, université Toulouse-Jean-Jaurès

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Notes
  1. Le livret est disponible en ligne dans une version simple en suivant ce lien : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03614214. Une version plus complète avec des annexes et des fiches techniques peut être adressée sur simple demande par mail : elsa.filatre@univ-tlse2.fr.