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Faire coopérer les élèves en lycée professionnel

Faire des difficultés des occasions pour former les élèves à la coopération. C’est ce que pratique cet enseignant en lycée professionnel, où les élèves ont souvent eu des parcours difficiles, n’ont pas forcément choisi cette voie et doivent trouver une entreprise d’accueil.

La coopération existe depuis longtemps dans la voie professionnelle des lycées. Le travail en groupe est en effet très fréquent dans les disciplines professionnelles (pour des raisons pédagogiques, pratiques ou matérielles). Toutefois, il n’y a pas d’entraide spontanée chez les élèves, l’important étant la production individuelle exigée. Le passage à la coopération est néanmoins proche, pour peu que cela soit explicité.

Pour ce faire, avant de me lancer dans la formation à la coopération entre élèves, je m’interroge toujours sur quatre éléments : ce sont des leviers possibles pour former les élèves de la voie professionnelle à la coopération.

  • J’ai affaire très souvent à des élèves convaincus d’être en difficultés scolaires et parfois en conflit avec certaines disciplines, plus particulièrement les mathématiques, ce que j’enseigne.
  • Ces jeunes sont généralement éloignés des codes scolaires, certains étant en opposition avec l’école.
  • Elles et ils sont assez souvent dans une filière professionnelle par défaut, ce n’est pas ce qu’ils envisageaient.
  • Enfin, elles et ils apprennent un métier et vont être confrontés pour la première fois aux réalités de la vie professionnelle (on l’oublie souvent mais un élève de bac pro peut avoir jusqu’à vingt-deux semaines de formation en milieu professionnel).

Il existe sans doute d’autres leviers mais ce sont ceux que j’ai désormais dans mes pratiques. Ils ont l’avantage de parfois pouvoir se recouper et donc de proposer une formation à la coopération avec différents outils en parallèle.

Le levier de la difficulté scolaire

Je fais participer tous les ans mes élèves au défi lancé par le groupe Resco (Résolution collaborative de problèmes) de l’IREM (Institut de recherche sur l’enseignement de mathématiques) de Montpellier. Ce défi débute en règle générale en janvier. Je prépare donc les élèves dès septembre. Nous constituons pour ce faire des groupes et nous les ajustons lorsqu’ils ne sont pas efficaces. Bref, les élèves se forment à la coopération via la mise en travail en groupe pour se préparer à répondre à un défi.

Nous avons une banque de sujets des années précédentes qui recouvrent plusieurs thèmes en mathématiques, ce qui me permet de reprendre ou d’introduire différents thèmes pour les apprentissages en mathématiques. Ce fonctionnement me conduit aussi à utiliser pleinement la bivalence mathématiques/sciences-physiques puisqu’un bon fonctionnement des groupes permet de basculer très facilement en travaux pratiques en physique ou en chimie. De plus, les sujets du groupe Resco se situent dans une démarche d’investigation, propice au travail coopératif. Enfin, les problèmes n’étant pas énoncés en termes mathématiques, les biais négatifs envers cette discipline sont en partie surmontés : les élèves la découvrent non pas comme un objet d’étude en tant que tel mais comme un outil permettant de réfléchir et modéliser. Cet ancrage dans le réel permet une forme de différenciation vis-à-vis de la discipline des mathématiques puisque le lien avec la situation étudiée est systématiquement interrogé, notamment par la coopération : les élèves découvrent que les mathématiques sont multiples et que les élèves avec lesquels ils coopèrent n’ont pas les mêmes biais négatifs qu’eux.

Enfin, la remédiation scolaire en accompagnement personnalisé (AP) se fait en groupe. Les tutrices et tuteurs ne sont pas formalisés dans un premier temps, le travail se faisant avec les élèves présents. Mais assez vite, j’ouvre la possibilité de banques de sujets à traiter et des élèves se proposent pour essayer de répondre à des demandes d’aide individuelle.

Le levier de la gestion du groupe

Chaque année, au moins un problème de comportement, voire de violence, se produit au cours des deux premières semaines de septembre. C’est l’occasion pour moi de proposer la tenue d’un conseil de coopération, que je nomme dans un premier temps « conseil de règlement des problèmes ». Reprenant le déroulé classique d’un conseil, je propose assez souvent la rédaction d’un « règlement du groupe » (terme préféré à celui de « règlement de la classe »), complémentaire au règlement intérieur du lycée professionnel. Cette mise en pratique permet ensemble de définir ou redéfinir une gestion collective du groupe en se donnant des repères. L’objectif final étant que les élèves de la classe apprennent et pas seulement qu’ils se tiennent bien.

C’est en cela que ces conseils et la réalisation d’un « règlement du groupe » participent à la formation à la coopération : assez rapidement, ils se rendent compte qu’ils n’ont pas tous la même analyse des problèmes constatés, n’apportent pas les mêmes réponses ou encore suggèrent des propositions qui entrent en contradiction avec le règlement intérieur du lycée. La mise en travail coopératif est une nécessité pour organiser ce travail, s’écouter et argumenter, et in fine faire une proposition cohérente et partagée par l’ensemble de la classe.

Le levier de l’assiduité

Je travaille ce levier par un moment de recherche collective, en groupe, pour que les élèves recherchent pour les autres élèves les avantages qui existent à venir en cours et à trouver de l’intérêt dans leur filière.

J’ai une nouvelle approche, très récente, pour laquelle je n’ai pas encore de recul : avec des collègues, nous avons supprimé totalement les notes et avons basculé en évaluation par compétences. J’utilise là encore le conseil de coopération pour construire avec les élèves les compétences, les évaluations et l’ensemble de ce mode de fonctionnement nouveau pour eux et pour nous.

En effet, il nous faut trouver ensemble un fonctionnement efficace qui permette à ce que l’évaluation par compétence soit comprise de tous et que les élèves s’en saisissent. Ne pas mettre de notes est d’emblée une entrée valorisante pour eux qui ont tant souffert d’en recevoir des mauvaises. Mais il faut alors tout réapprendre sur ce qu’est une évaluation. J’utilise en conseil de coopération les expériences passées des élèves : il y en a toujours au moins un qui se souvient du premier degré où « il y avait des couleurs et pas de notes ». La coopération est là un acte collectif de construction d’un outil essentiel pour les apprentissages. En groupe, les élèves ont sous les yeux les compétences que je vais évaluer : je propose alors à l’un d’eux d’être le gardien des compétences, complément des autres rôles (gardien du temps, gardien du silence, etc.). Je fais le postulat que la question de l’évaluation est l’un des obstacles à l’assiduité des élèves : cela ne fait plaisir à personne de recevoir de mauvais résultats tous les jours. Construire ensemble une évaluation juste est une réponse qui me semble utile.

Le levier du métier

La recherche de lieux pour les périodes de formation en entreprise est un moment propice pour coopérer : ils peuvent chercher à plusieurs des organismes d’accueil. Ils peuvent opter de se réunir par affinité de secteur, ou bien reprendre les groupes habituels de travail. Il s’agit de se répartir les tâches entre la recherche de coordonnées, la préparation des entretiens, la rédaction des CV, etc. Le but est que tous les élèves trouvent une entreprise qui veuille bien les accueillir. L’autre objectif est qu’ils développent des habiletés à travailler avec d’autres.

Je prends garde que la division du travail ne soit pas étanche (et inégalitaire). Pour ce faire, les élèves ont deux invariants : chacun peut proposer le nom d’une entreprise et les visites pour se présenter se font nécessairement à deux.

Pour ce levier, j’utilise pour les classes à partir de la 1re le « chef d’œuvre ». Il s’agit d’une production des élèves en lien avec le métier pour lequel ils se préparent. Les textes officiels précisent que « le chef-d’œuvre peut avoir une dimension collective dans laquelle une part individuelle est prise en charge par l’élève ou l’apprenti ou bien il peut être conduit individuellement »1.

La coopération est assez difficile à mettre en œuvre car nous avons affaire à une production évaluée individuellement pour le bac : les élèves se placent assez souvent dans une logique plus collaborative que coopérative, car ils se donnent comme objectif la production du chef d’œuvre.  Le plus simple est de s’appuyer sur le fonctionnement mis en place en 2de et de lancer le groupe dans un projet commun, les habitudes de travail existent et la répartition différenciée et évaluable aussi. Mais la plupart du temps, je dois reformer les groupes car les élèves ne sont pas d’accord sur les projets à mener ou tout simplement car les classes ont changé. Nous repartons alors à la base : discussion collective sur les projets possibles, formation des groupes à partir de ces projets et répartition des tâches, afin que l’évaluation certificative soit possible.

Pour cela, je m’appuie sur les compétences attendues et m’arrange pour que chaque élève du groupe soumette quelque chose à évaluer. C’est un exercice assez difficile et malheureusement, dans la majorité des cas, les groupes sont abandonnés et le travail bascule en individuel. Mais, lorsque les groupes durent, c’est parce que les élèves ont réussi à trouver un équilibre entre l’entraide et la nécessité d’aboutir à une production commune.

Matthieu Brabant
Professeur de mathématiques et sciences-physiques en lycée professionnel à Montpellier

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Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.


Notes
  1. Circulaire du 22-10-2020 parue au BO du 29 octobre 2020 : https://www.education.gouv.fr/bo/20/Hebdo41/MENE2019533C.htm.