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Évaluation et formation des enseignants

Les professionnels qui accompagnent les novices dans un métier complexe soutiennent, encouragent et valorisent ces premiers apprentissages professionnels en fonction d’une expertise (enseignant-chercheur en Inspé, professeur des écoles maitre formateur, tuteur, etc.) à laquelle ils et elles donnent un sens formatif. Leur position institutionnelle les engage aussi, selon des configurations institutionnelles propres aux différents systèmes scolaires, dans des procédures liées à l’obtention d’un diplôme universitaire, à la titularisation dans la fonction publique d’État, etc. La tension entre mission de formation et mission de validation a été identifiée dans les années 2000 comme l’un des trois dilemmes fondateurs de l’activité tutorale1 ; liée aux différentes fonctions de l’évaluation, elle continue aujourd’hui à questionner les formateurs d’enseignants et les chercheurs.

Contrôler ou enquêter ?

En formation continue cette fois, les dispositifs de type « constellation » récemment mis en œuvre à l’école primaire, qui se déroulent sur plusieurs temps tout au long d’une année scolaire, remettent en question l’évaluation à chaud d’une action de formation (via par exemple un questionnaire de satisfaction) ou à froid dans le déploiement (ou non) de nouveaux gestes professionnels.

Dans une logique d’enquête empruntée au philosophe pragmatiste états-unien Dewey, les allers-retours entre temps de formation et temps de travail permettent de s’intéresser collectivement aux appropriations, singulières et contextualisées, de nouveaux dispositifs et de nouvelles tâches, et à analyser ce que les enseignants ont gagné, et perdu, à les expérimenter. Et quand les comportements observables n’ont pas bougé, la mobilisation de nouveaux concepts pour les décrire et les interroger peut montrer des déplacements. Ces prolongements dans la durée d’un temps contraint de formation institutionnelle contribuent au développement professionnel, compris comme « processus de changement, de transformation, par lequel les enseignants parviennent peu à peu à améliorer leur pratique, à maitriser leur travail et à se sentir à l’aise dans leur pratique »2.

Mesurer des effets, identifier des processus ?

Évaluer une formation d’enseignants, c’est aussi, dans les bureaux des circonscriptions et des rectorats, documenter le suivi des quinze indicateurs du schéma directeur de la formation continue des personnels de l’Éducation nationale (2022-2025). Au-delà de cette approche statistique administrative et descriptive de l’évaluation, pour certains courants de recherche, rendre des comptes sur la formation des enseignants signifie travailler à établir un rapport de causalité entre offres de formation et performances des élèves : « Il y a des moments, des lieux, des formateurs et des équipes où une démarche de formation continue entraine des bénéfices pour les élèves. Mais au final, nous ne savons pas bien dans quelles conditions et pour quelles raisons ces bénéfices apparaissent ou pas. »3

D’autres approches, également mobilisées dans l’évaluation des politiques publiques éducatives, permettent de ne pas réduire la valeur de ce qui se joue tout au long d’un processus à son impact, et ce pour l’ensemble des acteurs concernés (donc ici aussi les pilotes et les formateurs4).

Car, finalement, lier évaluation et formation des enseignants, c’est à la fois essayer de pister leurs apprentissages au service de ceux des élèves, et soutenir la conception continuée dans l’usage de leur offre de formation. Le tout en étant conscient de la vision située du métier enseignant que porte toute (évaluation de la) formation.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin

Claire Ravez, « Former à enseigner : activité(s), mutations, tensions », Dossier de veille de l’IFÉ no 143, École normale de Lyon, 2023.


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Notes
  1. Sébastien Chaliès et Marc Durand, « L’utilité discutée du tutorat en formation initiale des enseignants », Recherche et formation no 35, 2000, p. 145-180, https://doi.org/10.3406/refor.2000.1678.
  2. Angélique Uwamariya et Joséphine Mukamurera, « Le concept de “développement professionnel” en enseignement : approches théoriques », Revue des sciences de l’éducation, vol. 31, no 1, 2005, p. 133-155,
    https://tinyurl.com/4pxxf8ec.
  3. Benoit Galand et Sébastien Dellisse, « Comment former les enseignants en cours de carrière pour améliorer les apprentissages des élèves ? », dans Michel Janocz et Benoit Galand (coord.), Améliorer les pratiques en éducation. Qu’en dit la recherche ? Presses universitaires de Louvain, 2021, p. 57-66.
  4. Paul Cotton et Clément Lacouette-Fougère, L’Évaluation participative des politiques d’éducation : enseignements de la littérature, Cnesco-Cnam, 2021.
    https://tinyurl.com/5yp7m27j.