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Et dans l’enseignement spécialisé ?

Il s’agit tout d’abord de créer une dynamique de groupe dès la rentrée scolaire. La classe est un lieu de vie coopératif dans lequel les interactions sociales trouvent leur sens et leur expression. Le groupe classe est au service de la réussite de chacun par une seule modalité, celle du travail au sens de Freinet, via deux lieux distincts : la classe gérée par l’enseignante spécialisée et l’atelier géré par l’éducateur spécialisé, en créant de surcroit des rituels immuables et des temps communs institutionnels au sens de Fernand Oury[[Fernand Oury, l’un des fondateurs de la pédagogie institutionnelle, cf. Pédagogie institutionnelle, Mise en place et pratique des institutions dans la classe, Fernand Oury Fernand et Françoise Thébaudin, éditions Matrice.]], symbolisés par des projets motivants liés au réel, leur permettant de se déprendre d’angoisses pouvant parfois les envahir.

La vie coopérative s’organise par des dispositifs médians et médiateurs : l’expression (texte libre), la communication (blog, Twitter, webradio, webTV), les espaces de parole institutionnalisés (l’accueil, le conseil). Un outil médiateur s’y adjoint : l’espace numérique de travail de la classe (sous Evernote), et ce, sur des supports numériques divers : tablette, smartphone, ordinateur.

Par ailleurs, la pédagogie de projet autour de l’éducation aux médias est la colonne vertébrale de cette classe coopérative dans laquelle chaque élève représente un individu et un sujet à part entière où il a une place, une fonction à jouer, un rôle à tenir.

La webTV et la webradio sont deux projets fils conducteurs de la vie coopérative tout au long de l’année. Ils ont pour objectif principal de réduire les inégalités scolaires et de permettre, par le biais d’un outil motivant, une meilleure maitrise de la langue écrite et orale, premier facteur de liberté, quand bien même les troubles spécifiques du langage écrit et oral se manifestent.

La parole passe donc en premier lieu par l’écrit préparé. Les élèves ressentent le besoin de s’améliorer pour parvenir à un produit fini de qualité, le chef-d’œuvre cher à Célestin Freinet. Ils s’inscrivent dans l’actualité quotidienne de la classe et des projets interdisciplinaires qui y sont dévolus, choisis et discutés lors du conseil de coopérative.
En septembre 2015, nous avons assisté à la projection de Visages d’enfants, film franco-suisse de Jacques Feyder, sous la conduite du groupe lausannois Hemlock Smith, collectif musical alliant diverses influences, folk, jazz, rock et chants, sous la forme d’un envoutant cinéconcert en live.

Quelques mois auparavant m’était venue l’idée de mettre au travail une collaboration originale : créer un dossier pédagogique à l’usage des enseignants, téléchargeable en amont de la projection du film Visages d’enfants. Mickael Frei, leader et chanteur du groupe, m’a laissé carte blanche pour mettre en exergue la beauté et la puissance des possibles que ce film muet peut engendrer, tant en termes didactiques qu’en termes pédagogiques, en lien avec les Mitic (médias, images, technologies de l’information et de la communication).

C’est par ce biais qu’un projet interdisciplinaire liant français, géographie, histoire et arts visuels est né, pour être travaillé tout au long de l’année scolaire.

Il s’agissait aussi de pouvoir lier ce projet à notre webradio lors de la Semaine des médias, qui a eu lieu en mars 2016. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous avons pris contact avec Mickael Frei, le chanteur. Grande émotion quand il a chanté à capella en classe le titre phare de l’album sorti récemment. Mais nous n’en sommes pas restés à une simple interview. Les élèves ont interviewé aussi en live une animatrice radio dans les studios de la RTS (Radio Télévision Suisse). Enfin, nous avons fait venir dans notre propre studio de radio un photographe de presse de chez Keystone, afin qu’il nous relate son métier. Toutes les interviews ont été travaillées en amont puis montées.

La vie quotidienne est elle aussi relatée, que cela soit à travers la webradio ou la webTV. Dans le cadre de décloisonnements réunissant des élèves de plusieurs classes une heure par semaine, l’actualité de l’institution est racontée aux familles en images, en vidéos, en interviews, créant ainsi un pont fondamental entre la famille et l’école. Un studio de télévision a donc été créé par les élèves, tout comme l’a été celui de radio, dans l’abri antiatomique de l’école. Voici en quelques mots le déroulement pédagogique de la première émission de TV sortie sur le web en décembre 2015, et réalisée en un mois et demi. Trois autres émissions se sont succédé.

Faire de la télévision et de la radio, c’est écrire des textes, les assumer, être en cohérence avec son image et sa voix. C’est grâce aux ateliers d’écriture, lors d’activités quotidiennes en contexte et des séances de groupe ou individuelles en thérapie avec son logopédiste, que l’élève peut élaborer une recherche dans et par l’écriture, où il apprend à lire et regarder les journaux, à comprendre l’actualité, à s’informer du monde qui l’entoure.

C’est aussi, pour les apprentis lecteurs ou vieux lecteurs chez des ados, par des techniques de mémorisation, l’occasion de prendre la parole tout en étant confrontés à différents types d’écrits (conducteur d’émission, affiches, fiches méthodologiques). La maitrise de la langue constitue le fondement même de l’existence d’une télévision et d’une radio scolaires. La diffusion de l’émission dans l’école et sur internet, les critiques via les feedbacks en collectif et via des référentiels de compétences spécifiques, la circulation via des plateformes dédiées numériques (Vimeo, SoundCloud et le blog de classe) lors de la diffusion sont des éléments internes et externes qui ne peuvent que motiver l’élève à produire un écrit utile, social, dans lequel il se préoccupe d’utiliser un langage clair et adapté à ceux qui l’écoutent et le voient. Nous sommes plongés dans un travail authentique, tel que Célestin Freinet le concevait.

Outre cet objectif essentiel, l’audiovisuel intégré à une pédagogie de projet favorise, par sa programmation, sa production et ses structures, des conduites sociales telles que la responsabilité, l’autonomie, le respect, la prise de parole, l’esprit critique, etc. Ces compétences ont des effets bénéfiques sur les savoir-être des élèves, travaillés et étayés par l’éducateur.

Créer une émission de télé ou de radio est une entreprise collective dans laquelle le travail de l’un dépend du travail de l’autre et où les décisions sont prises en commun. C’est l’apprentissage de l’indépendance, mais aussi de l’interdépendance et des responsabilités.

La classe, le groupe, l’adolescent s’engagent à produire dans un temps donné une émission. La date, les contenus et le nom des animateurs chroniqueurs, interviewés, etc. sont affichés et connus. À partir de ce moment-là, les jeunes acquièrent un statut particulier. Ils sont reconnus et rien ne peut se faire sans eux.

Pendant la préparation des émissions, l’enseignante et l’éducateur guident l’enfant dans ses choix, lui donnent des outils pour apprendre, l’aident à construire son savoir. Ils reconnaissent les capacités de l’enfant, lui laissent le temps et le droit à l’erreur.
C’est grâce à ce travail, au moment de la diffusion (en enregistrement ou en direct) que les élèves acquièrent la liberté de se gouverner et d’être indépendants au sein du collectif.

Ils assurent aussi la postproduction. Dans le studio, les journalistes se succèdent en suivant le conducteur d’émission mis en place par le groupe. Cette organisation est décidée à l’avance par les élèves, l’enseignante et l’éducateur, chacun ayant un rôle à assurer, rôle qu’il a délibérément choisi.

L’élève est autonome, dans un cadre sécurisant et contenant, entouré des adultes, ses référents, dont la présence et l’attitude vont favoriser l’apprentissage.

L’activité audiovisuelle est aussi un lieu de vie où droits et devoirs se conjuguent au quotidien. Respect mutuel, le maitre mot de la vie coopérative. La liberté des thèmes abordés ou choisis lors du conseil de coopérative leur permet de prendre la parole et de se faire entendre.

Pendant l’enregistrement, c’est le respect de la parole de l’autre. Produire une émission de qualité nécessite qu’ils ne peuvent parler que chacun à leur tour, dans l’ordre du conducteur.

La télévision et la radio sont des outils qui favorisent la communication. Des discussions s’ensuivent sur des temps de classe, en famille, sur des temps informels.

L’activité audiovisuelle qui met en présence des élèves, des enseignants, des éducateurs, des personnes extérieures place l’enfant dans un contexte valorisant, et ce faisant, permet un épanouissement plus rapide de sa personnalité.

Elle met en place des modes de fonctionnement démocratiques qui donnent à chaque adolescent la possibilité de participer à la prise de décisions et de s’approprier ces dernières plutôt que de les subir.

Les élèves y exercent des responsabilités, deviennent autonomes, respectent leurs droits et leurs devoirs, ce qui ne peut que renforcer collectivement le sentiment d’appartenance au groupe.

Enfin, c’est au conseil de coopérative ou lors des points de situation que se prennent les décisions et où se jouent les régulations pour les prochaines émissions.

Anne Andrist
Enseignante spécialisée, Lausanne (Suisse)


Exemple de séquence

Les étapes du projet

  • Dévolution du projet (une séance)
  • Analyse d’un journal TV (deux séances)
  • Ouverture d’un compte Evernote Basic (gratuit), répartition des rôles et fonctions (une séance)
  • Écriture, correction, relecture, nettoyage orthographique des sujets rédigés sur Evernote (séances multiples)
  • Analyse et première complétion du référentiel de compétences (une demi-séance)
  • Préenregistrement : entrainement, évaluation par les pairs (deux séances)
  • Deuxième complétion du référentiel de compétences (une demi-séance)
  • Enregistrement en studio, interviews (séances multiples)
  • Troisième complétion du référentiel de compétences (une demi-séance)
  • Montage vidéo, création de génériques (une ou deux séances), diffusion sur Vimeo avec mot de passe
  • Création du site webTV (une séance)
  • Diffusion du premier journal TV sur le site internet
  • Quatrième complétion du référentiel de compétences
  • Évaluation, point de situation, feedbacks
  • Vers la création du deuxième journal TV

Bibliographie

Michel Huber, Apprendre en projets – La pédagogie du projet élèves, éditions Chroniques sociales, 1999.

Célestin Freinet, Comment susciter le désir d’apprendre ? L’éducation en questions, PEMF, 2001.