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Essayer c’est avancer

Histoires de crapistes
Vous lisez les Cahiers pédagogiques, visitez notre site, participez à nos webinaires ou aux rencontres estivales du CRAP ? Ou alors, vous avez vaguement entendu parler de ce mouvement pédagogique ? Nous lançons une série de portraits de militants du CRAP-Cahiers pédagogiques pour raconter l’histoire et la vie d’un collectif pas comme les autres, à travers ceux et celles qui le font vivre.
Cette série commence alors que nous connaissons une crise financière profonde. En racontant notre histoire, nos histoires, pour dire qui nous sommes, nos différences, nos engagements, nous espérons vous donner envie de nous rejoindre et de lire nos publications.

 

Enseignante d’histoire-géographie, Alexandra Rayzal tente, expérimente en permanence dans ses classes de collège et en tant que professeure-relai au Musée Carnavalet de Paris. Son gout de la créativité et du collectif, elle les partage au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques, un atout précieux à l’heure où la survie de l’association est en jeu.

Passionnée par ses études d’histoire, elle passe le Capes plus par pragmatisme que par vocation, pour « gagner sa vie ». Au départ, elle se sent peu armée pour travailler avec des adolescents, car sans expérience préalable : « Je me suis sentie longtemps débutante, j’ai mis du temps à me sentir à l’aise. » Un établissement plutôt difficile est le cadre de ses débuts professionnels. Elle ne parvient pas à faire cours sereinement, à enseigner les notions du programme. Elle craque, s’arrête un peu, puis revient, soutenue par ses collègues.

Elle prend du recul, décide de proposer des activités totalement différentes. « J’avais une classe de 4e très pénible et je n’arrivais pas à tenir un cours traditionnel avec eux. J’ai organisé des travaux de groupe pour écrire le journal de la Révolution française. Et ça a marché, les élèves étaient très motivés. Ça m’a libérée. »

Depuis, elle emprunte la pédagogie du détour chaque fois qu’elle constate que le frontal ne fonctionne pas, que l’agacement monte de son côté ou de celui des collégiens. « On prend peu de risques. En cas d’échec du détour, il faut se dire qu’on a seulement remplacé un truc qui ne marchait pas par un autre qui ne fonctionne pas non plus. » Et, bien souvent, l’échec n’en est pas vraiment un.

Faire appel à la créativité des élèves

Elle tente chaque année un projet créatif avec ses classes en utilisant comme support l’écriture ou les arts plastiques. Une année, un groupe de quatre élèves s’était appliqué pour réaliser un magnifique tableau pour illustrer l’empire byzantin. « C’était joli, elles étaient impliquées dans le projet, mais n’avaient rien appris sur le fond. Mais auraient-elles appris plus dans un cours classique où elles étaient peu attentives ? Ce n’était ni un échec, ni une réussite, chaque plantage amène à réfléchir. »

Plusieurs fois, dans l’idée de dédramatiser ces situations où un enseignant peut se sentir en échec, elle a raconté dans les Cahiers pédagogiques des histoires de plantage, comme « Comment bien rater sa séquence de géographie ». « Si ça peut aider des gens à décomplexer, et à dire quand ça ne va pas… J’ai découvert cela dans mon premier poste : ne pas rester toute seule avec ses difficultés. C’est grâce à mes collègues que je suis restée prof. »

Elle aime improviser, casser la routine, avec l’assurance de ses vingt-cinq ans de métier. Il lui arrive de trouver une idée le matin et de l’appliquer l’après-midi. « Quand on fait appel à la créativité des gamins, on n’est pas déçu. Parfois, ce n’est pas aussi bien que ce que l’on avait pensé mais on a essayé et ça fait avancer. »

Au musée

Depuis quelques années, elle a élargi sa palette créative en étant le mercredi professeure relai au Musée Carnavalet à Paris. Son rôle est de concevoir des ressources et des activités pédagogiques, d’animer l’interface entre le musée et les enseignants. Le travail se renouvèle sans cesse avec des expositions temporaires qui se succèdent aux côtés de la collection permanente. « J’apprécie l’éclectisme plutôt que d’être spécialisée dans quelque chose. En ce moment, il y a une exposition temporaire intitulée « Parisiennes citoyennes ! ». Il y a eu aussi « Proust, un roman parisien », « Napoléon et Paris », entre autres. »

Le musée a été fermé pendant quatre ans, et la créativité de chacun a été sollicitée pour inventer un musée hors les murs, avec des activités, afin que les guides conférencières aillent en classe ou organisent des promenades dans Paris pour les élèves. Elle rencontre six à huit fois par an les enseignants pour réfléchir avec eux sur « ce qu’on peut faire avec une classe au musée pour ne pas venir comme une cane avec ses poussins derrière ». Le dialogue donne lieu à « une confrontation d’idées, une créativité pour rendre ce moment plus favorable aux apprentissages ».

Un cadre collectif

La créativité, le cadre collectif qu’elle trouve dans son collège comme au musée, comment aurait-elle pu deviner qu’elle les rencontrerait au CRAP, lorsqu’elle lisait les Cahiers comme d’autres publications ? « Je n’ai pas tout de suite perçu que c’était une revue associative. Je l’ai compris lorsqu’un appel au secours a été lancé par le CRAP. J’ai adhéré à ce moment-là. »

Son naturel enthousiaste la conduit rapidement à rejoindre le conseil d’administration. « J’ai été élue en me demandant un peu comment j’étais arrivée là. J’ai trouvé ça très chouette mais avec un petit sentiment d’imposture. » Elle découvre une instance où les échanges sont parfois vifs mais toujours argumentés, une assemblée à laquelle participent des personnes de référence en pédagogie. « Je me disais que je ne savais pas tout ce qu’ils savaient. Je doutais de ce que je pouvais apporter. Et puis, on s’habitue, on s’implique. »

Elle coordonne avec Xavier Dejemeppe son premier dossier des Cahiers pédagogiques en 2012, « Quand la classe est difficile ». « Le thème me parlait après douze ans de carrière et souvent des classes difficiles. Je pensais que cela me ferait prendre de la hauteur, que je trouverais des idées dans les articles. » L’essai est réussi.

Elle quitte le conseil d’administration après deux mandats, puis rejoint le comité de rédaction des Cahiers. « C’était encore plus impressionnant que le CA, avec des chercheurs, des gens qui ont écrit des bouquins. » Elle apprécie la qualité des débats, les échanges ouverts, se débarrasse de sa timidité du départ, et s’engage dans la coordination de nouveaux dossiers. Elle s’intègre aussi petit à petit dans les Rencontres estivales du CRAP, animant même régulièrement des ateliers. Progressivement, mue par la confiance que les membres de l’association lui expriment, Alexandra Rayzal devient un membre éminemment actif du mouvement pédagogique, dans toutes ses dimensions.

Situation de crise

Elle revient au conseil d’administration au sortir d’une crise qui a conduit l’association à se séparer de deux salariés pour raisons financières. Un nouveau bureau est élu. Elle est sollicitée pour devenir secrétaire générale. Elle hésite, craignant de ne pas avoir de temps à accorder à cette activité bénévole alors que son rythme professionnel est intense. Elle s’engage, convaincue par les arguments du nouveau président, Gwenael Le Guével, qui préconise l’holacratie pour une répartition des tâches plus égalitaire au sein de l’association.

La nouvelle organisation se met en place, mais l’enthousiasme est vite douché par la situation financière de plus en plus alarmante provoquée en partie par l’érosion des abonnements. « À un moment donné, il semble nécessaire de repenser le modèle économique radicalement. On se dit que c’est un peu vertigineux. On arrive pour s’occuper d’une association qui existe depuis près de soixante ans et on n’a pas envie de la voir s’écrouler. Notre raison d’être pédagogique et éthique est affirmée, mais avec une épée économique de Damoclès au-dessus de la tête. »

Elle voit là une situation effrayante, mais aussi exaltante, car cela pousse à inventer, à construire collectivement au sein de l’association. Et elle est persuadée que c’est au sein de ce collectif, que la solution émergera, certainement après des débats confrontant des idées différentes. « Il peut y avoir une opposition entre cultures associatives, mais ce n’est pas juste entre des conservateurs qui ne veulent pas changer et d’autres qui veulent tout bousculer. Ça va plus loin que ça, dans la réflexion sur des positions philosophiques, éthiques. J’aime bien, car ça fait évoluer. Il y a des choses à entendre, qui enrichissent ma pensée. » Dans cette effusion, ces confrontations, elle sait que la créativité tirera son épingle du jeu, qu’il faut tenter pour avancer.

Monique Royer

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Sur notre librairie :


N° 559 – L’aventure de la géographie
Coordonné par Christophe Duhaut et Alexandra Rayzal
Comment faire aimer et étudier une géographie vivante, qui ait du sens, qui permette de comprendre le monde et d’y agir en citoyens actifs ? Comment, de la maternelle à l’université, faire entrer nos élèves dans les deux dimensions fonctionnelle et symbolique de l’espace à travers des démarches prospective et imaginaire ?

 



N° 546 – L’histoire à l’école, enjeux
Coordonné par Alexandra Rayzal et Benoit Falaize

Comment les élèves peuvent-ils construire un rapport apaisé, critique et intégrateur au passé de la société humaine et à l’Histoire ? Une histoire qui prenne en compte le récit, l’histoire politique, économique, sociale, les représentations, les enjeux de mémoire, qui éveille l’esprit et qui crée du « nous ».