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Entrer, étudier, réussir à l’université

Dans son avant-dernière livraison de l’année 2001, la RFP nous propose un intéressant dossier sur la question universitaire abordée ici du point de vue étudiant, sous l’angle de la « vie étudiante » et du « rapport aux études ». Le titre du dossier est particulièrement large. En réalité, l’ensemble des articles rassemblés par P. Rayou traite principalement de la question des premiers cycles – l’un des points sensibles, en effet, mais pas le seul de la question de l’enseignement supérieur aujourd’hui – c’est-à-dire de la question de « l’entrée », en référence, en particulier, au thème de l’affiliation entendue comme accès au « métier d’étudiant » développée par Alain Coulon.

Un article introductif (M.-F. Fave-Bonnet, N. Clerc) propose une périodisation de la recherche sur les quatre dernières décennies : au-delà de la figure aujourd’hui archaïque de « l’héritier », la recherche s’est successivement centrée sur « l’acteur » puis le « système » avant de s’intéresser, dans les années quatre-vingt-dix, au « groupe social » émergent que constitueraient désormais les étudiants. Pourtant l’ensemble des articles qui suivent met à mal cette image d’un groupe homogène et font davantage état d’une grande diversité à différents niveaux.

Deux premiers articles abordent cette diversité sous l’angle des « pratiques d’études ». C. Mérini et M.-G. Séré analysent les effets produits chez les différents acteurs par l’instauration d’un module de « projet professionnel » à destination d’étudiants de premier cycle à Paris-sud XI, du point de vue de l’articulation entre intégration universitaire et orientation professionnelle. M.-P. Trinquier et J. Clanet s’interrogent quant à eux sur la possibilité de retrouver de l’homogénéité derrière l’hétérogénéité manifeste des étudiants quand on rapporte leur degré de réussite (ou d’échec) à la nature de leurs représentations de la formation et à leurs pratiques d’études.

Les trois articles qui suivent évoquent cette même question de la diversification à partir d’une analyse du fonctionnement du système universitaire lui-même. J.-P. Jarousse et C. Michaut soulignent l’extrême variété des modes d’organisation des premiers cycles non seulement d’une filière à l’autre mais aussi d’un site à l’autre pour une même filière et la difficulté à mettre en relation cette diversité avec les variations de réussite des étudiants. L’analyse amène alors à s’interroger sur le caractère véritablement « national » des diplômes délivrés. L’article de G. Felouzis vient renforcer cette interrogation à partir d’une réflexion sur le sens véritable des entreprises de délocalisation universitaire : s’agit-il d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur ou d’une procédure de relégation ? La réponse n’est pas simple. Tout semble dépendre, en dernier ressort, de la mise en œuvre locale, concrète, de ces politiques publiques de délocalisation. Enfin, d’autres articles apportent un éclairage étranger (Grande-Bretagne et Suisse) sur cette question à partir d’une réflexion sur les stratégies étudiantes en matière de choix d’orientation pour le premier et d’une analyse d’un dispositif visant à mieux articuler secondaire et université pour le second.

Les trois derniers articles s’inscrivent explicitement dans la perspective d’une sociologie de l’expérience étudiante à l’œuvre dans ce processus d’affiliation à l’institution universitaire, garant (relativement) d’une réussite ultérieure. On retiendra en particulier la forte interrogation portée par la contribution de S. Beaud et M. Pialoux sur l’hypocrisie d’un système qui, au prétexte d’un libéralisme institutionnel de circonstance, laisse ces « nouveaux lycéens » que sont les bac pro s’engager dans l’impasse d’une inscription à une université qui n’est nullement prête à les accueillir. R. Boyer, C. Coridian et V. Erlich s’intéressent quant à eux à l’articulation des procédures de socialisation et des processus d’apprentissage chez les étudiants débutants alors que, dans un propos conclusif, M. Altet, M. Fabre et P. Rayou cherchent à repérer dans le travail des acteurs, au quotidien, et à partir de quelques phénomènes paradoxaux, le mouvement de consolidation d’une institution très fragilisée par la « massification ».

Une note de synthèse vient utilement compléter ce dossier tout à fait éclairant dont on peut simplement regretter que, nulle part (pas même dans la note en question), il ne fasse référence à la recherche pourtant « historique » de Michel Verret (Le temps des études) mais qui semble, en définitive, donner quelque crédit à l’hypothèse qu’avançait, voilà quelques années maintenant, Alain Renaut d’une substitution de la « multiversité » à « l’université ».

Roger Monjo