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Encore cinq minutes, Miss !

Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »

Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »

Les voies de la remobilisation sont multiples… Une enseignante d’anglais en essaie plusieurs qui, bien conjuguées, produisent de beaux effets.

Début septembre, je rencontre mes nouveaux élèves de 4e. Ils se connaissent bien pour la plupart, car notre établissement est de petite taille, et certains élèves y sont inscrits depuis la maternelle. Dès la première séance je m’aperçois que le groupe est réservé, peu communicatif. Les élèves ont un niveau homogène, plutôt faible, mais surtout ils semblent avoir un gout peu marqué pour la discipline.

Plus tard, ils me le diront : « je pensais que l’anglais était nul », « je trouvais l’anglais un peu ennuyant », « je trouvais ça dur et compliqué », « je pensais que j’allais être en difficulté ».

Les visages sont fermés, j’observe un scepticisme et une certaine résistance aux pratiques coopératives que je tente de mettre en place. Plusieurs élèves ne trouvent pas leur place au sein du groupe classe, ce qui les amène à troubler le fonctionnement des cours dès que possible.

Autonomie

La coopération va être l’un des éléments clés de la remobilisation des élèves. Elle commence, dès la toute première séance de l’année, par un jeu coopératif pour comprendre l’intérêt de « l’union fait la force » et des bénéfices individuels à travailler ensemble. Le jeu consiste à gagner un challenge et obtenir une récompense. Les élèves ont trois minutes pour compter de un à cent en anglais sans se tromper. Si un élève a des doutes, il peut demander l’aide de son voisin de droite ou de gauche. Lorsqu’une erreur est réalisée, le jeu recommence à zéro. Le groupe dispose d’un joker, qu’il peut utiliser à tout moment par le vote, et ainsi poursuivre le comptage. Le moment de bilan du jeu, puis la lecture de notre charte de l’entraide, a été fondamental, car il a posé les bases de la coopération et a suscité les prémices d’une cohésion de groupe.

Suite au jeu coopératif, je propose un premier plan de travail succinct, sans évaluation sommative et sur un temps limité et court. Les élèves ont une heure et demie pour réaliser les activités qui y figurent. Elles sont volontairement simples tant sur les consignes que sur le contenu, mais nécessitent la coopération pour atteindre l’objectif final, qui est de se présenter oralement en binôme. Mis à part l’explicitation des consignes, je ne donne aucune piste d’organisation du travail. Ils sont en totale autonomie et chacun a le droit de me poser une seule question pendant la durée du travail. S’il y a un objectif didactique (savoir se présenter en anglais), celui qui prévaut ici est pédagogique : amener les élèves à réfléchir sur la coopération.

C’est le  bilan qui est intéressant : de manière individuelle par le biais d’un questionnaire, les élèves s’autoanalysent. Ai-je terminé les activités du plan de travail ? Si c’est le cas, comment ai-je réussi ? Suis-je satisfait de la manière dont j’ai travaillé ? Suis-je satisfait de ma présentation finale ? Nous reprenons ensemble les raisons des difficultés et des réussites, l’utilisation des outils et ressources à disposition, et le rôle de chacun dans la classe, élève et professeur.

Cette étape est importante, car elle permet de vivre la coopération et l’autonomie, avec ses avantages mais aussi ses limites. Les élèves font l’expérience du bruit, de la planification du travail, de l’aide à apporter ou à recevoir, du ou des camarades qui préfèrent discuter, etc. Après le bilan, nous lisons ensemble la charte de l’entraide affichée dans la classe. Elle reprend les droits et devoirs des élèves qui aident : avoir d’abord fini son travail, ne pas donner la réponse, être capable de proposer une explication, ne pas se moquer, etc. ; ou qui sont aidés : chercher seul dans un premier temps, avoir une demande précise, remercier son camarade.

Que faire ? Comment choisir ?

À la fin de ces différentes étapes, le premier plan de travail de l’année est mis en route, et la responsabilisation entre en jeu, car y sont intégrés des choix de projets personnels et de ceintures de compétences (avec évaluation sommative). Débute alors un moment d’adaptation. Pour les élèves en réussite et autonomes, cette nouvelle liberté acquise est presque un soulagement : enfin, ils peuvent travailler à leur guise et à leur rythme, sans retenue. Pour d’autres, c’est le casse-tête : que faire de toutes ces activités ? Laquelle choisir ? Ils s’embourbent dans leurs fiches, en commencent certaines, puis d’autres, sans les terminer.

L’organisation matérielle du plan de travail me permet d’être présente auprès des élèves qui ont besoin d’être guidés ou suivis. Ensemble, nous faisons le point sur le travail à faire et dans quel ordre. Je fais les choix, j’accompagne et je vérifie. Cela permet à l’élève d’être rassuré, de ne pas se décourager, et d’avancer dans les apprentissages.

Au fil des semaines, un changement de posture s’opère. Les élèves portent un regard nouveau sur leur classe en cours d’anglais depuis l’introduction des pratiques coopératives et de la personnalisation des apprentissages via le plan de travail. Quand le premier trimestre s’achève,  j’ai en face de moi dix-sept visages qui affichent une envie de savoir. « Miss, comment dit-on ceci ? Pourquoi prononce-t-on comme ceci mais pas comme ça ? C’est vraiment bizarre l’anglais ! »

Cet appétit grandissant est encouragé par un document donné en début d’année : la Unit Vocabulary. À chaque séance, je note au tableau des mots nouveaux qui pourraient plaire aux élèves, en relation ou non avec les objectifs lexicaux de la séquence. Des mots du quotidien, des mots élégants, des expressions idiomatiques. Les élèves en raffolent, car ces moments de découverte du vocabulaire permettent souvent des digressions culturelles. Je leur donne des éléments d’histoire, ou fais le lien avec des habitudes de vie anglaises si différentes des leurs. C’est un moment de transmission du savoir où chacun est heureux de donner ou de recevoir. Les élèves sont libres de « garder » les mots avec eux en les notant dans leur cahier. Ils devront alors les apprendre et les restituer lors des évaluations, pour lesquelles ils choisissent les mots à mémoriser.

Apprendre à coopérer

Les effets de la coopération, du travail en autonomie et de la posture enseignante deviennent visibles. Les élèves coopèrent plus facilement, s’entraident mais aussi débattent en se respectant. Ils témoignent: « Je trouve qu’on a une meilleure ambiance quand on fait les activités du plan de travail. » « Grâce au plan de travail la classe est plus soudée qu’avant et ça nous permet également de coopérer avec plusieurs personnes différentes. » « La première tâche finale était ma préférée et aussi mon moment préféré dans l’année scolaire. Ça nous a beaucoup rapprochés surtout quand notre classe avait des problèmes. J’ai adoré cette tâche finale. Il y avait une belle ambiance et aussi beaucoup de joie dans notre classe. »

Coopérer dans le cadre du plan de travail permet de développer un sens de la responsabilité personnelle tout en restant attentif aux besoins du groupe, chacun contribuant au bon déroulement du travail commun. Les élèves sont invités à organiser leur travail et à gérer leur temps de manière autonome, et les interactions régulières avec les autres facilitent les échanges de stratégies et de conseils, dans un acte de générosité mutuelle. Cette autonomie, couplée à la coopération, stimule la confiance en soi et la réussite collective.

Les phases d’écoute sont prolongées, les interruptions du cours diminuent voire disparaissent. La participation devient plus active lors des phases de travail en groupe classe, les échanges au sein des ilots sont plus constructifs, et la parole se libère progressivement. Une élève plutôt réservée remarque: « La coopération c’est positif, car vous dites que vous ne voulez pas de moqueries donc je pense que ça aide pour l’oral. » Un autre ajoute : « J’aime le plan de travail et la coopération, ça nous aide à communiquer entre camarades. Ça nous rapproche entre nous. » Ou encore : « En anglais on peut s’exprimer librement sans que personne se moque. »

Les élèves apprécient également la liberté et les responsabilités que leur offre le plan de travail : « Ce qui me plait en cours d’anglais c’est que la prof nous fait confiance et elle nous laisse gérer. » « Moi, c’est qu’on nous donne un plan de travail et que c’est notre devoir de le remplir. » « Je peux apprendre l’anglais à mon rythme, comme je le veux. » « Vous nous amenez à dépendre de nous, pas du professeur. »

Mesurer les progrès

Sur le plan des apprentissages, j’observe que les élèves réinvestissent des structures vues en classe dans des moments moins formels, par exemple pendant la récréation, quand je passe près d’eux, dans les couloirs ou même au seuil de la porte de classe. Ce sont des moments où ils prennent  plaisir à réutiliser le lexique vu en classe, celui qui les aura étonnés ou celui que l’on utilise quotidiennement. Certains d’entre eux me commentent les résultats des matchs de l’équipe dont je suis supporter : « Miss, the game of your team, you win ! » Certes la formulation peut être améliorée, mais la communication en langue étrangère  se produit, elle est réelle et spontanée.

J’observe aussi une curiosité qui se développe, un intérêt plus marqué pour la langue. Des questions sur son fonctionnement apparaissent, que ce soit sur la syntaxe, la conjugaison ou l’orthographe. Les élèves sont intrigués par les différences et similitudes des systèmes linguistiques de l’anglais et du français. Ils sont souvent étonnés, parfois perplexes, de temps en temps envahis par l’opacité de la langue. Mais ils réfléchissent, essaient de transposer une règle apprise mais qui ne fonctionne pas de manière identique selon les situations, ce qui les fait sourire ou parfois les décourage.

Quant au sentiment d’efficacité, à l’autoévaluation des progrès de la maitrise de la langue et au rapport à la matière, les points de vue sont bien différents de ceux du début d’année : « J’ai évolué de trimestre en trimestre. » « Je progresse en connaissances et en conjugaison. » « J’ai vu que l’anglais était beau et ça m’a donné envie d’aimer, même si c’est relou. » Un élève en grande difficulté, démobilisé, et qui, ne sachant comment libérer son trop plein de frustration déchargeait sur ses voisins, raconte : « Depuis que j’ai eu ma ceinture j’ai décidé de travailler. » Cette réussite a été possible grâce à un entrainement long et couteux, néanmoins il a persévéré sans jamais renoncer. Il sait que cette victoire est due aux efforts qu’il a consacrés à la tâche. Sa joie et sa fierté sont visibles, et la classe l’a applaudi lorsqu’il a collé la ceinture obtenue au tableau.

L’anglais revêt pour les élèves une dimension internationale, et devient, au-delà d’une discipline obligatoire du programme, un outil puissant pour communiquer avec autrui au-delà des frontières, ainsi que le remarque une élève : « Au début de l’année je n’aimais pas l’anglais, je pensais que ça ne servait à rien car je suis à Madagascar et que je n’aurai pas les moyens de voyager pour pouvoir parler cette langue. Maintenant, je considère que c’est intéressant et en plus avec cette langue je pourrai communiquer avec des personnes qui la parlent. »

Julie Plouvier
Professeure d’anglais au collège français Françoise-Dolto, à Majunga, Madagascar

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