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EMC : une clarification pas très claire

L’organisation générale d’abord : le programme actuel est divisé en quatre parties (la sensibilité : soi et les autres ; le droit et la règle : des principes pour vivre avec les autres ; le jugement : penser par soi-même et avec les autres ; l’engagement : agir individuellement et collectivement). Les « ajustements » oublient cela pour une tripartition qui commence par « Respecter autrui », suivi de « Acquérir et partager les valeurs de la République », puis « Construire une culture civique ». Il est presque étonnant que le respect passe avant les « valeurs de la République », mais surtout que ces valeurs soient exclues de la « culture civique »

Qu’est-ce alors que cette culture ? Le texte ne la définit pas vraiment mais reprend les intitulés du programme actuel : la culture civique est celle de la sensibilité, de la règle et du droit, du jugement et de l’engagement. Ce serait peut-être faire preuve de mauvais esprit qu’en conclure que jugement, sensibilité ou engagement sont de fait exclus ou inutiles dans le domaine de l’appropriation des valeurs de la République et du respect d’autrui… Sans doute le texte a-t-il dû être écrit très vite ! Notons au passage la disparition des gloses qui suivaient les titres. Par exemple, au sujet du « jugement », la formule « penser par soi-même et avec les autres », pourtant importante, disparaît, au profit d’une définition : c’est une « culture du discernement ». Pas sûr que la nouvelle formulation soit plus claire.

Disparitions

Autre disparition : les « exemples de pratiques en classe, à l’école et dans l’établissement ». On aurait pu espérer que ces exemples variés et exigeants soient maintenus dans les textes, d’autant que cette partie très concrète n’avait guère besoin d’être clarifiée. Ce qui unissait ces exemples au delà de leur diversité, c’était le choix d’une pédagogie fondée sur la prise en compte de la vie et l’expérience des élèves, pour ensuite l’analyser, la dépasser, l’utiliser afin de nourrir la réflexion ; le choix d’une pédagogie ancrée dans la mise en activité des élèves, interdisciplinaire et/ou convoquant différentes disciplines appartenant à tous les domaines, humanités, arts, sciences, sports… Le choix aussi d’une pédagogie qui donne des responsabilités et permet l’engagement : dès le cycle 2, on y incitait à mettre en place des conseils d’élève, à la co-élaboration des règles, de projets etc. Ici, on parle bien de l’engagement de l’élève mais plus rien n’incite l’école à mettre en place les conditions dans lesquelles il peut s’exercer.

Avec ces exemples disparaissent aussi, à tous les cycles, les dilemmes moraux et les discussions à visée philosophique (DVP), si utiles pour la formation du jugement, avec ce qui relève de l’expression d’un point de vue au-delà même du sujet de la discussion. L’objectif « s’initier à la complexité des problèmes moraux », disparu également. Seuls subsistent, présentés page 4 dans une rubrique « Modalités et méthodes » d’une demi page, les débats réglés et argumentés, fondés sur une prise d’information, faisant l’objet d’un « bilan des acquis » et d’une formalisation. Oserais-je l’hypothèse qu’il s’agit là de proposer une activité plus facile à contrôler ? En tout cas, on sait que la majorité des membres de l’Inspection générale de philosophie – dont est issue l’actuelle présidente du CSP – a toujours été opposée aux DVP.

C’est donc ce qui pouvait le mieux outiller les professeurs qui disparaît (curieuse clarification), mais il y a surtout un encouragement implicite à abandonner une pédagogie ouverte pour passer à quelque chose de plus cadré : ainsi, là où le texte actuel mentionne parmi les exemples de pratiques « définir et discuter en classe les règles[[Cycle 3 ; c’est moi qui souligne.]] du débat ou celles du conseil d’élèves », le texte du CSP se limite à « expérimenter la prise de décision à la majorité ». Expérience démocratique certes importante, mais le cadre est fourni sans qu’on invite à réfléchir à ce qui le fonde.

Les mains, les dents et la Marseillaise

Apparaissent par contre des repères de progressivité année par année. Le simple choix des thèmes retenus, puisque tous ne peuvent l’être, est une façon de leur donner de l’importance. Donc au cycle 2, « se laver les mains avec du savon » ou « se brosser les dents » doivent avoir des enjeux moraux majeurs… On voit l’intérêt de ces prescriptions (y compris pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la morale), on comprend ce qu’elles font dans la rubrique « respecter autrui », mais méritaient-elles tant d’honneur ? Le texte encore en vigueur actuellement cite bien « le soin du corps » dans l’item « prendre soin de soi et des autres » de la partie « la sensibilité : soi et les autres », mais l’exemple de pratique associé est « prendre conscience de son corps et du corps des autres à travers des activités de danse » : un but plus ambitieux mais sans doute plus difficile à évaluer.

On peut évidemment sourire de la progression dans l’apprentissage de la Marseillaise au cycle 2 (en CP, la reconnaître, en CE1 chanter le premier couplet, en CE2 le chanter par cœur). On peut pointer les approximations, la tolérance étant au programme de 4e avec (pour une fois du concret) une incitation à la travailler en lien avec le programme d’histoire et en particulier l’Édit de Nantes… qui est au programme de cinquième ! Marque probable d’un texte fait en peu de temps. Mais le plus gênant me semble être la contradiction entre la logique des cycles et celle des repères annuels de progressivité.

Finalement, on a un texte qui n’est pas plus clair que le précédent, moins opérationnel avec la suppression des exemples, mais qui contrairement au précédent, vise à « cadrer » l’enseignement de l’EMC. La version moderne des maximes à apprendre, en somme… Cela dit, tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis, la liberté pédagogique dans la mise en œuvre d’un programme[[Qu’on respecte par ailleurs, quoi qu’on pense par exemple de l’inflation des items autour de la Défense et la Sécurité dans le nouveau texte.]] existe toujours, et on se consolera en se disant que, quand même, le texte utilise les mots de « coopération », « aptitude à la réflexion critique », « responsabilité individuelle et collective » et d’autres sur lesquels les enseignants peuvent s’appuyer. Une serrure a (presque) toujours du jeu !

Élisabeth Bussienne
Formatrice en ESPÉ


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