Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

#DominiqueBernard

nipedu-logo-nouveau.jpgIl y a trois ans, nous étions au même endroit. Derrière nos claviers. Sidérés. Muets mais très vite invités par cette chronique mensuelle, dans laquelle tout autre propos nous paraissait dérisoire, à poser des mots sur un acte de terreur commis sur un enseignant1. Et si la situation a un gout si amer de déjà-vu, il nous semble pourtant impossible qu’elle appelle la même réaction.

Quelque chose arrive une fois, ce peut être un accident, horrible mais singulier. Quelque chose arrive deux fois, c’est un symptôme. Symptôme d’une société proprement insoutenable pour les victimes et leurs proches, et inadmissible pour toutes les personnes qui, après le drame, peuvent se reconnaitre en ces victimes.

Alors, on commence par le magma émotionnel à l’unisson. Forcément…

Après, ce sont apparemment les habituelles récupérations nauséabondes qui font que, très vite, on ne lit pas, dans la presse, les réactions aux évènements eux-mêmes, mais les réactions aux réactions des uns et des autres. Unetelle réclame la démission d’Untel, tandis qu’un autre s’irrite : « Dès qu’il y a un drame dans ce pays, c’est la campagne électorale qui s’ouvre », tout en jouant le jeu qu’il dénonce. Plus près des enseignants, mais aussi contradictoire, nous lisons Philippe Meirieu qui, tout en invoquant un nécessaire silence, clame sa colère contre « tous ceux et toutes celles qui, la veille, affichaient, jusque dans les salons de l’Assemblée nationale, leur mépris pour les professeurs et qui, tout à coup, se [mettent] à multiplier les déclarations d’amour à leur égard2 ».

Et après le politique ? On aimerait la raison. On aimerait des propos qui dépassent les piques simplistes et qui, tout en dénonçant sans équivoque l’atroce, en interrogent aussi le terreau complexe. Mohammed Mogouchkov, l’assassin de M. Bernard, nous dit : « J’étais dans vos écoles des années et des années […] Vous m’avez appris ce qu’est la démocratie et les droits de l’Homme, et vous m’avez poussé vers l’enfer3. » Ainsi, son acte, comme celui du meurtrier de Samuel Paty, ne visait pas une personne mais ce qu’avec d’autres elle représentait, les valeurs humanistes de notre école.

Où sont les commentateurs qui interrogent l’endroit et le moment où nos valeurs ont suffisamment manqué leurs cibles pour être assimilées à l’enfer ? Qui de nos élites s’arrête sur cette phrase et constate l’échec ? Si le renvoi de quelques poignées d’élèves fichés offre une réassurance pour les collègues qui leur font face en classe, manque encore la réaction ample et forte, ni électoraliste, ni nombriliste, pour prévenir plutôt que guérir trop tard.

Des pleurs et de l’espoir

Alors, il ne semble nous rester que nos mains pour pleurer, que nos propres raisons individuelles pour parvenir à nous dépêtrer du deuil d’un collègue, des maladies de notre institution, de la peur de ces agressions d’un nouveau genre, de la colère contre l’ensemble de ce qui précède et du courage qu’il faut trouver pour porter, chacun à son échelle, le combat contre l’obscurantisme.

Ou alors espérons, de tout notre cœur, qu’après l’horreur symptomatique, après les émotions qui résonnent, après le politique qui déçoit, nos collègues puissent compter sur des collectifs locaux, associatifs, syndicaux, formels ou informels, pour que, quand la cloche sonne, il leur reste un peu plus que la solitude d’être soi…

Régis Forgione, Fabien Hobart, Jean-Philippe Maitre

Sur notre librairie


Notes
  1. Chronique à lire ici :
    https://tinyurl.com/mp9xe4a7.
  2. https://tinyurl.com/4z5r59zt.
  3. Propos cité dans Le Monde du 17 octobre 2023 : https://tinyurl.com/2mdkuznz