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Deux voix pour une école

Comment ouvrir sereinement un livre, alors même que le retard de sa publication a déjà fait couler beaucoup d’encre ? Le débat entre ces deux auteurs connus, partisans de la réforme d’un système éducatif qu’ils connaissent bien, évite les anathèmes et les caricatures, mais ne gomme pas pour autant les lignes de clivage. Le ton est parfois vif. C’est à une véritable confrontation entre deux systèmes de représentation du monde et de l’action politique à laquelle on assiste. Après l’incontournable analyse de la crise du printemps 2003, Marielle Court, journaliste au Figaro, mène le débat sur l’opposition entre les « savoirs et la pédagogie ». Lorsque l’un dit : « Bon gré, mal gré, le savoir doit être légitimé par le seul fait qu’il s’énonce », l’autre répond : « L’autorité de l’enseignant n’est pas discutable par les élèves. Mais les savoirs ne peuvent être assimilés et intégrés que s’ils ont du sens pour ceux qui les apprennent. Et ce, dès les petites classes. » Une discussion fort intéressante a lieu sur les rituels dans la classe ou à l’École. Les points de dissensus sont nombreux : le regard porté sur le bachotage et le marché de l’édition ; l’évaluation terminale ou le chef-d’œuvre ; le jugement porté sur le sort politique réservé aux IUFM…

Ce qui est plus surprenant à première vue, c’est que des points de consensus affleurent même sur des pistes de solutions. Le chapitre quatre en est une bonne illustration, s’agissant de la pertinence des redoublements ou de la liaison entre la 6e et l’école primaire d’une part, le collège d’autre part. L’un et l’autre souhaitent des professeurs de collège polyvalents pour réduire le nombre de professeurs par élève, s’entendent même sur la pédagogie différenciée ! De même, il leur semble possible de stabiliser les enseignants dans les établissements difficiles et même d’y attirer des enseignants chevronnés. La « seconde carrière » pour élargir le vivier de recrutement des enseignants, ardemment défendue par Philippe Meirieu, convient à Xavier Darcos.

Le nouveau défi que représente la formation tout au long de la vie pour le système éducatif est pointé par les deux auteurs. Dans la même ligne, ils critiquent également le manque de préparation à la prise de décision ou d’initiative. La place manque pour dire quelles solutions seraient préconisées. Il n’est pas sûr que ce soit les mêmes !

Un accord apparaît également sur le principe de la décentralisation : en faire une lecture limitée au complot libéral leur paraît erroné ; mais les oppositions sont tranchées, s’agissant du calendrier, de la méthode, des contenus et finalement de la signification politique. Il y a peu de commentaires sur les modalités de financement.

Le tour d’horizon est large et mené par une journaliste informée des problématiques actuelles. Il y a bien sûr des zones d’ombre. On peut noter deux oublis majeurs, qui ne trouveraient sans doute pas suffisamment de place dans un tel format. D’une part, la description fine des inégalités spatiales à différentes échelles risque de manquer au lecteur. D’autre part, l’histoire de l’institution scolaire et des politiques publiques en matière d’éducation serait utile, qu’il s’agisse aussi bien du collège que des zones d’éducation prioritaire (ZEP), de l’adaptation et l’intégration scolaire (AIS), de l’apprentissage ou de la place de la lecture à l’école.

Malgré ces deux limites, il faut faire lire cet ouvrage, même maintenant. Le grand débat sur l’avenir de l’école est terminé, mais les choses sérieuses commencent : une nouvelle loi d’orientation sera examinée à l’automne. Et il est remarquable de voir que nombre de lecteurs sont capables de lire La lettre ouverte de nos ministres et de dire qu’ils ont raison. Puis de lire un ouvrage de Marie-Danielle Pierrelée et de partager le même sentiment. La confrontation, ici réalisée, est salutaire.

La dernière ligne de la quatrième de couverture affirme qu’ils mettent « leur (sic) deux voix au service de l’École ». L’École est-elle une ? C’est-à-dire indivisible ? Entre l’utopie nécessaire, dont parle Philippe Meirieu à plusieurs reprises, et la reconsidération de notre imaginaire collectif, n’y a-t-il pas là deux objectifs souvent difficilement conciliables ? Par exemple, qu’en est-il de la construction européenne ? Les deux auteurs l’évoquent sur des segments bien identifiés : le cursus universitaire (licence-maîtrise-doctorat ou LMD) pour la formation des enseignants ; la reconnaissance des parcours et les Écoles européennes, absentes du territoire français. Par exemple, comment apprend-on à l’École aujourd’hui en France à devenir un citoyen européen ? Si l’on veut que l’École soit une, et assez durablement, peut-être faut-il d’abord élargir l’horizon.

Olivier Masson


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