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Le livre du mois du n°567 – Des filles chez les garçons. L’apprentissage de la mixité

Cet ouvrage révèle une histoire méconnue, celle de l’accès des filles à l’enseignement secondaire masculin au XXe siècle. L’auteure retrace la construction progressive d’une mixité, mais aussi les liens entre mixité, émancipation et égalité. Elle s’est appuyée sur ses expériences d’enseignante formatrice, sur les Archives nationales et départementales et des enquêtes auprès des familles, inspecteurs, enseignants et historiens de l’éducation. Comment les établissements scolaires en sont-ils venus à accueillir des filles et des garçons au cours du XXe siècle ? Elle cite des chercheurs qui l’ont précédée, les historiennes Françoise Mayeur et Rebecca Rogers, ou la philosophe Nicole Mosconi et la sociologue Catherine Marry.

Geneviève Pezeu fait le choix de se focaliser sur l’enseignement secondaire et étudie la façon dont la mixité s’est installée dans les territoires et le temps. Elle prolonge ainsi l’article « Pour une histoire de la mixité », publié en 2011 sur le site des Cahiers pédagogiques, afin d’accompagner le numéro 487 de la revue, « Filles et garçons à l’école », qu’elle a coordonné avec Isabelle Collet.

La scolarisation des filles, du moins pour ce qui concernait l’État, ne s’est pas réalisée au même rythme que celle des garçons : création des écoles centrales en 1795 pour les garçons de 12-16 ans, remplacées par les lycées payants en 1802 par Napoléon, les filles n’y ayant pas accès (sauf dans les maisons d’éducation de la Légion d’honneur). Les structures d’enseignement féminines de niveau secondaire restent privées pour les jeunes filles de la bourgeoisie. Il faudra attendre 1850 pour créer les écoles communales de filles, puis 1880 pour des lycées d’État féminins dans les grandes villes et des collèges municipaux de filles. Mais pas question de leur donner toutes les connaissances ! Moins de mathématiques et latin, pas de grec, plus de langues et d’art et des matières relevant de l’économie domestique.

Dans les années 20 et 30, le système ancien est dépassé et les jeunes filles aspirent à davantage d’éducation (pétitions de pères de famille, les couches moyennes réclament plus de culture et de formation). La co-instruction ou le coenseignement se justifient par des logiques économiques locales et sont parfois un moyen de répondre à la concurrence de l’enseignement privé. Des précautions matérielles sont prises dans l’organisation du travail et des loisirs, car les pédagogues s’interrogent. Mais les rapports d’académie révèlent que les filles sont à l’origine d’une émulation intellectuelle et de changements positifs chez les garçons.

En 1945, les Françaises obtiennent enfin le droit de vote, l’administration centrale n’est pas hostile à la mixité et, sous l’influence de Gustave Monod, directeur de l’Enseignement secondaire, quelques nouveaux établissements s’organisent en structures mixtes dès leur création, notamment avec les classes nouvelles et les établissements expérimentaux. En décembre 1956, le substantif « mixité » apparait pour la première fois dans un article publié dans les Cahiers pédagogiques. Il évoque ses aspects positifs. Jusque-là, on parlait de « coéducation ». On y développe les avantages intellectuels, sociaux et moraux de la mixité.

Même si elle progresse dans les années 60, il faudra attendre 1976 pour que la mixité soit totalement effective. Elle ne suffit pas à déconstruire les normes patriarcales, à garantir une égalité entre femmes et hommes. Les filles ont accès à tous les niveaux de l’enseignement, mais pas toujours à parité avec les garçons.

La fin de l’ouvrage soulève des interrogations : comment gérer la mixité dans le cadre scolaire et ne pas différencier les origines et le sexe des élèves, au nom de la justice et de l’égalité ? Il nous faut adapter nos formations pédagogiques, car nous avons pris conscience de ces enjeux trop tardivement. L’auteure propose de réfléchir à un nouveau concept éducatif, l’« hétérosociabilité égalitaire », pour une pédagogie de l’équité.

Réjane Lenoir

Questions à Geneviève Pezeu

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Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire ce livre ?

Ce livre est la version retravaillée de ma thèse. J’avais dès le départ pour objectif de restituer cette histoire à un public plus large que celui des universitaires. Tous ceux qui ont été scolarisés avant 1977 ont pu vivre, à un moment ou un autre de leur scolarité, des situations de mixité : tout était possible, puisqu’il n’y avait plus de règles fixées. D’ailleurs, le projet s’est concrétisé lorsqu’un vieil oncle m’a raconté que dans sa classe de 4e et de 3e d’un petit collège de ­Provence, il y avait des filles alors que c’était la fin des années 1930. Il a piqué ma curiosité, car j’avais du mal à le croire. Je suis donc allée vérifier aux archives départementales et il avait raison !

J’ai coordonné avec Isabelle ­Collet le n° 487 des Cahiers pédagogiques intitulé « Filles et garçons à l’école » en 2011, et j’avais déjà eu l’occasion de préparer une intervention qui retraçait l’histoire de la mixité pour un public de pédagogues. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé le fait que cette histoire n’existait pas réellement, surtout pour le XXe siècle. Pourtant, elle s’est réalisée tout au long de cette période. Je me suis alors lancée dans l’aventure de la recherche, mais comme l’histoire des filles à l’école n’a pas encore été écrite pour le XXe siècle, faire celle du « mélange » avec les garçons s’est avéré complexe, d’autant que les sources sont rares.

En travaillant sur ce livre, avez-vous fait des découvertes, y a-t-il eu des surprises ?

La première découverte est de voir que pendant l’entre-deux-guerres, des filles sont allées étudier dans les collèges où leurs frères, voisins, cousins préparaient le baccalauréat, ou bien dans les lycées qui les recevaient dans les classes préparatoires. Elles se donnaient ainsi la possibilité de faire des études supérieures, puisque l’université et certaines écoles d’ingénieures n’étaient pas fermées aux jeunes femmes.

Une autre surprise, qui allait à l’encontre de ma première hypothèse, fut de réaliser, en faisant la cartographie des autorisations de coenseignement, que le phénomène n’est pas local, mais au contraire bien réparti sur l’ensemble du territoire. Et si chaque situation ne concerne qu’un tout petit nombre de jeunes filles, je repère que près de 58 % des établissements secondaires en France ont accueilli quelques filles avant la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, même si Nicole Mosconi l’avait déjà commenté, le silence qui entoure cette révolution pédagogique est assourdissant et m’étonne encore. Même dans les Cahiers pédagogiques, jamais un dossier sur cette thématique n’a été envisagé dans les années 1950 et 1960.

À l’heure où les inégalités de genre et les violences sexuelles s’imposent comme des thèmes récurrents dans le débat public, le mélange des sexes est-il ou sera-t-il synonyme d’égalité, permettra-t-il la pleine égalité entre garçons et filles ?

La mixité est d’abord une pratique et non un principe, encore moins une valeur. À l’école, elle est un moyen d’apprendre ensemble, en coopération et dans le respect de chacun et de chacune. Ceci à condition que l’on s’en empare comme d’un outil d’apprentissage pour éduquer à l’égalité entre les sexes. Mais c’est aussi un outil pour travailler sur toutes les autres différences, sociales ou d’origines. Il faudrait une réelle prise de conscience de ce que provoque le mélange des sexes dans un groupe. La mixité aurait pu créer de l’égalité s’il y avait eu un projet pour que la cohabitation des sexes devienne un outil d’éducation à l’égalité. Or, on a préféré croire qu’elle se réaliserait tout naturellement avec la mixité. L’histoire nous montre que la « mise en mixité » s’est installée dans l’indifférenciation. En même temps, on demande aux élèves de développer l’autonomie et de valoriser les identités de chacun et de chacune, ce qui revient à mettre en avant leur particularité et donc ce qui les différencie. Ce paradoxe n’est pas résolu en termes de savoir-faire éducatif et pédagogique. Or, la sociologie montre à quel point la transmission est influencée par le poids de l’imitation dès la naissance, de l’effet Pygmalion, ou encore les transferts de la propre vision du monde que tout adulte a acquis au cours de sa socialisation depuis son enfance. Les élèves ne font que reproduire ce que la société leur inculque, avec des rapports de forces qui sont parfois des relations violentes lorsqu’elles dénigrent, au nom du sexe, l’intégrité des personnes.

Aujourd’hui, c’est de l’égalité de traitement qu’il faut discuter. Comment mettre en valeur les jeunes, filles et garçons, au-delà des préjugés qui se sont construits collectivement et de génération en génération ? Sachant que le mérite (ou la valeur) des femmes est historiquement moins valorisé. Et comment créer en termes éducatifs des relations respectueuses, non violentes ? C’est-à-dire, comment estimer l’autre pour ce qu’il ou elle est, en tant qu’individu, et non plus selon son appartenance sexuée ?

Propos recueillis par Réjane Lenoir