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De sérieuses inquiétudes

La précédente majorité du conseil régional Rhône-Alpes avait mis en place en 2011 un « plan régional en faveur des jeunes pour le raccrochage en formation et pour l’emploi ». Philippe Meirieu, qui était alors vice-président délégué à la formation tout au long de la vie, explique que Rhône-Alpes comptait alors environ 50 000 jeunes de 16 à 25 ans qui étaient « invisibles  », ni en emploi, ni au chômage, ni en formation, ni dans les missions locales. « C’est colossal ! On n’avait pas leur identité, on savait juste qu’ils existaient à partir des données de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). » Le plan de raccrochage, fonctionnant sous la forme d’un appel à projets en direction des structures publiques ou associatives engagées dans ce domaine, a permis de joindre environ 5 000 jeunes en cinq ans pour leur proposer une solution.

À la demande de la région, le centre Alain-Savary de l’IFÉ (Institut français de l’éducation) a produit en avril 2015 un rapport d’évaluation[[http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/difficultes-dapprentissage-et-prevention-du-decrochage/etudes/un-plan-regional-pour-raccrocher-les-jeunes-en-rhone-alpes]] en travaillant avec des équipes de professionnels ayant répondu à l’appel à projet. Les auteurs du rapport observent que « les dispositifs régionaux permettent aux acteurs de se donner les moyens d’aller chercher les jeunes là où ils sont et de les accompagner à partir de là où ils en sont, jusqu’à ce qu’ils soient, au bout du compte, en mesure de raccrocher une offre de droit commun  ».

En 2015, 1,1 million d’euros figurait au budget de la région pour ce plan, mais les documents accompagnant le projet de budget pour 2016, préparé et voté par la nouvelle majorité (désormais sur la région Auvergne-Rhône-Alpes), n’en font pas mention. Et les structures concernées, qu’elles soient établissements publics ou associations, ont simplement reçu un courrier, en avril ou en mai, pour leur signifier la décision. Certaines n’ont même rien reçu.

Pas de décision, mais…

Du côté du cabinet de Laurent Wauquiez, le démenti est formel : aucune décision n’est prise, aucune stratégie n’est encore arrêtée dans le domaine de la lutte contre le décrochage, il est trop tôt pour que le président de région s’exprime. De fait, il n’y a pas eu de déclaration publique à ce sujet. Au groupe socialiste, démocrate, écologiste et apparentés du conseil régional, on confirme qu’officiellement, le nouvel exécutif n’a rien annoncé : « Ils ne disent pas qu’ils arrêtent les subventions, mais ils testent là où ça fait du bruit. Les écoles de la deuxième chance (sauf une) ont vu leurs subventions votées, elles. Nous avons demandé à l’exécutif régional d’éclaircir sa position, sans réponse, et aucune autre subvention n’a été mise au vote jusqu’ici. Ils étaient partis pour ne rien faire de plus mais, à force de montées au créneau, ils ont l’air d’hésiter. »

Stéphanie Pernod-Baudon, vice-présidente en charge de la formation continue et de l’apprentissage, en séance du conseil régional en juin dernier, a tout de même répondu à une élue d’opposition qui interpellait Laurent Wauquiez sur ses choix en matière de lutte contre le décrochage : « Vous nous parlez […] de structures d’accompagnement, de tout ce qui semblerait marcher dans le système éducatif français. Ça ne fonctionne pas, ça ne marche pas ! » Et elle poursuit : « Les enfants, à partir du moment où ils naissent, sont différents, et il faut à un moment donné les confronter à cette réalité. Il y en a qui travaillent plus que d’autres, et d’autres qui travaillent moins, certains ont des difficultés et d’autres n’en ont pas, eh bien il faut leur faire vivre cette réalité ! »[[Vers 4 h 10 dans l’enregistrement : http://tv.auvergnerhonealpes.eu/conseil/index.php/consultation/video/21#]]
Pas de quoi calmer les inquiétudes des acteurs concernés durant l’été, d’autant que, la réunion suivante du conseil régional ayant lieu courant septembre, les structures n’avaient aucune chance d’avoir plus de nouvelles avant la rentrée et leur éventuelle ouverture.

Pour Philippe Meirieu, il y a là « un projet politique clair, qui se résume à “chacun doit se prendre en charge, l’État n’a pas à aider les plus en difficulté, qui doivent faire leurs preuves, montrer leur mérite individuel”. D’ailleurs, la région a décidé de créer des bourses exceptionnelles pour les bacheliers ayant obtenu la mention “très bien”. Il s’agit de cinq-cents euros par jeune, sans conditions de ressources. Le mérite individuel est postulé comme toujours possible, quelle que soit la situation du jeune. C’est une négation des difficultés réelles d’ordre sociologique et psychologique que peut rencontrer un jeune dans un système éducatif très inégalitaire. »

Entre amertume et mobilisation

Nicole Bouin, militante du CRAP-Cahiers pédagogiques, est amère : « Nous avions réussi à faire sensiblement baisser le nombre de jeunes décrocheurs en cinq ans, cela risque de repartir à la hausse. Si la non-reconduction de subvention se confirme, ce serait révoltant. Ce serait aussi irresponsable, on sait bien que les économies à court terme coutent très cher à la société à moyen et long termes. » Elle accompagnait l’association Potentiel jeunes, qui comptabilisait une quarantaine de jeunes raccrochés chaque année depuis quatre ans : « La subvention était leur seule ressource, donc ça ferme.  »

À Grenoble, Vincent Costes, le délégué général de l’association La Bouture, a appris par hasard en juin que la subvention 2016 était bloquée. Après une première convention triennale signée avec la région en 2012, une nouvelle a été signée en 2015, jusqu’à aout 2018. « Une pétition en ligne a été lancée[[https ://www.change.org/p/laurentwauquiez-sauvez-les-associations-luttant-contre-le-d % C3 % A9crochage-scolaire]], qui a recueilli 10 000 signatures en une semaine. On a alors reçu 50 % de la subvention pour 2015-2016. Mais nous n’avons aucune certitude qu’ils honoreront l’engagement de l’équipe précédente. »

Pendant sa campagne, Laurent Wauquiez avait promis des réductions budgétaires, sans les détailler. Pour beaucoup, la première alerte a été la baisse de la subvention de la Maison des enfants d’Izieu. Un exemple qui fait espérer un recul du président de région, car après avoir annoncé une baisse de 40 000 euros (soit 17 % de la subvention en 2015) du financement accordé au mémorial d’Izieu, la région a finalement accepté de limiter la baisse à 20 000 euros. Dans le même temps, la région a doublé la subvention du festival Jazz à Vienne, ville dont le maire est du même parti que Laurent Wauquiez, attribué 50 000 euros de subventions à l’UNI, un syndicat étudiant de droite, et voté en avril une subvention de 4,7 millions d’euros pour un projet de parc de loisirs à Roybon (Isère), malgré la suspension du chantier par la Justice pour cause de destruction de zones humides.